lundi 29 juin 2020

29 juin



Lundi 29 juin 2020  17h40


Notre promenade rituelle nous a emmenés aujourd'hui jusqu'à l'étang de Léon.
Nous y avons retrouvé les arbres et l'eau, différents d'ici.
La pinède fraîche aux fûts noirs et hauts, plantés dans une mer de fougères déployées en frondes gracieuses, dressée vers le ciel entraperçu dans les trouées des frondaisons en bouquets sombres, au bleu boursouflé de nuages clairs, quelques tapis de bruyères estivales, des sentiers de sable clair, nous ont happés dans le grand silence.
Mes sales acouphènes en tintaient plus désagréablement encore dans mes pauvres oreilles.
J'ai essayé de les oublier. Sans y arriver tout à fait. Suffisamment détendue pourtant pour m'en laisser presque bercer.






J'ai suivi mon grand mari dans ces contrées exotiques, le long des sentiers forestiers.
Les fougères hautes ployées sur l'onde verte froufroutent aux pieds squameux des pins élevés.
Des nénuphars en nappes flottent mollement.





J'ai cru Olivier quand il m'a dit pouvoir redresser ce pin aux racines déjà salement écorchées!
Il m'a bien soutenue, à bout de bras, moi, quand les nerfs m'ont lâchée.





Les Landes sont planes. Des talus hauts cernent pourtant cet étang de Léon. A regarder cet escarpement depuis la sente, on se croirait presque à Sare !




Entre flots dormants et roseaux échevelés, l'eau, le ciel et les bois nous accueillent en paysages parfaits.





Les sentiers s'enfoncent dans la pinède profonde.
Des croisées nous tendent les bras.
Je ne choisis pas. Je suis.
Si Olivier se trompe, je me tromperai avec lui.
Je suivrai son sillage, même glauque, et m'y fourvoierai aussi.


Nous avons marché tranquillement, longé ses sentiers en fuite entre les perspectives toutes proches. Pas de paysage largement étalé, ici. Des ambiances plus protégées, des talus abrupts, étonnants dans cette terre plane. Des plans verticaux de végétation ordonnancée, herbe rase, fougère royale, et fûts longs des pins sombres.
Les airials s'ouvrent sur la lumière. La fraîcheur reste à la lisière des arbres.

De beaux arbres, le lac immense, la paix d'une belle après-midi d'été.

mercredi 24 juin 2020

24 juin






J'ai commencé ma journée par cette contemplation religieuse.







Ensuite, je me suis intéressée à mes vaches, prêtes à se coucher dans le pré, au ras de mes fenêtres.
L'onde de fièvre hormonale s'assagit.
Cette fois a été plus calme. La chaleur dans l'air rend peut-être mes bêtes plus dolentes aux leurs.
Elles passent les nuits dehors, s'y rafraîchissent.
Le petit matin les rapproche de l'étable, où elle viennent grapiller leurs rations gourmandes.
Par ces journées chaudes, elles restent ensuite au frais, dans la pénombre de la vieille étable.

Buru Haundi et Neska Motz se tournent le dos.
Elles jouent les indifférentes. Finiront peut-être par le devenir, à force.
C'est peut-être le mieux qu'elles aient à faire.





Tout ce petit monde se couche, tranquille.
Je vais à la jardinerie.
Antton les rentrera tout à l'heure.

Je l'entends déjà s'activer dans la grange.
La montagne a livré son content de foin : près de 150 bonnes grosses balles de foin sur 10 hectares, c'est honorable.
Ca fait une petite quinzaine de trajets montagne-Agorreta, chargements, déchargements. Ca demande un peu de temps !

 Avec les regains à venir, la fougère pour les paillages, notre vieux Barbot sera plein comme un œuf.






J'ai tardé hier soir à me coucher.
J'ai profité jusqu'au crépuscule de cette magnifique journée d'été.
Il a fait un peu chaud, mais des coulées d'air plus frais allégeaient le poids d'un soleil impérieux.
Toute l'après-midi, je me suis occupée de l'arrosage, dans la pépinière.
Les gerbes d'eau irisées retombaient en rideaux légers. C'était bien agréable...

Je suis arrivée au soir, pas trop fatiguée, évidemment !
Un crochet par le cimetière : le bégonia tubéreux et le dahlia m'épatent par leur tenue et leur opulence. Un moment de grande sérénité, assise sur la pierre chaude d'une tombe ombrée m'a suffisamment alanguie pour m'en faire tomber les épaules.

Une petite crispation s'y est logée depuis ce printemps. Depuis ces 6 derniers printemps, en fait.
Je n'y fais pas trop attention. Elle se rappelle à moi dans ces moments où elle me lâche. J'ai alors la sensation soulagée de son absence. Et la conscience plus inquiète de sa présence autour.

Mon maudit Ménière se tient à l'affût, toujours prêt à reprendre du poil de la bête.
Cette petite crispation est une bonne copine à lui.
Pour le moment, je le tiens en respect, pratiquant des inspirations larges, quand je sens l'animal se loger entre ma boîte crânienne et  son résident légitime, mon pauvre cerveau congestionné par cette pression insistante.
L'afflux de bon oxygène doit faire reculer la houle juste prête à me faire chavirer. La tension se relâche, le vertige s'éloigne, et l'horizon redevient stable. J'expire alors brusquement, en mentalisant ma cage thoracique vidée. Ca peut marcher, comme je peux basculer, d'une seconde à une autre. C'est l'affaire d'une microseconde, même, je dirais. Trrès, trrrès juste, tout ça !

Pour avoir un peu tout essayé, à un moment ou à un autre, je sais combien mes tactiques sont aléatoires.
Tant que celle du moment marche, je m'y accroche !

J'ai bon espoir maintenant de faire refluer tous ces désagréments.
Une lourde ombre planante s'est éloignée de mon horizon : je n'ai plus ce sentiment de menace, de tension, fichée comme une épée de Damoclès sur mon horizon.
Je suis arrivée à tenir mes serments.
J'ai le sentiment du devoir accompli.
Je me sens acquittée, plus en sursis.
Je ne suis plus potentiellement coupable, d'avoir failli.
Et là, j'expire, je souffle, je relâche.
Quand je raisonne.
L'émotif, lui, embraye, mais reste un peu en arrière, sait-on jamais.
La vieille mécanique, aux rouages déjà bien grippés de tout ce temps en tension, la joue : voyons voir à voir... Chat échaudé craint l'eau froide, et mes petits nerfs, mes vieux muscles encore tendus comme des arcs, restent en état d'alerte, d'alarme. Quitte à finir de s'y effilocher !

Il se passera du temps évidemment avant que mes mécanismes compliqués, ou butés, ou les deux à la fois, comprennent.
Du temps avant que la fatigue se retire comme une vague lente.
Du temps avant que la tension desserre ses griffes et me laisse aller, libre.

J'en ai , maintenant, du temps.

D'ailleurs, l'heure est venue de s'occuper du déjeuner.
Autant pour mon programme hors logistique, je prends des aises et du large, autant, là, pour les petites affaires intendantes, je me tiens à des horaires stricts.
L'heure des repas pris ici ne varie que dans une amplitude si resserrée qu'elle ne peut pas s'y déployer. Un battement de 10 minutes, ça nous fait déjà beaucoup ! Il faut une circonstance aggravée, une raison de force majeure, pour nous faire dévier d'une routine où nous sommes lovés comme de vieux chiens dans leurs niches de foin.
Nous sommes accrochés à ce rite, attentifs à nous le conserver.

Retour à mes casseroles.


15h15

Mes temps de sieste se calquent sur une bonne heure et demie.
Ca doit correspondre à deux cycles de bon sommeil. Pas étonnant alors que je puisse rallonger mes soirées !
Et les meubler de fantaisie.
Ce soir, par exemple, après la chaleur d'ailleurs très supportable de cette après-midi, je vais aller aménager le balcon de ma Lucie. Un coquet gazon synthétique, deux sobres bacs plantés de fargesias et de bougainvillées fleuries, pour la couleur, et ce petit espace tristounet deviendra un lieu de repos classieux.
L'ennui avec ces habitats collectifs, c'est l'exiguïté des lieux, et leur accès malcommode.
Nous en savons quelque chose, chez Lafitte, quand il nous faut débarrasser à coups de sacs poubelles des détritus, faire des allers-retours dans les ascenseurs (quand il y en a !), imbriqués entre un chariot plat croulant de terreaux, et deux ou trois plantes qui nous chatouillent les narines.
Dieu merci, mes jeunes collègues se chargent de tout ça, et je me contente de leur annoter les précisions sur le bon de livraison.

La grande Katrin s'annonce aussi pour tout à l'heure.
Elle est décidément un peu farfelue dans ses protocoles : les tubes de la dernière prise de sang ne sont pas homologués. Il faut recommencer l'opération. Bon.

Je peux maintenant intercaler quelques imprévus dans mes journées relâchées. 
Fini le temps où il fallait jongler entre heures de levers, de couchers de mon père, passage des infirmiers à ne pas manquer pour des transmissions du médecin, faire une place dans tout un réseau tramé dans le gris de la maladie.

Je me répète cette liberté nouvelle, pour me l'approprier, comme une nouvelle bête à apprivoiser.
On se connaît peu, elle et moi, depuis tout ce temps où je l'ai laissée à la porte.
Maintenant, elle passe mon seuil, à petits pas encore furtifs.
Elle me fait à penser à Tiago, allongeant le cou derrière la porte, pour voir si les chiens y sont.
Il se méfie. Ma mini-meute lui fait fête, maintenant, quand je suis là, pourtant.
Mais la situation paraît encore étrange, alors...

Alors, je laisse venir ce temps, je laisse aller celui d'avant.
Mes crispations se détendront, si rien ne vient me les chatouiller.
Je prends garde de me tenir loin de ces "zondes négatives".
Je prends le pari d'arriver à me faire mon chemin vers cette sérénité, toujours pointée, à portée, maintenant, peut-être ?
Je veux y croire.

Je sens déjà le mieux, quand, comme ces derniers soirs, je déambule dans les parages, sans me demander ce qui se passe à la ferme, pour mon père, pendant ce temps de liberté coupable.
Je n'ai plus besoin de me coucher tôt, pour profiter, dans l'urgence, sur les premières heures de la nuit, de ce temps de repos, avant que mon père ne se réveille et ait besoin de moi.

Je sais que j'ai toute la nuit pour dormir.
Je sais que je peux admirer le couchant, caresser les chiens longuement, regarder mes vaches paître dans le soir, arroser les fleurs, marcher le long du petit bois à cette heure déserté des trop nombreux promeneurs en journée.
Je sais que je peux faire du bruit dans la ferme sans déranger personne.
Me doucher à 22 heures.
Lire une heure encore.
Je sais que je vais m'endormir paisiblement, comme on glisse, en sachant être douillettement réceptionnée à l'autre bout de la nuit.
Je sais que mon temps de repos nécessaire ne sera pas haché, saccagé.

Je sais que ce temps de repos nécessaire m'est rendu.
Je sais que j'en ai besoin.
Je sais qu'il me faut lui faire sa place.

Je suis bien décidée à en profiter : faire ce qui me plaît, voir mes amis, m'occuper de mon grand mari, de mes 4 vaches, de mes 3 chiens, de tous ceux-là qui sont les vrais miens.

lundi 22 juin 2020

19 au 21 juin



Vendredi 19 juin 2020 6h30








L'aube presque idéale d'un prémisse d'été. Enfin !

Quelques nuages encore sardoniques ne décrochent pas. Le  beau temps est annoncé : le foin sera coupé d'ici ce soir !



Dans la cour, mes châtaigniers en culture ont nouvelle allure.

J'ai mis en forme mes plants : choisi une tige maîtresse, coupé les autres, sectionné les gourmands à la base des feuilles.
Tuteuré cette tige élue, pour la diriger droit vers le ciel.
Dans la nature, ce tri sélectif se fait tout seul, se fait plus tard, ou ne se fait pas.
Au gré des aléa naturels, de la concurrence, du sort ami ou contraire, la plantule se développe, s'érige, ou se fourche. Quand elle vit, survit, ne meurt pas.
Mes choix ne sont que les miens.
En sous-bois ou au plein champ, mes châtaigniers en devenir n'auraient pas eu le même avenir.
C'est la raison d'être de mon intrusion. 

Mes sélections, de châtaignes, au départ, de plants, ensuite, de tiges et de bourgeons, maintenant, s'avéreront judicieuses ou pas, les années passant.
Choisir, c'est renoncer. Choisir, c'est s'immiscer, s'insérer entre des possibles écartés.
Les insertions, c'est comme les greffes, ça ne prend pas toujours, ou alors, la réussite en est bien moyenne.
Je cours ce risque de faire moins bien, de faire  carrément mal, peut-être.
Je saisis cette chance d'améliorer, de faire mieux.
L'enjeu n'est pas crucial : dix petites châtaignes mignonnes jetées en sort entre mes mains bienveillantes.
Il peut-être majeur, si ces dix châtaigniers deviennent un jour lointain de beaux arbres à la ramure large, à la frondaison drue et aux racines profondément ancrées loin dans notre terre d'Agorreta. 
Je ne les verrai pas. D'autres le feront pour moi. Ca suffira à ma satisfaction modeste et pleine.



Nos arbres parlent d'un temps long.
Ils parlent de la force des racines profondes et de l'élévation de leurs branches haut levées vers le ciel.
Ils parlent d'une vie perpétuelle au travers des cycles infinis.
Je les regarde, et ils me rassurent et me confortent.





Ce magnifique chêne du pays a bien été un tout petit plant vulnérable issu d'un tout petit gland mignon.
Il y a plusieurs centaines d'années.
Durant les toutes premières, il a du plus d'une fois risquer d'être coupé, piétiné, dévoré.
Plus tard encore, on a pu le trouver ombrageux, mal placé. 
Ses bois ont du susciter la convoitise.
Plus d'une fois, il a sûrement manqué d'être rabattu, abattu, coupé, scié en planches.
Sur tant de siècles, il a essuyé des tempêtes, des orages, la foudre et les vents hurlants.
Les prédateurs et les maladies ont du venir rôder dans ses racines et dans sa sève vive.

Pourtant, il est là.

Il est là d'avoir été ce tout petit gland tombé à terre, ce tout petit gland minuscule et entêté, décidé à pousser sous lui une minuscule radicelle pâle et ténue.
Il est là d'avoir été une frêle plantule invisible dans l'herbe et la broussaille.
Il est là d'avoir été épargné, protégé peut-être, par une ou autre bonne âme, ou par un hasard heureux.

Il est là, d'avoir démarré, un jour lointain.
Il est là, d'avoir tenu, tout ce temps.
A voir sa charpente solide et généreuse, ses branches maîtresses parfaitement équilibrées et largement évasées, sa frondaison dense et saine, ses racines tumultueuses qui soulèvent la terre autour de lui, s'enfoncent sûrement sur des dizaines de mètres en dessous, il pourra l'être pour des centaines d'années encore.
Si une ou autre mauvaise âme, ou le sort contraire, n'en décident pas autrement.

Aujourd'hui, il est là, il est majestueux, impressionnant et émouvant pour ceux à qui les arbres parlent.
Pour moi.

Il est là, pourvoyeur de beaux glands charnus.
De l'un deux naîtra son successeur, peut-être, pour d'autres millénaires.

A moins que Kutzutzu la kintoa ne les dévore tous...












En voilà quatre autres de pleinement satisfaites : mes génisses rassasiées et tranquilles.









Dimanche 21 juin 7h





Les perturbations menacent de nouveau mon troupeau : Buru-haundi est en chaleur.
Trois semaines ont passé. Ses hormones ont fait leur cycle.
Les jours qui viennent, mes génisses vont se humer, se chevaucher, se tracasser l'une l'autre.
Graziosita se tient à l'écart, sagement. 
Katto Pelato, aussi lourde maintenant que sa grosse aînée, se contente de la rabrouer quand elle la sent trop importune.
Neska Motz s'en tient enfin à une ligne de conduite plus sage : elle esquive, et se garde de se fatiguer en affrontement.

Mes génisses au pré s'organisent en troupeau de femelles. Leurs cycles se calquent sur une même semaine.
Cette synchronisation de femelles viendrait d'une recherche d'efficacité procréative.
Un mâle peut ainsi ensemencer plusieurs femelles en peu de temps, au gré de ses pérégrinations de troupeaux en troupeaux.
On a mis longtemps sur le compte de l'activité de chasse vivrière, cette absence des mâles auprès de leurs femelles.
Que dire de la lionne allant chasser pour nourrir ses petits, quand son grand mâle paresseux se prélasse à l'ombre d'un baobab ?

On a admis qu'un seul mâle suffit pour plusieurs femelles.
Et que sa contribution s'arrête à la saillie.
Seuls les humains policés s'offusquent et s'échinent à tordre cette conception dans un souci d'égalité et de fraternité. La liberté, même eux n'y croient plus, les pauvrets !
Ils s'y fatiguent et finissent par se résigner

Constitutionnellement, dans la plupart des espèces, animales et végétales, le volet procréation est instillé inéquitablement entre les deux genres. (quand il y en a deux !)
La mise en présence, la fécondation, la pollinisation ou autre premier volet de la procréation, sont brefs. 
C'est ensuite que vient le temps plus lent de la germination, du mûrissement, de la maturation, enfin.
Commencer serait facile.
Tenir jusqu'au bout, une toute autre histoire...
Le top départ serait mâle. La longue course derrière, femelle.
Seule la mort ne connaît pas de genre.

Je ne sais pas si c'est une vision biaisée : j'ai comme l'impression que la femelle, animale ou végétale, se cogne la plus grosse partie du travail.
Institutionnellement, ça ne paraît pas équitable,  non?
Et pourtant...

Je suis mal placée pour en parler, souche stérile que je suis !
Ca ne m'empêche pas de donner mon avis, non mais...

Notre règne animal est majoritairement régi par ces deux genres inégaux en droits.
Chez la plante, la partition est plus subtile, généralement.
Pour ce que j'en sais.
C'est pour ça que je m'y penche volontiers.

Mes génisses sont donc en chaleur sur une même période.
Ca nous fait une semaine de troubles.
Pour deux semaines de paix.
La moyenne est encore favorable.




16 h








Le foin coupé vendredi sèche au grand soleil.
La grande parcelles aux rebonds ronds ondule sous la pirouette agile.


En nous promenant dans le sous-bois proche avec Olivier, nous remarquons cette curiosité botanique.







Une liane de ronce est phagocytée par ce que nous prenons au départ pour une clématite sauvage.
A y regarder de plus près, la feuille de ce parasite vorace est plus dure, plus vernissée.
La bougresse accroche un filament autour de la ronce, s'y chantourne en volutes serrées, puis, nourrie de la sève de son hôte malgré lui, étire une première feuille isocèle et tendre, puis, une autre.
Elle tire à elle la sève volubile de la ronce vivace, aspire cette vitalité en plein essor, et se la restitue, en feuilles luisantes au vert éclatant.

Je me souviens avoir vu les haies de ronciers, un peu plus haut, submergées de cette plante dont je ne connais pas le nom. Je n'avais pas remarqué le mode procréatif de cette nouvelle liane.
Difficile de s'y retrouver là dedans entre genres, espèces, fonctionnements équitables et autres billevesées.
De la force de vie à l'état pur, de l'élan sauvage et sans foi ni loi.
Ainsi va la nature, qui, de nos tentatives raisonnées et de nos sensibleries déplacées, se fait des manteaux !



Le sous-bois frais, ombré en plateaux par les noisetiers et les fougères voluptueuses, nous accueille dans son silence protecteur.
Nous cheminons lentement, respectueux de cette douve de verdure.
Plusieurs merisiers aux longs fûts étroits se sont couchés dans le fossé embroussaillé. Les tempêtes hivernales sont passées ici aussi. La végétation colonise ces bois morts. Quelques branches sont reparties, poussant de leur essence originelle des feuilles rescapées. 

Nous remontons.
Les foins vont bon train.





























Réapprovisionnements en plein vol, comme aux longs cours.

Ce cours si long des arbres vénérables.



lundi 15 juin 2020

12 au 15 juin




Vendredi 12 juin 2020  6h40










Ce matin, le ciel au levant est pur, à peine essaimé de nuagets même pas follets.
Sur la mer, pourtant, les gros volumes gris en suspensions lourdes n'annoncent rien de bien sûr.
Le temps n'est toujours pas aux foins. 
Quel dommage.... Nous aurions largement eu le temps en mai de boucler rondement des fanaisons de qualité.
Là, les jours passent, les tiges épient et se creusent, se couchent sous le poids de l'eau.

Sur la grande prairie pâturée par les moutons, le mal est moindre. Les fétuques élevées, les dactyles grossiers, quelques adventices acides, blanchissent le champ, et prennent une vilaine couleur de paille.
Les refus d'hivernage, ces brins de moindre qualité, dédaignés par les moutons fins connaisseurs, sont montés en graines.

Le meilleur ourdit en dessous. Les essences plus fines, le ray-grass  délicat, le pâturin nourrissant, les plantains savoureux et les légumineuses riches en protéines sont bien là. Le froid a freiné la pousse. Les tiges hautes prennent de la lumière, mais elles n'étouffent pas, trop maigres pour prendre toute la place.
Le foin sera mieux équilibré de ces pailles plus digestes.
Enfin, on se le raconte comme ça, pour faire contre mauvaise fortune bon cœur...

L'impatience nous gagne. Le dépit nous guette.
Les augures ne sont pas encore bonnes.
Il faut attendre.
Alors, attendons !



15h40


Je sors gentiment d'une longue sieste, quand j'entends les chiens aboyer dans la cour.
Je m'avance, ma tasse de thé à la main.

Je vois là une longue voiture noire. A son volant : Jésus.
Ce Jésus du : porque no haces tù un metro oxenta ?
"Pourquoi tu ne fais pas, toi, un mètre quatre-vingt ?

Que nous reprenons volontiers par un de ces codes de langage privés, régis dans le cercle fermé des gens ayant partagé une même expérience. Hermétiques à tous les autres, ces "remoutures" de réparties, ces termes particuliers, ramènent à des allusions plus ou moins fines, mais suffisamment goûtées pour accéder au rang de vocabulaire commun à l'usage d'un petit groupe.

Nous avons ainsi le "eeuhh ché pas !" (pour je ne sais pas), chantonné avec la lippe avancée de qui doute de ce qui pourrait advenir, mais sait pertinemment ne pas être ce qui est avancé. Comme on se gratterait la nuque en haussant des épaules impuissantes.
Celui-ci nous vient d'un ancien collègue d'Antton.

Le "il était bienn bonn avannt" nous est resté de ma mère, envoyant brutalement bouler Lucie quand elle déplorait les agissements coupables de son ex-compagnon. Evidemment "bienn bonn" à l'époque où il était preneur en place !

"Tenoria baziak" est issu de Mizel d'Axoenia.
Il tractait une charrette de foin, justement. Le chemin d'arrivée à la ferme n'était déjà pas fameux. La remorque tanguait, la pile de ballots empilés dessus oscillait dangereusement.
Nous pratiquions l’entraide entre fermes voisines, pour ces travaux saisonniers.
Mizel avait de son côté ses propres foins à rentrer, et le temps devenait peut-être menaçant, je ne sais pas. Toujours est-il qu'il pressait le mouvement. Au risque de faire chavirer notre chargement !
Un de mes frères installé sur le garde-boue à ses côtés lui fit remarquer qu'il allait un peu vite, secoué, sûrement, lui-même, assez durement, par les cahots répercutés en direct sur son assise.
En temps normal, Mizel aurait ralenti, rétrogradé, sagement adapté sa vitesse à la conjoncture.
Là, la situation n'était pas du tout de coordination. Son intérêt de ne pas perdre de temps allait à l'encontre de l'arrivée à bon port du chargement  qu'il tractait.
Enclenchant la vitesse supérieure, en dépit du moindre bon sens, il eut cette sortie :

- tenoria baziak !

- l'heure s'en va, mieux dit en bon français : l'heure tourne.

Dans les mêmes eaux : le "ez dute hauk astirikan !" "ceux-ci n'ont pas le temps!"
Dans sa jeunesse mon père et quelques autres jeunes vigoureux paysans prêtaient déjà main forte dans le voisinage pour ces fameux ouvrages de fanaisons et de moissons.
Ce jour là, le labeur avait été rude. 
Mon père et deux autres compères entrèrent dans la cuisine sombre de la ferme où ils avaient œuvré toute la journée. On leur offrit de l'eau fraîche. Qu'ils burent avec gratitude. En attendant un petit "krakade" (goûter), copieux, pour récompense de leur peine pas comptée.
Le maître de maison avait travaillé avec eux. Sa belle-mère, une vieille acariâtre bien peu avenante, n'avait aucune intention de se mettre en frais pour rassasier cette troupe de jeunes travailleurs affamés.

- Aizu Maria, prestatuko zinuke zerbait otronz mutill haukentzat ?

- Dis-moi Marie, préparerais-tu quelque chose à dîner pour ces garçons ?

- Bah José ! ez zazula pentxatu ere : ez dakizu hauk ez dutela astirikan ?!

- Allons José, n'y pense même pas : ne sais-tu pas qu'ils n'en ont pas le temps ?

Elle s'en tirait ainsi d'une belle pirouette, la vieille carne !
Le maître de maison s'inclina, penaud, et les jeunes repartirent, le ventre creux.

Depuis, cet "astirikan" "pas le temps" fleurit sur nos lèvres à la moindre occasion.

Il y en a ainsi beaucoup, comme le plus récent "marécage vaseux" de Beñat.
Il est ici question d'une situation pas trop nette, où l'on s'enlise facilement, si l'on n'y prend pas garde.

Toutes ces tournures en elle-même bien imagées et suffisamment parlantes, s'enrichissent de cette première fois, où, inédites encore, elles ont frappé notre imaginaire pour les années à venir.

Les "tenoria baziak", "astirikan" et autres,  sont en eux-mêmes assez plats.
Ramenés à leur contexte originel, il deviennent souvenir où nostalgie d'un temps passé, d'une occasion particulière, et amusement d'une sortie bien réussie, les rehaussent au rang de pépites d'un langage à usage des seuls initiés.

Le "un metro oxenta" de Jésus jaillit lors d'une dispute dans la cour de la grande maison, où un pugilat explosif entre voisins boursoufla en conflit généralisé, où les participants de première et seconde ligne se trouvèrent pris dans les hurlements et les gesticulations.
Notre Jésus est en lui-même un petit volcan aux éruptions imprévisibles.
D'un instant à l'autre, il passe de phrases amicales, presque tendres, susurrées charmeusement, à des imprécations violentes, assénées d'une voix aiguë, perçante, et terriblement énervante.
Le tout accompagné d'une gestuelle incontrôlée, trop vive, et fatigante en excès.

Je ne sais plus de quoi il était question au juste ce soir là. De places de stationnement des voitures, je crois. 
Jésùs était à l'époque locataire dans la grande maison. Il partageait la cour avec les autres, et ses activités de restauration automobile prenaient un peu trop de place.
Cette fois là, pour la énième fois, il y avait eu vive discussion autour d’empiétements et autres perturbations.
Un de mes frères, voulut s'interposer pour ramener un peu de paix dans toute cette agitation.
Mal lui en prit : il fut assailli par le diable Jésus, complètement survolté à ce stade.

Très vite excédé par les sautillements et les criailleries de cet intervenant agité, le frère se mit à hurler à son tour, traitant notre bon Jésùs de "medio polvo", demie poussière. Ce qui, le fait est, ne fait pas grand chose. Trop peu au goût de celui là qui se donne tant de peine pour occuper de la place.
Pour expliquer sa situation de précarité, Jesus voulut illustrer le phénomène de fatalité d'un parcours professionnel et d'un destin social peu favorables, par cette question :

- porqué no haces tù, un metro oxenta ?

C'est vrai, ça, pourquoi mon frère était-il petit, quand d'autres étaient grands ?
Pourquoi, lui, Jésùs, était-il au chômage, réduit à des activités à la marge de la légalité, quand d'autres avaient une situation confortable ?
Sa bonne volonté et ses efforts citoyens ne devaient pas être mis en cause. Le seul sort contraire devait lui en être responsable. Et sûrement pas, lui, coupable !
Le "medio polvo" en devenait une pure méchanceté gratuite.
Et le retour à l'envoyeur aussi cinglant qu'un revers de tennis percutant.

Nous reprenons maintenant cette saillie colorée, pour contrer une accusation injuste.
Et retournons ainsi dans notre mémoire collective resserrée à cette époque déjà tourmentée à Agorreta.

Je repensais à tout ça au moment où je reconnus Jésùs.
Un sourire m'en vient toujours aux lèvres.
Jesus ne vit plus depuis longtemps à Agorreta. Il circule quand-même dans les parages, et nous le croisons parfois, un peu attendris, maintenant que nous ne subissons plus les désagréments de ses excès de caractère.

Pour cette après-midi, Jésùs vient nous demander asile, pour une petite biquette mignonne.
Un de ses voisins veut la faire adopter : il n'a pas la place de la garder.
Je m'approche.
Pour avoir essayé d'attraper des chevreaux, je connais leur ressort et leur vivacité.
Cette petite va bondir dans tous les sens, me dis-je.
Je me penche. Elle tend son joli museau vers moi.
Je passe la main sous son ventre rebondi, et la hisse. Elle se love contre moi, câline.
Jesus nous contemple, les larmes aux yeux :

-que contento estoy, es tan cariñosa !

-comme je suis content, elle est si attachante.

Le fait est : elle l'est.
Et lui aussi, si on ne lui tient pas grief de ses excitations insupportables.

Je recueille la petite biquette. Je vais la proposer à ma belle-sœur. Elle en a déjà trois, et sa maison est celle du bonheur pour tous les animaux en souffrance.

La petite chèvre est adoptée sitôt vue.
Elaia la gourmande la baptise immédiatement Oreo, du nom de ces biscuits aux deux chocolats, blanc et noir.









Je laisse la biquette entre de bonnes mains. Elle explore soigneusement son nouvel habitat, repérant quelques brèches dans la clôture.
Gageons qu'à travers elle, le turbulent Jesus continue de se rappeler à nous, quand, essoufflés de courir après elle dans les champs voisins, nous le maudirons encore...


Lundi 15 juin 2020  18h00

Rivière.

La promenade dans les bois exubérants d'une densité végétale émulsionnée a été bien agréable.









Les ombrages piquetés de soleil bordent l'Adour calme.
Le "douil" cette eau stagnante en étangs mystérieux affleure un peu partout, entre les branchages bas.







Une silhouette fantasmagorique chevauche un plan d'eau jauni d’œnothères en fleurs.
Les bois morts haut torsadés enjambent l'eau immobile, comme une vieille prude retrousserait ses jupes.

Nous revenons d'un monde féerique.

mercredi 10 juin 2020

10 juin



Mercredi 10 juin 2020  15h35


Ce matin 6h40






Les cieux de ces derniers jours sont fantastiques d'indécisions, de perturbations tumultueuses et désagréables.
Il y a de tout, d'un moment à l'autre. Tout paraît possible, là, pour l'instant à venir, et son contraire le devient tout autant.
C'est assez déstabilisant.
Comme l'est cette période de déconfinement.
L'illusion de sécurité a volé en éclats. Le danger plane, invisible et latent.
Les relations s'en refroidissent. La distanciation sociale devient humaine, le geste barrière nous enferme et nous isole. L'autre n'est plus aventure mais danger potentiel, terre ennemie.
L'époque n'est pas à la joyeuseté, malgré les efforts des uns et des autres pour s'y accrocher.
Les conséquences de cet épisode coronavirus lècheront longtemps la grève de nos quotidiens perdus.

C'est le moment je pense de s'arrimer au présent, d'en profiter, sans s'appesantir sur l'hier, et sans trop se projeter vers un avenir suffisamment incertain pour faire le lit de nos plus mauvaises peurs.

J'ai regardé mon levant, en ai admiré les tons diaprés fondus dans cet or en puissance, les élans nacrés des nuages légers étirés vers l'est.
C'était bien joli, et, pour une fois, mon image en ramène assez fidèlement l'impression.

J'attends ma grande Katterin de Sare.
Elle s'est annoncée pour 17h. Ca me laisse le temps d'écriture, le temps de tondre la pelouse, de faire un tour de mes potées fleuries, et d'un bon coup de soufflette dans la cour.
Je me trouve bien de ces petits programmes allégés, suffisamment denses pour me donner l'impression d'une saine occupation, pas trop pour que je ne m'y essouffle pas.

J'irai en soirée, après le dîner, jusqu'au cimetière, repulper là bas aussi les compositions sûrement malmenées par les bourrasques.
J'y emmènerai les chiens : ils adorent fureter entre les tombes, débusquer un ou autre rat. Bullou s'y est fait mordre le museau, la dernière fois. Lola a un peu de mal maintenant à suivre le train quand nous promenons un peu loin. Elle s'y fatigue ses petites pattes, et récupère difficilement un mouvement fluide et sans douleurs, ensuite. La tournée cimetière lui va parfaitement : elle adore la voiture, et attend sagement dans les allées pendant que je fais les va-et-vient entre le robinet et la tombe.
Mes visites impies dans ce lieu de recueillement n'offusquent pas grand monde, à cette heure tardive.
J'en reviens le plus souvent pacifiée et alanguie d'une nostalgie douce et légère.

Ma belle Kattrin arrive pour une prophylaxie à contre-saison. Elle paraît un peu submergée dans ses dossiers. Elle travaille seule, et son "clinique vétérinaire Scheil" en annonce téléphonique est une manière d'esbrouffe.
Je l'ai connue à l'occasion de la si triste fin de ma toujours pleurée Bigoudi.
Dieu merci, cette fois, son intervention est moins tragique.
Les larmes de Neska Motz ne lui seront tout de même pas fatales !
Et mon agacement de voir mes deux noiraudes ennemies ne leur en coûtera pas tant...

Ma petite protégée à la robe d'ébène lustrée se porte mieux, de son œil quotidiennement nettoyé.
Elle continue de pleurer, mais ses humeurs se font plus claires.

Je pratique maintenant volontiers moi-même les bienfaits d'une bonne séance de larmes.
J'ai passé 52 années à les contenir, à présenter la face imperturbable d'un crocodile à l'affût, sans m'en autoriser les larmes suspectes.
Résultat de toutes ces années de contention : des vésicules auriculaires suffisamment congestionnées pour m'en faire exploser une ou autre membrane maîtresse. Bravo !

Alors, maintenant, un peu tard, peut-être, mais bon, mieux que jamais, je pleure.
Je pleure, pour un oui pour un non. Je pleure, comme on se libère, comme on se déleste.
Ces lâchers de lests, justement, j'en ai initié quelques uns, et je subis les autres.
Les premiers mouvements d'une vexation légitime dépassés, je tâche de faire fermer son vilain museau à mon orgueil, et de savourer une légèreté promise, qu'elle soit recherchée... ou imposée !
Toute chahutée que je suis par les augures du moment, j'ai du mal à maintenir mon cap, je tangue et vacille, mais tiens, encore.

Je préfère baisser les bras, oui, avant qu'ils ne m'en tombent.
Lever le pied, aussi, avant de le perdre, moi qui ne l'est pas trop marin.

M'amuser des mots, de leur musique et de leurs couleurs, comme on peint un tableau, en touches légères et chatoyantes.

Je préfère aller voir plus loin, plus haut, si l'herbe y est plus verte et l'air plus pur.
Chercher ma sacro-sainte sérénité, dans le silence éthéré de  l'azur.





lundi 8 juin 2020

08 juin



Lundi 8 juin 15h30


Mes siestes à rallonge vont finir par m'amener jusqu'en début de soirée !
Ce temps de repos m'est parfaitement bienfaisant.
Puisque rien ne me l'interdit maintenant, je ne vais sûrement pas m'en priver !

A midi, un très gros abat d'eau a "pleuré des rivières" en tumultes dans toutes les combes.
Les ruisselets d'eau chevauchés en losanges dodus ont couru vers la mer, bousculés entre les herbes hautes et dans les ornières.
Mon artisan en menuiseries alu s'est matérialisé derrière la porte vitrée, pendant notre déjeuner, en sympathique démon rieur.
Toujours rubicond et dense, sa grosse tête de bouledogue gentil posé sur ses épaules puissantes, je l'ai vu en repartant traverser la cour à petits sauts gracieux, écartant à leur amplitude maximale ses bras et jambes, qu'il a forts, mais courts.
Il s'est un peu attardé sur les difficultés du trafic transfrontalier en période de coronavirus. En a déploré les paperasseries, et la mort d'un sien beau-frère, terrassé en huit jours. Dans la même phrase, et sans trop d'articulations bienséantes entre les deux.

- Tenia dibabitis.

Le tour du problème était fait.

- hacia contrabanda de tabaco y de butano !
 hasta dos paquetes por dia, te vienen 300 euros al mes, y aqui, el doble !

- Je faisais du trafic de tabac et de butane !
jusqu'à 2 paquets par jour, ça te fait 300 euros pour le mois. Et, ici, (en france), le double !

L'homme est définitivement arrimé à ses contingences économiques.
Ses yeux aux paupières fripées sous l'abondance des chairs s'allument d'étincelles malicieuses.

Il venait récupérer un barcalon d'échelle oublié dans le grenier.

Ces artisans espagnols sont bonhommes, joviaux et attachants.
Cela tient-il à la chaleur du sud, à un système économique plus léger pour les entreprises, peut-être ?
Ou alors à une philosophie de vie, différente de chaque côté d'une frontière pourtant arbitraire.
Ces temps de coronavirus ont vidé les rues. 
Tout le monde se souvient pourtant avoir été saisi par le silence des rues hendayaises désertées, dès après 21H, quand à Irùn l'animation y est effervescente jusque tard dans la nuit.

La culture nationale imprègne loin jusqu'à la marge, dirait-on.



Mon petit troupeau reprend son calme.



Buru Haundi a passé cette période de chaleurs.
Elle retrouve sa placidité légendaire.







Graziosita et Katto Pelato ont connu elles aussi le coup de fouet des élans amoureux, sur les deux derniers jours.
Ces deux là sont autonomes, et referment sur elles la boucle.
Elles se flairent et se hument, tête-bêche, en une danse où chacune tour à tour pose le museau sur le flanc de l'autre, tête finement dressée, oreilles levées et croupe cambrée.
Je les ai séparées dans les stalles. Leur complicité les rassemble dans le pré.
Elles sont plus fines, plus élancées que les deux noires.
Elles resserrent autour d'elles leur groupe social, et gardent le reste à la périphérie.
Ce sont les deux seules que je voulais prendre au départ.
Les deux seules peut-être qui me resteront à la fin, si les deux autres n'apprennent pas à vivre ensemble. 
Là, je vais un peu vite en besogne : Antton, mon éleveur associé, ne serait sûrement pas de mon avis !
Mes impatiences fulgurantes me poussent souvent ainsi à des agissements excessifs.
Un brin de tempérance me vient. Je réagis moins vite, et moins fort. Du moins, j'essaie.
Mes deux noiraudes ne sont pas, et, je l'espère, ne seront jamais, poussées dans les parcours galvanisés d'un abattoir où les meuglements déchirants résonnent en échos poignants entre les murs froidement carrelés.
Mon idée est de les mener jusqu'au bout, ici même, comme je l'ai fait pour ma si gentille Bigoudi.
Mes vaches ne sont pas des bêtes à viande. Elles sont des êtres de chair, dont la placidité enseigne la mienne.




La soyeuse Neska Motz se repose des derniers assauts de Buru Haundi.
Elle s'en éloigne, et s'en trouve mieux.
Pour preuve de la sensibilité évidente de mes bêtes, je prends cette grosse larme venue au coin de l'œil de ma petite protégée en souffrance :




Elle aussi, elle a "pleuré des rivières".
Et, a reconnu, résignée : "à quoi ça sert ?..."

Je vais la soigner en tamponnant ce petit œil blessé d'une décoction tiédie de camomille séchée.
La réconforter comme je réconforte chacune des mes bêtes, dès que je la sens troublée.

Nettoyer ces vilaines humeurs et lui rendre le brillant de son pelage rutilant.

M'en tenir à "l'écume des jours", plutôt que d'aller me perdre "jusqu'au bout de la nuit".

C'est bien plus léger, et sacrément moins risqué !