lundi 30 mars 2020

28 mars



Samedi 28 mars 2020  16h

La deuxième semaine de confinement touche à sa fin.

A Agorreta, nous avons pris la décision de ne pas donner plus de place qu'elle n'en prend déjà à la pandémie. Le terrain des conversations glisse trop vite vers le coronavirus, et les crispations qui vont avec.

Confinés, soit, puisqu'il le faut, étouffés dans cette torpeur mauvaise, non !

Nous allons nous plier aux décisions de nos gouvernants, admettre qu'ils font de leur mieux, et que ce n'est pas facile par les temps qui courent.
Tout le monde se pose beaucoup de questions, sur l'après, le comment. Les préoccupations matérielles, économiques, s'invitent vite dans le débat. Avant l'après, restons pour le moment sur le maintenant.

Là encore, à Agorreta, nous essayons de tenir tout ça à distance, autant que nous le pouvons.
Nous avons cette chance immense de bénéficier des meilleures conditions.
Le confinement est plus facile, à la campagne.
Les préoccupations matérielles plus légères, quand on sait pouvoir tenir, évidemment.

Pour aérer le neurone, et lever la chape de plomb, rien de tel que mes châtaignes.

Les châtaigniers basques ont souffert des effets de ces ravages en masse : l'encre, le chancre, les ont disséminés, au début du siècle dernier.
Plus près de nous, le cynips les a aussi bien inquiétés.
Je suis assez coutumière des analogies oiseuses. Je maintiens pourtant la théorie d'un apprentissage bénéfique à retirer de l'observation de la nature. Les système d'auto-régulation, les équilibres retrouvés après les viroses et autres avanies botaniques, aident à comprendre.
Nous allons lutter contre le virus. Nous avons de bonnes chances, je l'espère, de le vaincre.
Les châtaigniers ont essayé de s'adapter et de résister aux maladies. Ils y sont arrivés, et l'homme, par l'introduction de variétés japonaises résistantes, a contribué à leur résilience.
L'homme, maintenant, en ces temps où les pandémies irradieront de façon fulgurante au travers des cinq continents, disséminés par des flux de plus en plus larges et rapides, trouvera sans doute la meilleure manière d'y résister.
Faisons-nous confiance : notre capacité d'adaptation n'a pas dit son dernier mot. Sans doute.

Je reviens ainsi à mes châtaigniers, comme à une source profonde et fondatrice.
Leur temps long, leur capacité de résistance aux éléments contraires, ouvrent une voie optimiste, et saine.
Je m'y avance, en confiance.

Le mauvais temps est annoncé pour les jours à venir.

Mes châtaignes ont bien commencé à bouger, dans mon banc de culture improvisé.














Le tout premier, surgi de terre en fin d'année dernière, continue sa pousse, gentiment. 

Il ne paraît pas préoccupé, lui, et ouvre l'une après l'autre ses feuilles oblongues et crantées.
D'autres sont venus derrière.
J'en ai pour le moment huit sortis, dont certains, tout récemment.
Une minuscule lance rouge darde son espérance, et nourrit la mienne.

Ces semis d'automne semblent réussis.
C'est le moment d'entamer la deuxième tranche de l'opération.

Pour le semis de printemps, j'applique à la lettre les directives de Germain Lafitte.
J'ai choisi un endroit bien exposé, abrité des vents froids, et préservé de l'humidité.
Un travail du sol en profondeur amènera de l'air dans la première couche, et favorisera une reprise de la vie bactérienne après l'hivernage.
L'axe nord-sud exposera les plants à l'est, optimalement.
Une bonne tranchée de drainage juste au dessus, dans le sens de la pente, évitera les excès d'eau.





La mise en oeuvre, quand la terre est correctement préparée, est toute simple :

un trou d'une dizaine de centimètres en profondeur, un lit de semis de terre légère bien émiettée.
Je pose là dessus ma châtaigne, germe vers le haut. J'imagine bien que, dans la nature, elle est tout à fait capable de trouver toute seule le chemin vers la lumière, même quand sa chute l'a bousculée cul par dessus tête.
Puisque j'interviens, autant le faire pour amener un mieux !

J'ai balisé mes trous de plantation. Paillé autour, de foin alourdi de quelques bouses fraîches.
Éparpillé à l'aplomb une poignée de sable de roche.
Mes châtaignes sont parées au mieux.





Sur la vingtaine de fruits que j'avais mis en caissette à l'automne, quelques uns se sont vidés, mangés par le ver pondu dans la fleur, ou séchés.
Mes dix plants ne lèveront pas.


Il en lèvera sûrement quelques uns, assez pour maintenir mon enthousiasme. 
Je repiquerai l'automne prochain ou le suivant les scions, suivant leur développement.

Les planches de culture de Sare et de Mendionde ont elles aussi démarré.
J'aurai suffisamment de matériel végétal pour préparer les hybridations.

Le temps botanique est long, bien plus long que ce à quoi nos impatiences aspirent.
C'est pourtant cette amplitude qui le rend pérenne. Prenons-en de la graine.



Lundi 30 mars 2020 9h






Il tombe des flocons, dehors.
C'est un temps à se confiner volontairement.
Je laisse les génisses à l'étable.
Elles ne réclament pas de sortie, douillettement lovées dans leur paillage soufflé.

Dans la vieille cuisine, le poêle ronronne.
Autour de la grande table, nous 'blocons" avec le paternel.
Un regain de forme lui est revenu.
Quelques équipements de traction et de levage sont maintenant nécessaires : et alors, n'ont-ils pas été prévus pour ?
Là encore, la capacité d'adaptation est un atout majeur.
Et ce vieux bonhomme là, souriant encore, n'en est pas dépourvu.
Par moments, c'en est même à se demander s'il est mortel...

mardi 24 mars 2020

23 mars



Lundi 23 mars 2020 15h19


Je prends le rituel de ce moment d'écriture, après la sieste, pendant que mon père dort juste à côté.
En une semaine de confinement, j'ai organisé mes journées selon un schéma raisonnable.

La qualité de la nuit ne dépend pas de moi. Je m'adapte au sommeil paternel, à ses phases calmes et agitées.
Au petit matin, je garde l'usage d'un lever assez tôt, avec un battement d'une heure par rapport à l'horaire "hors coronavirus".
Je fais ma petite série d'étirements entre 5h30 et 6h30. 
Les chiens ont licence de dormir dans la chambre. Ils repèrent parfaitement mes levers pour mon père, dans la nuit, et se contentent d'ouvrir un œil à mon passage.
Au matin, par contre, ils sentent immédiatement le lancement de journée, et viennent faire fête à qui mieux-mieux.
Petite mise en train ordinaire, remise en route de la machine, quelques mots avec mon père, avant de passer à l'étable.
Les vaches sorties au pré en début de semaine ne touchent plus au foin sec dans les râteliers.
Je leur distribue juste leur ration son et pulpe de luzerne.
J'ai à peine le temps de changer leur litière, qu'elles se recouchent, pour quelques heures de repos encore. 
Elles se sont elles aussi adaptées au rythme saison haute, et savent bien qu'elles sortiront autour des 10 heures.
Ensuite, la matinée se passe en logistiques ménagères et culinaires.
Beñat passe autour des 8 heures, au moment du lever du roi.
Nous prenons ensemble une collation, les nouvelles mutuelles de la nuit, et les projets pour la journée.
Ces temps-ci, forcément, les dits projets sont circonscrits dans la zone autorisée. Ce périmètre un peu flou de 200, 500, ou 2000 mètres ! autour du domicile, selon la source interrogée.
Le temps est aux incertitudes, aux adaptations impromptues et aux diktats improvisés sur le moment. C'est assez déstabilisant, mais bien compréhensible. Ce satané virus nous a complètement désorganisés !

Jamais comme ces jours-ci, je n'ai briqué la maison. Je découvre étonnée le brillant d'un pan faïencé, que j'avais toujours cru mat. Je m'applique à bien empiler le linge, alignant les bordures rebondies des plis. Je prends soin de coordonner les parures de lit, ton sur ton, ou alors, en contrastes agréables à l’œil.
Pour la préparation des repas, même chose : je prends le temps de composer des menus équilibrés, d'innover quelques plats avec les moyens du bord. 
J'ai toujours détesté faire les courses. Fait durer au maximum les denrées, pour m'épargner cette corvée. Mon attitude navrante avant devient maintenant méritoire, citoyenne.
Personne n'est plus sûr de rien. Il y a encore de la marchandise dans nos rayons de supermarché. Quelques étagères vidées suffisent à rameuter nos angoisses du manque. Les miennes sont vite en éveil, toujours.

Nous avons ici instauré un système d'approvisionnement tournant : chacun prend la commande globale, et le point relais se matérialise sur le banc de pierre, ou alors sur la table, en pierre elle aussi, à l'ombre. Ces deux points stratégiques, sur le passage de tous, suffisamment à l'écart pour respecter les distances protocolaires nous permettent d'appliquer les consignes à la lettre.
On se tient au courant des stocks.
Cette forme d'entraide, cette solidarité renforcée, fait du bien. Pas seulement à la logistique.

Un esprit anti-gaspi généralisé gagne les foyers. 
Il retrouve ici sa légitimité dûment éprouvé dans la circonstance.
Un sachet d'infusion, prévu pour quelques minutes d'immersion dans l'eau chaude, se voit recyclé sur trois utilisations d'un tiers du même temps.
Je ne nettoie plus mon bol à grande eau à chaque usage. Non, j'économise, l'eau de vaisselle, l'eau de nettoyage, les produits ménagers.
Je n'entame plus sans y prêter attention le sachet de brioches du petit-déjeuner paternel. Non, là encore, je compte en nombre de jours, et calcule le moment du prochain réapprovisionnement nécessaire. Je tâche d'ailleurs doucement de le convertir à la tartine beurre-confiture : ces gâches certes bien appétissantes, onctueuses de leur crème fraîche, moisissent vite, en un feutrage bleu-vert à l'acidité rebutante, même pour des papilles aguerries comme les miennes !
Lui, dont les entrailles sont maintenant bien délicates, je ne peux quand même pas l'empoisonner à la brioche gâtée !

Les différents transferts de vieil homme se font maintenant calmement, sans bousculade ni presse. Mes mouvements se calquent sur la vitesse des siens. Nous devons ressembler à deux marsupiaux sur leurs branches...

Deux trois riens et la matinée arrive sur les midis. 
J'ai un petit battement d'à peine une heure, entre deux tâches étirées en langueur confortable, pour y insérer une petite bricole, histoire de varier les journées. Cette semaine, je vais reprendre une petite tournée peinture. Il me reste un pot de blanc pour façade, je vais talocher ça ici ou là. Moins académiquement que jamais : le but n'est pas de faire un ouvrage parfait. Le but est de mettre du clair, du blanc, là où guette le plus sombre.

L'heure du repas arrive.
Les deux frérots s'approchent. Notre foyer confiné à quatre s'installe autour de la table ronde.
Ces jours-ci les thèmes de conversation s'étrécissent tristement autour du coronavirus.
On ne parle plus que de ça. A croire qu'il ne se passe plus rien dans le monde. A croire que ce minuscule virus, invisible et impalpable, a tout monopolisé, tout arrêté.
Nous continuons pourtant d'avoir des voisins, qui continuent eux-aussi de vivre, comme ils le faisaient avant.  Il doit bien y avoir des histoires, en dehors et autour de ce coronavirus.

Et bien non, il semblerait qu'il n'y ait plus que lui, lui à commenter, lui qui s'invite à table, dans la cour, partout.
La saison est belle pourtant, et le printemps exulte partout en pousses et fleurettes.
Quand je me promène, en fin d'après-midi, dans mon périmètre autorisé, je fais toujours le plein de sensations agréables. Pourtant, plane dans l'air cette étrangeté, ce silence un peu inquiétant.
La sensation si agréable des premiers jours, cet air de vacances, se pollue d'une menace de dilution dans un inconnu pesant.
J'ai perdu toute idée de contrôle. Je me sens soumise au bon vouloir de ceux qui décident de l'activité, de son arrêt, de sa reprise, sans que j'y comprenne grand chose. Les décisions sont prises dans l'urgence, dans l'inconnu d'un avenir difficile à imaginer.
Je vais écouter ce soir le président. Comme beaucoup.
Et appliquer.


Mon père grogne de bien-être. Je vais l'aider à se lever. 
Beñat arrive.
Nous allons partager la collation de l'après-midi.
Après, les laissant ici, je vais prendre l'air avec les chiens.
Puis, rentrer les vaches.
Préparer le repas du soir;
Nous préparer pour la nuit.
Lire un peu, avant de m'endormir.

Des journées ordinaires d'une période complètement hors, de l'ordinaire.


Mardi 24 mars 2020 15h30

Le soleil s'allonge voluptueusement sur le banc de bois devant le garage.
J'y ai siroté ma tisane, en épuçant les chiens.
C'est une activité bien plaisante, l'épuçage, quand on a besoin de se vider la tête. Comme ces courtisanes à la dentelle de nos tableaux romantiques, je me concentre sur la bêbête courant entre les poils retroussés. Les grosses blondes pleines d’œufs claquent grassement sous l'ongle, quand les petits mâles noirauds craquent sèchement. Les premières sont plus lourdes, plus faciles à saisir. Les seconds ne se laissent pas facilement attraper, se faufilent lestement sous le poil plus épais, à même la peau. Il faut aller les y débusquer.
Une petite chasse, pour moi farouche opposante au massacre d'un gibier sacrifié.
Pour m'exonérer et lever les contradictions culpabilisantes, je me dis que ces puces parasitent mes chiens, qu'elles sont toutes petites, et que leurs cervelets minuscules ne réagissent que par réflexe, non en conscience.
C'est sûrement faux, le cœur de la puce traquée doit s'emballer en saccades paniquées, ses émotions doivent lui étouffer la gorge, et les petits puceaux terrorisés doivent serrer les dents pour ne pas hurler de peur, quand ils voient leurs aînés emportés.

Toujours est-il que ces longues séances de déparasitage au soleil nous contentent, moi et mes chiens. C'est déjà ça, et fi d'une sensiblerie malmenée.

Je m'exonère facilement, je le sais.
De la même manière, un petit vent de honte m'a balayée, hier soir, en entendant un malade traiter d'imbéciles les inconscients qui prenaient cet épisode pour des vacances.
Je me suis sentie fautive. Je comprends bien sa colère, à cet homme cloué au lit, respirant avec grande difficulté.
Pour autant, me morfondre et me flageller allégeraient-ils sa souffrance ?
Puisque je fais tout ce qu'il est demandé de faire, puisque j'applique les consignes à la lettre, puisque je fais tout ce que je peux faire pour éviter de propager la contagion, ne puis-je pas tâcher de vivre ce moment au mieux ?

Je prends soin de mon père, vulnérable s'il en est.
Une grande fatigue creuse parfois de profonds sillons dans ses rides.
Mes jours et mes nuits sont de séquences hachées, entre deux soins et réconforts.
Il est content et soulagé de m'avoir près de lui, si disponible à ses besoins.
Je suis contente et gratifiée de pouvoir l'être ainsi.
Ce coronavirus est une catastrophe sanitaire.
Pour moi, ici, même si j'ai bien conscience de l'énormité à le dire, c'est l'opportunité d'accompagner au mieux mon père dans cette étape pénible.
Ma cadence ouvrière, un jour salarié sur deux, même si elle est aménagée au mieux par un patron à l'humanité rare, ne me permettrait pas de suivre cette cadence. Je m'y épuiserai. Je lâcherai la bride.
Je ne peux décemment pas demander deux fois un congé de fin de vie pour le même homme, tout de même !
On me l'a signé trois, ou peut-être même quatre fois, ce certificat de fin de vie, pour mon père.
Des médecins compétents ont estimé autant de fois que je pouvais prendre ce temps, pour lui, pour nous, dans mon parcours civil.
Je ne sais pas si cette fois est la dernière.
Je sais que cette fois, la possibilité m'est offerte, encore une fois, d'avoir cette chance de soulager une souffrance pareille.
Humblement, scandaleusement, je suis reconnaissante au coronavirus.

Au premier signe de souffrance chez les miens, à la première grimace de l'horreur sur un visage aimé, je prendrai conscience de l'horreur de ce drame sanitaire. Sans doute.
Trop tard ? Non, je ne le crois pas. Il n'est jamais trop tard pour repousser l'horreur. Toujours trop tôt pour la prendre sur soi, en allant la chercher avant qu'elle ne vous vienne.

Je fais ce qu'il faut.
Je fais ce que je dois contre le coronavirus.
Je fais ce qu'il faut.
Je fais ce que je dois pour mon père.

C'est peut-être la seule certitude qu'il me reste, en ces temps troublés.
Je ne peux que m'y accrocher.
Sinon, sombrer.








samedi 21 mars 2020

21 mars



Samedi 21 mars 2020 15h20


Mon père souffle doucement. Il se repose.
Par ce si étrange printemps, ces jours de silence et d'immobilisme, il n'est pas grand chose de mieux à faire que de se reposer, d'écouter les petits oiseaux. On les entend d'ailleurs beaucoup, maintenant, ces petits oiseaux, depuis que les bruits de notre monde en mouvement se sont tus.

Hier matin, en ouvrant la porte de l'étable, il m'a semblé apercevoir en fuite le vol saccadé d'une hirondelle fatiguée. Je ne l'ai pas revue depuis. 
Dans notre monde ces jours-ci en roue libre, dans cette période où on ne sait plus trop quel jour on est, pour ceux qui comme moi ne travaillent plus, ces repères temporels nous ancrent dans une forme de structure où accrocher ses dérives.
On se sent vite désorganisé, quand notre société le devient.
On se remet vite en cadence, tant que la nature tient la sienne.
Le temps en est bien plus long, et cette longévité  absorbe bien mieux les chocs que nos rythmes trépidants à la spontanéité crispée.

En attendant le retour de notre structure sociétale, j'écoute donc les petits oiseaux pépier; siffler, striduler, chuinter et gazouiller; bruiter, en nuances suffisamment variées pour en faire un langage coloré.
Ce langage en onomatopées, condensé de notre langage parlé, ramené à l'essentiel.

Par ici, d'ailleurs, depuis toujours, nous communiquons pas mal, par onomatopées; ces bruits, ces raccourcis, ces mots en sons.

Ces derniers jours, voyant mon père en petite forme, l'un ou l'autre, et lui-même le plus souvent, se lamente en un :

- Aïe, Aïe, Aïe... lento et decrescendo.

Dans les moments d'alerte plus vive, le bonhomme vocalise un :

- Oïy, oïy, oïy, montant sur les premiers, et descendant ensuite, en une courbe sinusoïdale isocèle. Très musical. 
Le bonhomme a toujours été musicien. Dans sa jeunesse, déjà, il pianotait sur l'accordéon. Depuis, il a toujours aimé les "kantus", les" bertxus", ces chants improvisés en vers.
Chanter lui vient naturellement, en écoutant la messe du dimanche, ou en impromptu, comme ça, par plaisir, ou alors pour fuir une conversation qui le dérange.
Chanter, comme on quitte la salle, quand le discours vous déplaît.

Ce matin, donc, mon père ne se sentait pas bien. Une mauvaise nuit l'avait tenu éveillé, et le déposait sur la plage du matin, exténué, découragé, alarmé.
J'essayai de le rassurer de mon mieux. L'exhortai à se reposer. 

- Dhia ! soufflait-il, fini naun ! je suis fini !

Pour autant, je ne lui trouvai pas la mine d'un agonisant. Il marquait sa fatigue, oui, mais son teint restait coloré, et ses mouvements toniques.

Remettant de l'ordre dans son lit, l'installant au mieux, je lui proposai son dentier, tout pur d'une nuit effervescente dans le gobelet.

- iltzekotan, obe dituzu lehen bai lehen hortzak jarri. Eta bizitzekotan, obekio emango duzu.

- si tu dois mourir, il vaut mieux mettre tes dents au plus vite. Et si tu dois vivre, tu auras meilleure allure aussi.

Il en convint et me tendit la caverne rose de sa bouche à garnir.
Il réclama ses médicaments du matin :

- bizpahiru oren gehio izatekotan.

- histoire d'avoir quelques heures de plus

La chambre et le bonhomme à jour, je proposai d'aller soigner les vaches :

- ez baldinbaze segiduan pasatzekoetan, behiak bazkatu behar nintuzket;

- si tu n'en es pas à trépasser de suite, je pourrais soigner les vaches.

- Bai, bai, ehiek beden bizi behar diten !

- oui, oui, elles au moins, elles doivent vivre !

- Zu ere hartan ematen duzu...

- toi aussi, tu parais parti pour...

- Bai !... hiltziak ez zian kesatzen. Sofritu, ez nahi ninken !!

- Bah ! Mourir ne me fait pas peur : c'est souffrir, que je ne voudrais pas !!

- baino baniet uste gorriak ikustekotan naizen...

- mais je crois que je vais souffrir le martyre...

-Ezin erran,

- On ne peut pas dire.

- Ez, alaun

- c'est ça.

Pour finir de le ramener sur une rive plus claire, je lui passai Olivier, au téléphone.
Ils hurlèrent d'un côté à l'autre de la ligne téléphonique, à tel point que je me demandai, si, depuis Rivière, avec un son pareil, il était vraiment nécessaire d'avoir recours à l'appareil.
Ils convinrent que la mort de mon père devrait attendre un prochain repas, pour nous retrouver tous réunis, après ce confinement obligé.

Je soigne mes belles. Je reviens dans la chambre.
Mon père ouvre un œil, au dessus d'une pommette rougie non pas de fièvre, mais du beau soleil d'hier.

- goxaldu behar ninkek.

- je voudrais déjeuner.

Pour un mourant...

- garbitaxunak ogian bertan egingo ditu. Gutxio nekatuko ze.

- je vais te faire la toilette au lit, ça te fatiguera moins.

Ces temps-ci, notre équipe infirmière ne passe plus, pour éviter la contagion d'une maison à l'autre; je suis là pour pallier.
Mon père de toute sa vie n'a jamais été aussi propre, douché, frictionné et pommadé tous les matins.
Il brille comme un sou neuf.

M'équipant du petit nécessité d'usage, je proposai :

- zuk egin pittilli, nik egingo dut ipurdi

En français, cela ne rend rien. Laissons tomber la traduction;
Juste pour les curieux : pittilli ferait kiki, et ipurdi, kuku.

Notre goût commun pour les bertxus se glisse partout. Pourquoi pas là ?

Arrivés dans la cuisine où Beñat nous attend, je lui raconte notre début de journée alarmée :

- zure burua gaki senditu duzu ? lui demande mon frère

- tu t'es senti partir ?

- Gaki, ez. Hura eldu, zuzen zuzenian, bai !!

- Partir, non. Mais elle arriver, oui, tout droit sur moi !!

On ne peut pas rire de tout, dit-on.
Mon père rit, lui, à gorges déployées, de sa propre mort.
Il lui jette ses éclats à la face.
J'espère juste que, bonne fille, elle ne s'en agacera pas...















jeudi 19 mars 2020

18 mars





Mercredi 18 mars 2020 16h40




Mon père se repose à côté.
J'ai définitivement pris mes quartiers ici. Le noyau de vie dans la ferme s'est étréci autour de cette chambre paternelle. Je me suis réappropriée cet espace vital. Le reste de la grande bâtisse s'ouvre au soleil, se ferme à la nuit tombée. J'y passe, sans y rester.
C'est un retour à la source, pour moi, qui ne m'en étais jamais éloignée bien loin ! 

Mon père fluctue entre des passes où il paraît en bonne forme, content, tonique, rose de bien-être, et d'autres, où une brusque fatigue grise ses joues.
Les séquences sont courtes, imprévisibles.
Il en est rudement secoué.
Des hoquets anarchiques dans les tubulures maîtresses le laissent désemparé, soumis aux caprices d'un organisme déréglé.
Des variations crispées dans les flux d'un sang fatigué compriment par moment ses veines en une tension douloureuse. Des frémissements se propagent en ondes dans tous ses muscles, agitant la chair ici où là,  en soubresauts incontrôlables.

Il reste pourtant souriant, la plupart du temps. Capable de rire de lui, de rire de son état, de ce grand âge, et de ce "coronavirus ostiori"  ce "sale coronavirus".

- Neri ez ziak kesatzen, 
- A moi, il ne m'inquiète pas,

nous explique-t-il, en riant toujours,

- Nik iltzeko arrisku haundiena gain gainian diet, orain !
- moi, le plus grand danger de mort, je l'ai juste au dessus de moi, maintenant !

Par moments c'est vrai, il paraît sur sa fin.
Et, une heure de sieste paisible après, il repart, fier, et presque droit !

"Ttrrèès" difficile à suivre, comme dit si justement Beñat.
Nous le suivons, pourtant, cahotant avec lui, à côté de ses pas hésitants.
C'est le mieux que nous puissions faire. Nous le savons, et  il le sait aussi.

- Beharrik kojonavirus ori, dit-il même,
- heureusement ce "couillon de virus",

- ola emen haiz;
- comme ça, tu restes ici.

Le fait est, je suis là, confinée.
Encore que, confinée, je le sois depuis bien avant ce virus, ici, par goût, et conviction que le seul monde pour moi, est là.
Pour le moment, ce temps de confinement me parait tout à fait séduisant.
Inconsciente des répercussions sanitaires graves de la pandémie, je savoure égoïstement ce temps en suspens, ce temps ralenti, ce temps perçu comme des vacances autorisées, obligées, et donc, légitimées par une raison supérieure.
Nos gouvernants avalisent une paresse sinon coupable.
Je savoure égoïstement ce monde plus silencieux, moi, dont les oreilles souffrent du bruit.
Je savoure cet intermède précieux.
De mon point de vue, seulement.
Et de celui de quelques autres, peut-être ?
L'envolée des demandes de chômages partiels, pourtant estimées par secteurs d'activité, au préalable, signerait quelques abus ? On ne sait, on suppute, avec un cynisme indécent par ce temps de crise aiguë.
Je suis cynique et mon esprit est mal tourné, je l'avoue et m'en flagelle. Et suis en apprentissage pour m'en corriger.

La reprise de l'activité, quand ce diable de coronavirus sera rassasié, ou neutralisé, sera difficile. Le nerf nécessaire sera vite en tension. 
Cette reprise d'activité sera indispensable, et salutaire.
Ce temps de repos perçu maintenant comme une parenthèse presque agréable, et pour moi, tout à fait agréable, d'ailleurs, serait lénifiant dans la durée, tout de même. 
Notre économie ne nous en laissera pas le choix. Comme le choix ne nous est pas laissé maintenant de stopper toute activité superflue.
C'est confortable, pour moi, toujours, de se laisser gouverner ainsi. D'avoir simplement à appliquer, en faisant confiance aux compétences des autorisés. Une passivité douillette d'adulte mal maturée me tient, aussi, en plus de mes autres failles. 
Je ne vais pas me flageller plus avant, allez !

Je vais savourer ce temps, en toute bonne conscience, puisque pour le moment, c'est le mieux qu'il y ait à faire. Puisque tout le monde doit se plier à la même règle.
Les sorties, les rassemblements, les déplacements libres et impromptus, j'évitais déjà. Ca ne me manquera pas. 
Je suis sans effort une citoyenne exemplaire de cette période étrange, irréelle.
Jamais je n'aurais imaginé un scénario aussi inédit. La sidération nous fige dans un immobilisme civique.

L'étrangeté de la situation muselle toute velléité de rébellion face aux dispositions annoncées. Quelques réflexes de la vie d'avant mettent simplement à la marge, vite ramenés dans le droit chemin par une système de contrôle autoritaire.
La discipline nous vient, nous, peuple désobéissant et contestataire.
Nos gouvernants doivent s'en étonner, et s'en souviendront sûrement, le cas échéant.
Qui sait si ce sera un recul ?
Tant de choses seront remises en cause, après ce coronavirus.
Il y aura un temps d'avant, et celui d'après.
Peut-être...

A moins que, vite oublieux d'un épisode traumatique, nous reprenions tous le cours de nos vies ordinaires, comme si de rien n'était.

Ce serait dommage, tout de même.

Dommage de jeter aux orties cette forme de solidarité imposée, où chacun reprend conscience de la vie collective par son manque, de la nécessité d'intégrer les besoins des autres dans son petit paysage intérieur, des notions perdues de vue de l'essentiel et du superflu.
Dommage de perdre de vue ces valeurs fondatrices et finalement rares.
Dommage de s'éparpiller à nouveau, quand le recentrage imposé a déblayé le terrain.
Dommage de n'en avoir rien appris.

Ici, je vais géographiquement me recentrer. Très prosaïquement, ne plus papillonner de pièces en pièces.
J'en aurai plus de temps et d'énergie pour m'occuper de mon père, sans le presser, en respectant ses rythmes de vieillard.
Ce seront les miens, si l'occasion m'est donnée de connaître les peines et plaisirs du grand âge.
La mémoire de ce temps de maintenant m'y aidera peut-être. Ou pas.

L'un des enseignements de ce coronavirus et de ses conséquences sur la marche effrénée de notre monde pourrait être le bienfait d'un ralentissement épisodique, pour repartir mieux.
Le bénéfice d'une remise à plat périodique, du recentrage de tout ce qui part dans tous les sens.

Comme on se jette à vivre après un deuil, comme on  redémarre plus fort après le repos, le marasme économique du moment sera peut-être l'occasion d' une relance tonique et positive.
C'est mon point de vue, mon espoir;

C'est aussi un enseignement d'une histoire longue, où d'autres pandémies, guerres, bouleversements écologiques et environnementaux, valse de civilisations, ont débouché sur autre chose, autrement.
Mieux ? Pourquoi pas !

Pour marquer le coup, deux trois anecdotes amusantes :

A la radio, un de ces derniers matins :

une femme s'interroge sur la possibilité d'aller chercher ses canards gras, commandés de longue date.

- vous comprenez, dit-elle, ça ne peut pas attendre : si on ne les tue pas comme prévu, ils peuvent mourir !
( parce-que si on les tue, ils vont vivre ?)

Parlant de la durée de vie du virus sur les objets :

- deux trois heures, et, si tu tombes sur la dernière heure, je ne te dis pas, tu es infecté jusqu'à la moelle.
( le virus, en fin de course, acharné à sa survie)

- c'est l'occasion de faire repartir l'immobilier ! tout le monde va vouloir venir vivre à la campagne !
( ou comment l'opportunisme cynique se fait des manteaux du coronavirus)

Nous perdons nos repères sociaux, nos certitudes.
Pourquoi ne pas en imaginer de nouveaux ?

Le président nous l'a dit, entre autres alternatives à nos activités coutumières suspendues : lisez.
J'extrapole : écrivez, réfléchissez, imaginez.

Et j'applique : flemmardez, c'est bien aussi, le temps que ça dure...

J'ai sorti mes vaches au pré.
Elles broutent l'herbe tendre, appliquées à leur gourmandise.
Sans se poser de questions, ni s'interroger sur l'avenir.

Je vais tâcher de faire pareil : faire confiance au destin, et à ceux qui gouvernent le mien.










mercredi 11 mars 2020

11 mars




Mercredi 11 mars 2020 15h



Notre si gentil docteur des familles vient de partir.
Une consultation au soleil, assis sur le banc, devant mon arbre rupestre.
Pour le moment, tout va bien;
Nous n'en demandons pas davantage !


Comme le disait ma mère, nous ne sommes pas maintenant "ongigaiak galduak" : perdus par trop de bien-être. Nous en connaissons le prix, de ce bien-être, difficile à conquérir, et plus encore à sauvegarder.

"Nous", c'est ce tandem avec le paternel, élargi à mes deux frères résidents ici.
Nous avons resserré notre cercle. Je me suis géographiquement rapprochée du noyau, prenant mes quartiers dans la vieille chambre du fond, celle-là même où tous mes frères ont poussé leur premier cri.
C'est plus efficient en situation de crise. Ca évite les aller-retours entre étages. Je suis au plus près de la cible. J'en économise mes pas.
Nos intimités respectives, cela fait bien longtemps qu'elles se confondent. Au point de voir ce "nous" fleurir trop souvent sur mes lèvres, et dans ma tête. 
Je dois prendre garde à me désolidariser de cette belle cause, perdue d'avance, dans son effet, mais lumineuse encore, dans son parcours : les derniers jours de mon vieux père.  Si ce ne sont pas des semaines, voire des années. Avec un animal pareil, on ne peut pas trop dire !

La vieille mécanique montre forcément des signes d'usure. 
Il faut y prévoir régulièrement quelques rinçages, nettoiements et décrassages. Les tubulures mollissent, les flux ralentissent : la calamine guette.
Un entretien périodique musclé assure encore une fluidité toute relative dans les circuits. A peine suffisante à en maintenir les fonctionnalités. Suffisante quand-même à amener de grands sourires de bien-être dans ce vieux visage parcheminé.
"Nous" ne visons plus depuis longtemps trop haut. La barre d'une arrogance impossible à tenir sur la distance est descendue suffisamment bas, pour qu'on puisse en conquérir le saut, encore.
Ca suffira, pour le moment.
Et la suite ne nous appartient pas...

Peu de gens finalement ont la chance de mourir d'un arrêt cardiaque serein pendant leur sommeil, ou d'une hémorragie paisible, si possible interne, histoire de mourir proprement.
La plupart s'en voient, des croix et des bannières, souffrent l'enfer sur terre, en espérant le paradis dans l'au-delà.
Tout est dans cette espérance.

Avant l'après-mort, il y a l'avant vie, ces limbes autour de nos vies conscientes.
De mes cours de biologie, me reste cette image où des millions de spermatozoïdes frénétiques se chevauchent pour pénétrer l'énorme ovule-reine placide, indifférente, dirait-on.
Un seul gagnant, rarement deux, exceptionnellement trois.

Une course effrénée, une presse de génisses affriolées se bousculant au portail.
Notre vie en va ainsi : naître et mourir sont une lutte éperdue, et vivre est un combat.
Pour lever le poids de cet implacable sort, ce même sort taquin nous offre ses distractions légères.
Le plaisir de contempler mes vaches à l'étable. Leur complaisance à se faire vigoureusement gratter l'entre-cornes. Mes Neskaks sont joliment parées : leurs cornes s'évasent généreusement, suffisamment longues pour pouvoir s'en servir efficacement, (le fessier plantureux de Berra s'en souvient !), pas assez pour se perdre en une courbe gracieuse, certes, mais moins conquérante; 
Elles se prêtent à l'encordellement, au moins;

Ma Katto Pelato semble aller mieux.
La grande Katrin ne viendra que pour me faire signer les protocolaires d'une prophylaxie ordinaire.
A la voir rôder dans les parages, mon père s'en est ému : le sort de ma regrettée Bigoudi planait-il au dessus de ses viscères elles aussi engorgées ?

Je pense toujours qu'une euthanasie douce est la meilleure fin que j'ai pu donner à ma pauvre bête.
Je pense aussi, me souvenant des râles de ma mère agonisante, que nous, humains, devrions pouvoir en décider pour nous-mêmes.
Je sais, pourtant, que si nous en avions eu l'idée, il y a huit ans, pour mon père, se tordant de douleur, désarmés et rageurs devant les médecins impuissants à le soulager, nous nous serions tous privés de ces huit années, de tous ces moments heureux, et il y en a eu beaucoup, venus après, et encore à venir, peut-être.

Nous ne saurons jamais. Nous faisons tous du mieux que nous pouvons, avec ce qui nous est donné.

Pour ne pas retomber dans ces réflexions "plombantes", je regarde le ciel lavé d'aujourd'hui, ce soleil un peu pâle mais déjà chaud de mars.
Je vais prendre l'air vif de cette toute fin d'hiver. 
Courber demain sans doute le dos sous les giboulées encore annoncées.
Pour ceux qui serinent "qu'il n'y a plus de saisons", mars leur grimace ses tempêtes et ses grêles à la face.






dimanche 1 mars 2020

2 mars



Lundi 2 Mars 2020  5h



Petit matin des nuits de veille.
Le vent souffle fort. Des éclairs fulgurants zèbrent le ciel à l'est.
Les murs épais de la vieille ferme en ont vu d'autres. Je m'y sens en sécurité. 
Ce vieil appartement rénové par mes soins pas très experts, mais pleins de bonne volonté, me plaît de plus en plus; je m'y sens vraiment bien.
Olivier arrive tout à l'heure, et, quand il est là, nous migrons à côté.
Ici, c'est ma tanière, pas très secrète, mais très bienfaisante.

Le paternel souffre maintenant d'une sale arthrose au genou. Il ne peut plus marcher. Il a commencé par troquer sa canne contre les béquilles. Puis, depuis hier, le déambulateur.
Le parcours inexorable d'une vieillesse implacable le rattrape. 
Chaque étape en est difficile. Et le but terrifiant.
Nous sommes repartis pour une danse, où j'essaie de l'accompagner dans sa lutte pour la survie, pour la reconquête d'une autonomie.
Nous partageons le combat. Comme si ce combat là se partageait.
C'est évidemment un leurre de croire que l'on peut amener quelqu'un jusqu'au bout, en partageant ses misères, en l'aidant de toutes ses forces à y échapper.
On n'y échappe pas. Et on y va seul. En voulant faire un brin de conduite trop long, on risque même de s'y laisser happer.

Je me félicite chaque jour de cette installation aménagée dans l'urgence, il y a près de neuf ans maintenant. Un bail. Neuf années où, lui et nous, avons connu le confort d'évoluer dans un environnement pratique et efficace.

Ma bourrique de mère en son temps refusait catégoriquement tous travaux d'amélioration.
Elle était dure, dure au mal, ne se plaignait de rien, et tenait à ne pas "coûter". L'argent était son credo… En manquer était son effroi. Au prix de plus de quinze ans de soins prodigués dans des conditions bien malcommodes !
Mon père a du céder à mon chantage honteux : à sa première hospitalisation, en 2012, je lui ai mis le marché en mains : 
tu es d'accord pour aménager une chambre de malade correcte, tu rentres à la ferme.
tu refuses, tu fais le parcours commun, hôpital, centre de convalescence, maison de retraite !

Le pauvre homme, affaibli par la maladie, a accepté, évidemment.
Il est des fois où il faut savoir forcer les assentiments, je le maintiens !

J'ai organisé une équipe de veille et de soins autour du paternel, en fin 2018.
Quand, à vouloir tout faire toute seule, j'ai failli un soir de crise envoyer ce pauvre homme au diable. Enfin, à Urt, n'exagérons rien.

Tout cela a passé.
Je me suis tranquillisée, à me sentir épaulée, par mes frères, par mes "femmes de vie",  par la compagnie d'infirmiers sympathiques et diligents.

Mon père est au mieux de ce qui peut être.
J'espère que nous tiendrons tous ce cap jusqu'au bout.

A chaque alerte, je pense évidemment sa mort prochaine. 
Il est tout de même dans sa 92ème année. Il a été donné pour mourant une bonne demi-douzaine de fois, sur les dix dernières, par la science médicale autorisée. 
Un jour viendra, c'est sûr, où ils ne se tromperont pas !

Pas sûr encore que ce soit pour cette fois.
L'homme est gaillard, encore, capable de se remonter, même si à chaque fois le palier de rétablissement est plus difficile à conquérir. Et s'abaisse.

J'espère juste tenir autant qu'il résiste.
C'est à se demander…

Je vais garder mon énergie au mieux.
Garder du temps pour moi, autour de ce temps pour lui.
M'économiser, comme on épargne, en vue de jours difficiles.

Mes chroniques en seront plus rares.
Je vais avoir besoin d'air. Et moins envie peut-être de bavarder ici.
Peut-être;
Je dois quand même penser à écrire "des soleils dans la nuit". Sic Boris.