Samedi 28 mars 2020 16h
La deuxième semaine de confinement touche à sa fin.
A Agorreta, nous avons pris la décision de ne pas donner plus de place qu'elle n'en prend déjà à la pandémie. Le terrain des conversations glisse trop vite vers le coronavirus, et les crispations qui vont avec.
Confinés, soit, puisqu'il le faut, étouffés dans cette torpeur mauvaise, non !
Nous allons nous plier aux décisions de nos gouvernants, admettre qu'ils font de leur mieux, et que ce n'est pas facile par les temps qui courent.
Tout le monde se pose beaucoup de questions, sur l'après, le comment. Les préoccupations matérielles, économiques, s'invitent vite dans le débat. Avant l'après, restons pour le moment sur le maintenant.
Là encore, à Agorreta, nous essayons de tenir tout ça à distance, autant que nous le pouvons.
Nous avons cette chance immense de bénéficier des meilleures conditions.
Le confinement est plus facile, à la campagne.
Les préoccupations matérielles plus légères, quand on sait pouvoir tenir, évidemment.
Pour aérer le neurone, et lever la chape de plomb, rien de tel que mes châtaignes.
Les châtaigniers basques ont souffert des effets de ces ravages en masse : l'encre, le chancre, les ont disséminés, au début du siècle dernier.
Plus près de nous, le cynips les a aussi bien inquiétés.
Je suis assez coutumière des analogies oiseuses. Je maintiens pourtant la théorie d'un apprentissage bénéfique à retirer de l'observation de la nature. Les système d'auto-régulation, les équilibres retrouvés après les viroses et autres avanies botaniques, aident à comprendre.
Nous allons lutter contre le virus. Nous avons de bonnes chances, je l'espère, de le vaincre.
Les châtaigniers ont essayé de s'adapter et de résister aux maladies. Ils y sont arrivés, et l'homme, par l'introduction de variétés japonaises résistantes, a contribué à leur résilience.
L'homme, maintenant, en ces temps où les pandémies irradieront de façon fulgurante au travers des cinq continents, disséminés par des flux de plus en plus larges et rapides, trouvera sans doute la meilleure manière d'y résister.
Faisons-nous confiance : notre capacité d'adaptation n'a pas dit son dernier mot. Sans doute.
Je reviens ainsi à mes châtaigniers, comme à une source profonde et fondatrice.
Leur temps long, leur capacité de résistance aux éléments contraires, ouvrent une voie optimiste, et saine.
Je m'y avance, en confiance.
Le mauvais temps est annoncé pour les jours à venir.
Mes châtaignes ont bien commencé à bouger, dans mon banc de culture improvisé.
Le tout premier, surgi de terre en fin d'année dernière, continue sa pousse, gentiment.
Il ne paraît pas préoccupé, lui, et ouvre l'une après l'autre ses feuilles oblongues et crantées.
D'autres sont venus derrière.
J'en ai pour le moment huit sortis, dont certains, tout récemment.
Une minuscule lance rouge darde son espérance, et nourrit la mienne.
Ces semis d'automne semblent réussis.
C'est le moment d'entamer la deuxième tranche de l'opération.
Pour le semis de printemps, j'applique à la lettre les directives de Germain Lafitte.
J'ai choisi un endroit bien exposé, abrité des vents froids, et préservé de l'humidité.
Un travail du sol en profondeur amènera de l'air dans la première couche, et favorisera une reprise de la vie bactérienne après l'hivernage.
L'axe nord-sud exposera les plants à l'est, optimalement.
Une bonne tranchée de drainage juste au dessus, dans le sens de la pente, évitera les excès d'eau.
La mise en oeuvre, quand la terre est correctement préparée, est toute simple :
un trou d'une dizaine de centimètres en profondeur, un lit de semis de terre légère bien émiettée.
Je pose là dessus ma châtaigne, germe vers le haut. J'imagine bien que, dans la nature, elle est tout à fait capable de trouver toute seule le chemin vers la lumière, même quand sa chute l'a bousculée cul par dessus tête.
Puisque j'interviens, autant le faire pour amener un mieux !
J'ai balisé mes trous de plantation. Paillé autour, de foin alourdi de quelques bouses fraîches.
Éparpillé à l'aplomb une poignée de sable de roche.
Mes châtaignes sont parées au mieux.
Sur la vingtaine de fruits que j'avais mis en caissette à l'automne, quelques uns se sont vidés, mangés par le ver pondu dans la fleur, ou séchés.
Mes dix plants ne lèveront pas.
Il en lèvera sûrement quelques uns, assez pour maintenir mon enthousiasme.
Je repiquerai l'automne prochain ou le suivant les scions, suivant leur développement.
Les planches de culture de Sare et de Mendionde ont elles aussi démarré.
J'aurai suffisamment de matériel végétal pour préparer les hybridations.
Le temps botanique est long, bien plus long que ce à quoi nos impatiences aspirent.
C'est pourtant cette amplitude qui le rend pérenne. Prenons-en de la graine.
Il tombe des flocons, dehors.
C'est un temps à se confiner volontairement.
Je laisse les génisses à l'étable.
Elles ne réclament pas de sortie, douillettement lovées dans leur paillage soufflé.
Dans la vieille cuisine, le poêle ronronne.
Autour de la grande table, nous 'blocons" avec le paternel.
Un regain de forme lui est revenu.
Quelques équipements de traction et de levage sont maintenant nécessaires : et alors, n'ont-ils pas été prévus pour ?
Là encore, la capacité d'adaptation est un atout majeur.
Et ce vieux bonhomme là, souriant encore, n'en est pas dépourvu.
Par moments, c'en est même à se demander s'il est mortel...