vendredi 22 novembre 2019

fin novembre



Lundi 18 novembre 2019 20 h

Enfin ! une journée sans pluie.
Depuis Toussaint, la première !
Samedi, ça a été le pompon : averses de pluie, crépitements de grêles, sans discontinuer. 
J'aime bien travailler sous la pluie, c'est vrai, mais là, je commençais à en avoir assez...

Aujourd'hui, le soleil revenu, cueille les roux et ors dans les frondaisons plaquées comme des tableaux profonds sur le ciel encore sombre.

En promenant, je me suis régalée de tous ces tons verts bruns, roux profonds ou éclats d'ors lumineux.
Les masses noires des fougères couchées, les gris légers des ramures dénudées, les verts lourds des prairies gorgées d'eau, les flamboiements intermittents des chênes d'Amérique ou des érables canadiens parsemés dans nos bois de feuillis d'ici. L'ensemble se fondait dans une harmonie douce aux formes rondes en volumes bien équilibrés.
Les montagnes en longues masses bleutées, juste derrière, faisaient contrepoint.

Ces couleurs automnales ne me sont pas nouvelles. Je m'en émerveille à chaque fois.
Et pourquoi ne le ferais-je pas ?
Je suis au contraire bien décidée à m'émerveiller autant que je le pourrai !


Mercredi 20 novembre 2019 8h




Une aube incendiée : je n'y croyais presque plus !









Ma main a du en trembler de saisissement, diluant dans un flou pas bien artistique  ces lueurs fantastiques.
Ca ne fait rien, dans ma tête, je m'en souviens bien. Un vrai beau spectacle, encore une fois. Sa rareté en ce mois le rend théâtral, davantage encore.

Je continue mes petits travaux de peinturlurage, arrêtés pour cause d'intempéries.
J'ai repris notre vieille plaque funéraire des familles.
Je me suis étonnée toujours de cette tournure grammaticale incongrue, mêlant en singulier deux êtres unis par une vie au long cours, pas tranquille, comme on apparie deux bœufs sous le même joug.
Ils étaient pourtant bien différents, Iñacio et Manuela. Dans nos souvenirs d'enfance, ils étaient comme l'ombre et la lumière; deux contraires et deux nécessaires pour exister l'un par l'autre.






Là aussi, ma main a tremblé, plus de maladresse que d'émotion, sans doute. 
Même si nos anciens murmurent longtemps dans nos veines en un bruissement ténu… mais, têtu !





Vendredi 22 novembre 2019 15h40





Quelques petites logistiques ordinaires me tiennent.
Une ou autre affaire courante et moins courante me font diversion.



Le vent du sud ébouriffe maintenant les ramilles déjà éclaircies par les volées dernières.
Non, vraiment, l'ambiance est bien assainie, ces jours-ci.



Je pense à mes aïeux quand d'autres perdent les leurs;
Nos vieux tout usés, amenuisés, rendus au presque siècle, s'éteignent comme une toute petite lueur vacillante.
Leur si longue histoire les a portés jusqu'à cette rive où il faut glisser, arrêter de lutter, laisser là les siens.
Leur mort paraît juste, leur vie a été si longue. 
Quand on a eu cette chance de pouvoir leur tenir la main jusqu'au bout, de les accompagner dans cette fin de voyage, la douleur de la séparation en est moins aigüe, peut-être.

La peine se pose tout de même là, sur le cœur de ceux du même sang.



Je pense à cette très vieille femme morte ces jours derniers.
Cette très vieille femme contemporaine de ma mère, avec qui elle a partagé tout un pan de notre histoire d'ici.
Ces deux là rejoignent dans nos mémoires la cohorte de tous ces gens valeureux aux destins bousculés par les guerres et les drames.

Qu'elles reposent maintenant en paix. Elles l'ont bien méritée.





vendredi 15 novembre 2019

mi novembre



Mercredi 13 novembre 2019 19h40

Ces jours pluvieux d'un novembre trempé appellent aux soirées longues dans les intérieurs qui ronronnent.
Après les mises à l'épreuve des tempêtes, les entrées en hivernage un peu hoquetantes d'un matériel devenu vétuste, tout rentre dans l'ordre. La vieille ferme tourne rond. Il y fait bon.

Je suis allée marcher dans les fougeraies aux frondes sombres écrasées sous le poids de la pluie.
J'ai parcouru mes sentiers favoris. 
Le soleil ruisselle en miel clair sur les noisetiers aux bois sombres.
Il enlumine plus loin d'un or profond les ramures encore feuillées des chênes aux formes rondes.

Tout goutte et glougloute encore sous les herbes froissées. Le long des talus, entre deux fossés, le ruisseau court, bondissant sur les pierres polies.
J'ai happé un soleil bienfaisant, entre deux averses chagrines.
Un ou autre claquement de fusil inquiétaient les chiens et en gâchaient leur promenade.
Encore une affaire de peur vite levée, et jamais tout à fait écartée.

Je marche et je respire mes paysages familiers aux couleurs chatoyantes. J'en fais provision comme de bois. Je les remise au sec, pour m'en réchauffer plus tard.

La beauté vraie se donne et ne se doit pas.
Je l'accueille dans la ferveur d'une gratitude simple et authentique.

J'ai fermé tous les volets. Les vaches à l'étable ruminent les yeux fermés. Les chiens roulés en boule soupirent de bien-être.
Tout s'apprête à la nuit.
Tout est tranquille.
Comme je le suis, là.


Vendredi 15 novembre 2019 15h14

J'étais donc bien tranquille mercredi soir, assurée d'être à l'abri dans mes vieux murs.
Pendant que je soupirais mon bien-être, une petite cascade s'organisait dans le boisseau de la cheminée ouest.
Une petite négligence d'entretien a du favoriser là une ou autre nichée de petits oiseaux des campagnes.
Ma nouvelle installation, quelques séquences chaud-froid, la persistance des précipitations fouettées d'un vent tempêtueux, toute cette conjonction d'insubordination a fait le lit d'un dégât des eaux caractérisé.
La suie gentiment endormie dans les cornières, brutalement liquéfiée par une montée en température un peu brutale, lorsque j'ai allumé mon poêle et l'ai fait carburer, un de ces jours derniers, a du vouloir protester.
L'eau, toujours taquine et prête à un mauvais coup, s'est trouvée là une bonne alliée.
Les brindilles séchées, les fientes durcies, toutes ces petites traces de la vie ailée, se sont mis de la partie, allez !

Résultat des courses : un boisseau sûrement engorgé, juste au dessous de l'ouverture du tuyau de poële.
Celui-ci, à qui les premiers frondeurs ont demandé :

  - Comment vas-tu...yau de poële ?

a jugé plus opportun  de ne pas s'opposer à ce mouvement de masse autour de lui. Il a embrayé, se laissant doucement coloniser par les brindilles enchevêtrées, poisseuses de suie, et mouillées de pluie.

Re-résultat des courses : un début d'inondation dans la maison. Le suintement, le long de la paroi intérieure, aggravé au sol en flaque, d'une eau grasse, noire, épaisse et mauvaise.

Ces jours derniers, je pensais avoir paré à un simple désagrément de très mauvais temps, au niveau de ce chevêtre légèrement suintant, déjà, en effet.
"Rejointoyage" artisanal, lessivage des premières traces de dégât, toutes légères, et bien discrètes, en comparaison de la catastrophe d'hier matin.

Je me croyais tranquille. Je n'aurais pas du !
Le mal était là, toujours en veille, et prêt à l'attaque au moindre signe de démobilisation des troupes du bien.
Ssssaleté !!

Qu'à cela ne tienne !
Jeudi matin, constatant l'infamie lors de ma petite ronde matinale, vite fait, avant d'aller travailler, toujours sous la pluie, à la jardinerie, j'ai contre-attaqué.
Petit un, circoncision des dégâts, essuiyage et lessivage.
Ensuite, les effets jugulés, traiter la cause.
Puisque le problème venait manifestement de ce boisseau en révolte souterraine,  j'allais lui couper son effet, à l'insolent, lui fermer le clapet, à cet impudent.

Sitôt dit, sitôt fait : je suis montée sur les toits, au jour pas bien levé, munie d'un grand sac poubelle plastique, et d'une bonne longueur de ficelle à ballots. La pluie s'était momentanément arrêtée, les lumières de la baie m'éclairaient assez.
Prudemment, pas du tout tranquille, là, pour le coup, je me suis approchée de ce satané boisseau. Une première inspection sommaire corroborrait ma thèse. Autour du petit édifice érigé, tout était en ordre, zincs et tuiles. Le préjudice était bien intérieur.

J'avais en tête la présence de l'antenne dans les parages, fixée à ma fameuse cheminée.
Elle risquait celle-là aussi, de m'être contraire, empêchant l'encapuchonnement aisé que j'avais programmé. Emmailloter le bébé autour de ces membres désarticulés compliquerait de beaucoup la situation de départ, assez simple. Un boisseau à chapeauter, ce n'est pas la grande affaire. Plusieurs râteaux métalliques à insérer dans le dispositif, c'est toute autre chose.

Au premier coup d'œil, je vis le sort contraire s'éloigner. L'antenne m'était même un prompt renfort, puisqu'elle me tendait ses bras où m'arrimer, et se fixait obligeamment au bas de la structure, laissant son sommet bien dégagé.
Bien appuyée contre le boisseau de la cheminée, gardiennée par les râteaux devant moi, hop ! j'enfilais mon sac poubelle béant sur le conduit maçonné. Pour plus de sécurité, j'en enfilais un second, histoire de doubler la mise. Deux trois bons tours de ficelle, et le tour était joué, ma cheminée dûment bâillonnée, et la révolte étouffée dans l'œuf.

Pendant la journée à la jardinerie, me revenait le petit démon grimaçant de la flaque de suie lapant mon carreau jusque sous le grand tapis de laine. Il s'amusait, le petit diable, tout ragaillardi par les averses drues de ce jeudi. J'essayais de le tenir à distance, de me remettre bien au centre l'image de mon chapeau plastique imperméable.
Les volées venteuses malmenaient la capuche de mon ciré, et la certitude du succès de ma parade sur la cheminée.

Au soir, un petit suspense désagréable me mena immédiatement au chevet de la convalescente.
Pas besoin cette fois de monter sur le toit. Le verdict serait tout à fait parlant, depuis l'intérieur.
Je poussai la porte, allumai, m'avançai.
Au sol, rien. Sur le mur, une légère trace, encore. Aïe... Mais non, mais non, me rassurai-je, tu as chapeauté le boisseau, tu n'as quand-même pas asséché la cheminée. L'eau, la suie, et les brindilles sont toujours là. Tu as coupé l'arrivée de l'eau. Très bien. Les survoltés affaiblis d'autant ne tiendront pas longtemps l'assaut. Sans le renfort de la pluie, le tas gluant s'affaissera, le tuyau se retrouvera au dessus du niveau, et l'ensemble ne fera plus suffisamment pression contre le joint du chevêtre pour s'immiscer dessous.
Mes arguments tenaient la route. Olivier au téléphone plus tard dans la soirée m'assura de leur justesse.
Aahh !! Je me sentais mieux. Pas tout à fait tranquille encore, mais en bon chemin.

Ce matin, le verdict s'est confirmé : plus de fuite.

J'ai fait un petit tour des alentours, et constaté :







De l'eau, ici aussi, beaucoup et partout, comme à Rivière lundi.
De l'eau, de l'eau qui court en filet mignonnet, 
de l'eau, de l'eau qui stagne et cerne ces pauvres piquets lacustres,
de l'eau, toujours, alentie en lac au bout d'un ruisseau au long cours,

de l'eau, tombée du ciel sur les hommes et leurs terres,
là où la main de l'homme n'est pas toujours heureuse...

J'ai consolidé tout à l'heure entre deux averses orageuses mon encapuchonnement improvisé. Les sacs de la jardinerie sont autrement plus solides que les miens. Un bon vieux tendeur oublié sur la grille de la descente d'escalier le cerne au plus près de la cheminée.

Un mien cousin viendra prochainement, travailler l'ouvrage en profondeur et le remettre en état de marche.

Tout sera pour le mieux dans le meilleur des mondes, jusqu'à la prochaine avanie.

lundi 11 novembre 2019

début novembre




Lundi 4 novembre 2019 10h50


Les parages ont été bien secoués dans la nuit de samedi à dimanche.
Une petite pointe sur les 4 heures du matin m'a soulevé une ou autre tuile.
Opération commando en fin de matinée, dimanche, pour parer au plus pressé.
Arrimée en sécurité à mon grand mari, nous avons remis de l'ordre dans tout ça.
Aujourd'hui encore, le vent souffle et la pluie cingle.


17h

En promenant, je remarque les branches cassées de mes châtaigniers, celles du bord de bois. Le grand liriodendron a aussi été élagué. Rien de grave. Les petits bois jonchent le sol, les feuilles froissées mouillées s'agglutinent contre les fossés.
Les colchiques dans les prés sont toutes chiffonnées.


Dimanche 10 novembre 2019 11h

Le temps ne se calme pas : grosse colère, tonnerres, éclairs, rafales rageuses.
Pas un temps à mettre un pépiniériste dehors ! Pourtant, il va falloir y aller. Sur la lancée de la belle arrière-saison, nous avons commandé du végétal en masse. Avec ce coup d'arrêt météorologique, rien ne sort, et tout arrive !
Nous faisons avec mes jeunes collègues de la mise en place sous les rafales et les trombes d'eau, empêtrés dans les cirés lourds de pluie.
Les jauges gonflent d'un trop plein de plantes, comme les terres se gorgent du trop plein d'eau.
Les averses drues fouettent les paysages, le vent colérique secoue les arbres et froisse les fossés.

Je bêlais sur les douceurs d'automne, les couleurs chaudes et profondes. 
Je romançais cette période de la maturité tranquille et apaisée.
Cette année jette mes rêveries aux orties.
J'aime pourtant aussi les volées brutales, parfois, cette secousse des éléments qui chasse les miasmes lovées dans la glue poisseuse d'un mouvement trop placide.
Là, pour le coup, du mouvement, nous n'en manquons pas. Les éléments se déchaînent en une révolte spectaculaire.
Une vraie horde de chevaux en pleine charge.

J'apprécie aussi la tempête, dehors, quand on est bien à l'abri. 
J'aime sentir les vieux murs épais de la ferme, sa charpente ancienne et solide.
Il faut peu de chose pourtant pour mettre à mal, cette belle quiétude.
Une gouttelette suintant le long d'une poutre, le cliquetis nouveau d'une fermeture approximative, une coulée d'air froid dans une huisserie que l'on croyait étanche.
C'est l'occasion de mettre la demeure à l'épreuve, le moment de colmater les brèches insidieuses et d'affermir les attaches flottantes.
C'est le temps de se préparer à l'hiver.
De faire provision de bois et de nourriture, comme au bon vieux temps, ce temps d'il y a longtemps, distillé jusqu'à nous et inscrit dans notre moelle. Les enseignes multicolores de nos supermarchés ouverts tous les jours, l'accès libre aux vivres, hors-sol et hors saisons, n'apaisent pas cette crainte atavique rivée dans nos gènes.
On continue d'avoir peur de manquer. 
Je continue, du moins d'avoir peur de manquer. Je ne suis pas dans le virtuel, où tout est possible derrière un écran, d'un coup de clic ou de doigt distrait. Je reste matérielle, attachée à la chair des choses, à leur poids concret et tangible. Mes envolées sont dans ma tête. Dans mes sensations et actions, je suis à ras de la pâquerette. Bien ancrée sur le plancher de mes vaches.

La peur de manquer me coule dans le sang, comme la sève roule dans la plante. Je m'apaise difficilement, et jamais pour longtemps.

Je l'ai dit déjà et je le répète, il faut du temps, beaucoup de temps et de jours paisibles, pour éloigner les peurs du manque et l'effroi du danger.
Quand il faut si peu de choses, un seul instant, un éclair mauvais ou une fulgurante seconde, pour mettre à mal un édifice si long à construire.

Le cours d'une vie, les sursauts d'une histoire, les hoquets d'un parcours jusque là plat, donnent la plupart du temps l'opportunité à nos démons grimaçants de relever le nez.

Je reste craintive, mal assurée.
Bien arrimée tout de même à une vie quiète;
J'en entretiens soigneusement les contours, et en cultive jalousement le noyau.

Boris Cirulnik, ma référence du moment, le dit bien :
Si nous étions en totale empathie avec notre environnement, nous n'aurions pas besoin de langage, ni d'écriture. Nous serions, sans nous poser de question, au centre d'un tout pareil au nôtre.

C'est dans la nuit qu'on écrit des soleils. C'est lui qui le dit. Ce grand spécialiste reconnu. Cet écrivain légitimé par une œuvre mondialement diffusée, et appréciée.
Moi, dans son ombre , je ne fais que me couler dans ce sillage éprouvé.

J'écris moins. Serais-je plus sereine ?
Qui sait...


Lundi 11 Novembre 2019 18h

Nous revenons de notre promenade landaise, dans la forêt et les barthes de Rivière.







L'eau, beaucoup, partout.
Les fûts des arbres restent amarrés à leur reflet dans l'eau boueuse, la base des troncs noyés dans plus de trois mètres d'eau.








Le pont du Vimport retrousse haut ses jupes sur ses jambes puissantes.
L'ouvrage paraît de taille à résister aux assauts des tourbillons de l'Adour.
Tout de même, l'eau haute susurre sa menace sournoise.











L'eau coule et roule sans gronder.
Le courant au centre ourle quelques remous ronds et lents.
Les pieux des bois debout s'enroulent de lacis silencieux aux méandres molles.
Un panneau de signalisation se hisse en un effort tragique, presque submergé par la montée de l'eau.

Derrière la futaie de jeunes chênes, là où les vastes plaines s'étalaient à perte de vue fin septembre, une mer plate et grise.
Un autre paysage, une vague inquiétude, pour la terrienne que je suis.
Les bêtes refluent vers les pâturages les plus hauts. Les grues tournent longtemps dans le ciel, à considérer les barthes noyées.







Les feuilles encore accrochées aux arbres, épuisées d'avoir tant résisté au vent mauvais, cherchent dans leurs dernières forces, la ressource de se parer des couleurs automnales.
Il va falloir aller chercher loin.

Ce vergne déjà sabré, reparti en pousses, et maintenant noyé, arqué pour garder la tête hors-d'eau, va devoir aller chercher loin, lui aussi, la lueur de la confiance en sa vie, la sérénité  et l'espérance lumineuse, quand l'eau sale vient lui chatouiller la barbe.

L'eau redescendra, sans doute.
La boue grise séchera le long des écorces blanchies.
Le paysage retrouvera ses contours.
Et la mémoire en gardera les traces.

vendredi 1 novembre 2019

Toussaint




mercredi 30 octobre 2019 17h40


Je reviens de promenade.
Le petit bois dénudé laisse passer le paysage derrière : les 3 couronnes toutes proches dans cette ambiance d'avant pluie.
Le paysan nettoie les prés. J'ai tondu ma pelouse.
Joseph-Louis est content : il a rentré du bon regain. L'hiver s'annonce bien, quand les greniers sont pleins.

J'ai été touchée pas sa réelle sollicitude  : 

    - Nik ez gehio ikusten eta, nioken, zer pasa zaio neska honeri ? Gaizki ibilli ze ero ?

   - Je ne te voyais plus, je me disais : que lui arrive-t-il, à cette fille ? (au passage, n'ayant pas eu d'enfant, je suis toujours restée la fille !) Tu n'as pas été mal, au moins ?
me demanda-t-il  en me tapant sur l'épaule en guise d'affection bourrue, mais sincère. Pas d'ironie ni de faux semblants, ici.
 Ca fait du bien, cette bienveillance. C'est fait pour !

Moi-même je m'observe. Avec bienveillance, aussi, et en confiance, quand-même, même si...
Je reste vigilante, guettant les signes. Tout de même, si je m'empoisonne avec la molécule, ce n'est quand-même pas en pure perte !

Les citrouilles sont remisées, le bois empilé, les châtaignes, endormies jusqu'au printemps prochain.
Maintenant, l'hiver peut venir. Comme dit J.Benameur, le vent peut souffler.


Jeudi 31 octobre 2019 20h28

Retour de la jardinerie. 
Xrebix, mon petit rouge-gorge est revenu : il se perche sur le cadre métallique de la serre, elle même juchée sur la pergola du fond de la pépinière.
Ses trilles enjouées donne le signal amical de mon mois favori.
J'ai toujours aimé Novembre, l'année finissante, la lumière plus rase et les soirées longues.


Vendredi 1er Novembre 5h30

Il est un peu tôt pour descendre à l'étable.
Dans ce créneau de fin de nuit me viennent ainsi les idées lumineuses. (d'après moi !)

J'entends mon père en bas.
La soufflerie de l'air conditionné dans les toilettes vrombit longtemps.
J'ai accompagné ces longues pauses, assis sur la lunette, de longues minutes, en attendant le maigre filet, quand ce ne sont pas quelques gouttes, pour sortir de soi la sanie. Un tout petit filet de sanie, de quoi désengorger au moins un tout petit peu la carcasse encrassée d'une calamiteuse calamine.
Le soulagement, immense, quand je trouvais, moi, que c'était affolant de ne pouvoir se libérer que si mal.
Le décalage des perceptions, l'intensité d'une satisfaction si peu accessible à un corps vigoureux.
J'ai accompagné le sommeil de mon père, ou plutôt ses brefs assoupissements, entre deux réveils agités. 
Il plongeait d'abord, quelques minutes, respirant calmement. Puis, très vite, son souffle se faisait chaotique, bruyant.
De mauvais rêves le faisaient geindre. Il s'en échappait comme le gibier détale.
Au petit matin seulement, après le passage de l'infirmier, il se reposait vraiment une ou deux heures. Le jour annoncé le rassurait, écartait les ombres profondes d'une nuit remplie des démons effrayants de la mort plus proche chaque jour, et plus tangible encore dans les ténèbres de la nuit.
J'en parle au passé : c'était l'année dernière, et je mettais ça sur le compte de son état dégradé.
Je comprends maintenant que ces nuits épuisantes pour moi sont le lot de beaucoup de nos anciens.
Qu'on vieillit ainsi, qu'on s'amenuise en s'accrochant à quelques bribes.

En s'y accrochant suffisamment ferme, et très résolument, pour mon père !

Qu'on peut vieillir bien, aussi.

Savourer chaque joie, petite ou grande, apprécier le confort d'un mouvement plus fluide, fugitif reflet d'une jeunesse perdue, s'étonner agréablement d'un pan de peau lisse, d'une chair encore tonique, ici ou là, quand le reste s'affaisse et se fripe et que chaque geste devient difficile.
Goûter chaque instant comme un cadeau somptueux, ne pas dilapider le temps qui reste, justement parce-qu'il en reste peu !

Que se souvenir d'avant, d'il y a longtemps, est peut-être la meilleure chose à faire, quand hier est plus proche de demain qui sent la fin.
Qu'il vaut mieux se mettre devant les yeux les images de ce temps de l'enfance insouciante et de la jeunesse qui flamboie.
Se délester pour faire une plus jolie place à ce qui mérite d'être retenu, emporté, peut-être...

Je vis beaucoup avec les vieux et la maladie.
J'ai vécu avec mes deux parents deux manières bien différentes.
Ma mère s'aigrissait davantage que mon père.
Sa maladie, sa vie, son histoire, l'empêchaient sans doute de faire refluer cette vague acide.
Elle résistait, pourtant, de toute sa ténacité.
Je me souviens avoir mis des mots, il y a longtemps, sur sa lutte :



J’ai connu de près une vieille femme malade. Son quotidien misérable et sa souffrance impossible à soulager.
J’ai pensé qu’il est bien difficile de voir venir sa mort à petits pas, comme ça.
Pourtant, chaque jour elle ouvrait les yeux, contente d’être toujours là. Elle menait une petite guerre contre le terme inéluctable, et chaque matin la trouvait victorieuse, vivante encore, même si mal.
Ce soir, je vais prendre sa place.
J’ai plus de quatre-vingts ans. Et je suis malade depuis longtemps, maintenant. Je ne marche plus, mon bras gauche est très faible. Je vois mal mais j’entends encore bien.
Mes enfants travaillent. Ils ne peuvent pas prendre soin de leur mère. C’est une femme de la ville voisine qui vient tous les jours s’occuper de moi.
Je préfère ça. Je dépends d’elle pour chacun des gestes de la vie. Je ne voudrais pas de ce genre de relation avec l’un de mes fils. Ca me paraîtrait anormal, d’être lavée, nourrie, couchée, par ceux-là même que j’ai lavés, nourris et couchés il y a si longtemps. Ce ne serait sûrement pas un juste retour des choses. Plutôt l’envers honteux d’un ordre naturel.
La maladie ne m’a pas jetée à terre brutalement. Elle m’a usée et sapée petit à petit. D’attaques en attaques, j’ai été diminuée.
C’est étonnant de sentir à quel point on est capable de résister. Je suis dans les faits un corps mort. Je ne peux plus me déplacer, j’ai besoin d’être lavée, essuyée, habillée. Un vieux nourrisson un peu dégoûtant. J’ai honte, quand on change ma couche souillée, je me sens misérable, écœurante.
Dans ma tête pourtant, je suis encore fière. Je ne me vois pas vieillie et malade. J’ai les mêmes idées qu’autrefois, les mêmes envies. Mais ma peau, mes muscles, toute cette chair molle et triste n’est plus qu’un tas inutile et sans attrait.
Je tombe dans un effroi sans fond quand je me réveille inerte. Mon cerveau fonctionne mais il ne commande plus rien. J’essaie de toutes mes forces de bouger une jambe, de ramener mon bras, et rien ne répond. J’en pleure de rage et d’impuissance. Je me sens prisonnière d’une tombe où on m’aurait jetée vivante.
Je hais ce corps mort, cette chair lourde et presque minérale. J’ai en horreur ces entrailles qui continuent de dégorger leurs insanités immondes. Si au moins tout se figeait. Je supporterais d’être immobile, si je restais propre. Mais non, il faut que la viscère travaille, se nourrisse et transforme.
Je passe mes journées à guetter l’avancée de ma digestion. A suivre le grouillement infect d’une vie souterraine dans cette chair morte. Je ne maîtrise plus rien. Je me dégoûte et j’ai honte.
La femme qui s’occupe de moi est gentille. Elle est très professionnelle et s’acquitte de sa tâche avec des gestes vifs et précis. Elle évite de croiser mon regard dans ces moments où je ne sais plus comment rester digne. Elle se dépêche de me rendre à moi-même.
Il y a toujours un petit flottement entre nous, entre ce rituel de toilette dégradant pour moi et la reprise d’une conversation normale. Un instant où la mort prochaine montre son sale visage et où seul le silence et l’efficacité froide lui répondent.
Quand l’horreur de ma dégradation me rend méchante, je m’en prends à elle, bien-sûr, à qui d’autre ? Je me persuade qu’elle dépend de moi autant que je dépends d’elle. Que je suis son gagne-pain, que c’est moi qui la paie et qu’elle m’est redevable.
Certains jours, je la tance pour quelques minutes de retard. Je lui ai demandé d’installer un réveil à grand cadran sur la commode en face de mon lit, et je reste là, les yeux rivés aux points lumineux de l’écran dans l’obscurité.
Je me torture autant que je la tourmente. Je l’imagine, cette grosse fainéante, vautrée dans son lit dont elle ne sort qu’à contrecœur.
Elle est célibataire mais m’a confié quelques aventures sans joie. Qu’importe, pour moi qu’aucune main ne viendra plus caresser amoureusement, c’est insupportable de la savoir allongée contre le corps d’un homme au petit matin quand je croupis dans ma souillure immonde.
Ces matins là, je l’entends arriver, pousser la porte de la maison qui résiste un peu. Et je la hais, de toutes les tristes forces qui me restent, je la hais.
Elle pose ses affaires et vient vers la chambre. Son pas lourd fait craquer les planches mal jointes du couloir étroit.
Je tremble presque, plus tonique que je ne suis capable de l’être par ma seule volonté, réanimée par la haine pure quand tout autre velléité me laisse amorphe.
Mes nuits sont des séquences de demi-veilles consternées et de mauvais sommeil plein de cauchemars.
L’œil rivé sur le cadran lumineux impavide, je souffre seule dans la nuit indifférente. Je regarde les heures passées, les heures de vie sans vie. Je me demande combien il m’en reste encore à regarder passer.
Je me dis souvent qu’il vaudrait mieux que je ne me réveille plus, que j’en finisse une bonne fois pour toutes.
Quand le sommeil me prend en douceur, quand mon vieux corps me laisse l’oublier comme il a oublié de vivre, sans révolte, j’ai l’envie de me laisser porter vers la mort. Elle me paraît presque accueillante.
A chacun de mes réveils pourtant, à chacun de ces sursauts qui ressemblent au bond en arrière du promeneur distrait qui s’est approché trop près du bord de la falaise et qui recule effrayé de frôler le vide de si près, je m’accroche désespérément à la vie.
Je me débats pour quitter cet entre-deux rives dont la berge noire tente de m’aspirer vers ce gouffre qui me terrorise.
Je n’ai plus envie de vivre, mais j’ai peur de mourir, une peur qui me crispe et me panique. J’en hurlerai d’effroi. Je me tais. Je garde ce qui me reste de force pour ne pas me laisser entraîner.
Je me dis que si je ne bouge pas, si je respire si doucement que personne ne m’entende, alors peut-être la mort ne me verra même pas, peut-être qu’elle passera près de moi sans s’arrêter pour une si misérable proie.
Ma vie est cette peur, mes nuits sont cette lutte.
Quelquefois pourtant, toute cette hargne, tout ce mal, desserrent leur étau. Je respire mieux, mes douleurs s’estompent un peu, une coulée de douceur fait son chemin en moi.
Je m’en sens illuminée à l’intérieur. Le bien-être inespéré me fait venir les larmes aux yeux.
Alors je vois le monde autrement. Je regarde cette femme qui m’aide à vivre avec reconnaissance, presque tendresse.
Je me montre gentille, je m’intéresse à elle et à ses histoires.
Ma vie de presque morte me semble moins terrible.
Je suis vieille, je suis malade, je suis vivante, encore.


Chacun fait comme il le peut...

Ma mère est morte maintenant. Elle rejoint dans la tombe ses parents.
Ses parents réfugiés d'une guerre atroce et fratricide.
Ses parents, arrivés à Agorreta juste après 36.
Ses parents, installés à la force du poignet sur ces terres fertiles.
Ils ont eu la chance de croiser la route et le destin de Jacqueline d'Aramon, la comtesse d'Orio, souveraine de la contrée.

Cette femme avait la culture de son aristocratie, sûre de ses prérogatives sur le peuple.
J'ai retrouvé ce bail à fermage de l'époque :











On comprend à sa lecture ce que c'était, être paysan, à cette époque pas si reculée.

Jacqueline d'Aramon d'Oberndorff, comtesse d'Orio, était aussi une femme de cœur et de justice. Je l'ai connue, je peux le dire.
Elle a vendu la ferme à mes parents, en 1966, un an après ma naissance.
J'ai recherché un cliché aérien de l'époque, pour me faire une idée de ce qu'était la ferme alors. J'ai trouvé mieux, plus ancien, 1950.




J'ai trouvé les traces de mon histoire familiale, précieuses et touchantes.
J'ai vu le travail de ces paysans, les rangées d'arbres alignés dans la combe, les pans cultivés d'une terre aride et dure.
J'ai trouvé l'empreinte des miens.
J'ai trouvé l'envie et le besoin de m'y recouler, de m'y refonder, pour continuer mon propre chemin.

Mon père et ma mère ont repris le flambeau de leurs lignées paysannes.
Ma mère s'y est usée.
Mon père l'a aidée, il l'a aimée. Ca aussi, je le sais, je l'ai vu, quand il a été là tout le temps de sa si longue maladie.
Maintenant il est bien vieux lui aussi.
Décidé encore à maintenir la flamme vive, jusqu'au bout.
Il me montre une voie pleine d'espoir et de joie.



Je n'ai pas expérimenté encore dans ma chair la déchéance et la grande souffrance.
Je les ai frôlées dans ma tête.
Je tâche de suivre la lumière, celle-là même qui fait toujours pétiller les yeux de mon père, encore, à 92 ans.



Je regarde mes paysages, je m'y apaise.
Je caresse mes bêtes, souvent.
J'aime, et je me laisse aimer.



Il faut s'astreindre à apprendre assidument, quand on n'a pas reçu l'insouciance et la sérénité avec son petit lait.

Le Basque est réputé méfiant, renfermé, taciturne.

L'histoire, ces origines mystérieuses, dit-on, parlent d'une douleur tue, cachée.
Sommes-nous descendants des réfugiés cathares, suivant la thèse d'Aizpurua ?
Sommes-nous trop marqués par toutes ces guerres meurtrières ?
La guerre civile espagnole, tout près de nous, la guerre mondiale, si vite après, sans laisser le temps de se relever de la première, ont marqué mes grands-parents, et mes parents, dans leur chair;
Elles les ont marqués suffisamment pour que les échos de cette souffrance viennent jusqu'à moi.
Comment s'étonner de ne pas savoir vivre en paix et bienheureux, quand le malheur et la douleur sont si proches encore ?

Un seul instant mauvais annihile toute une période tranquille.
Il faut du temps, de la patience et de la volonté, de la chance, aussi, pour surmonter une histoire douloureuse.
Cette histoire, ce n'est pas la mienne, en propre, mais c'est celle de mes anciens.

Elle me marque. Parce-qu'on est aussi de là d'où on vient. 
Comme on sera, je pense, j'espère, autrement, au delà de là où on est.
Et puis, le basque est aussi connu pour sa joie de vivre, ses chants et ses danses légères...

Dehors, la pluie chuinte et goutte.
Je vais peaufiner mes intérieurs, rendre plus joli mon décor, pour y accrocher mon espoir d'une vie légère encore.