mercredi 31 juillet 2019

31 juillet




Mercredi 31 juillet 2019 10h


L'atmosphère a radicalement changé. C'est un quinze Août avant l'heure, où on plonge résolument vers l'automne. Les nuits sont fraîches, les matins humides, les journées pleines d'une lumière adoucie.
Il y a à peine une semaine, ce fameux mardi 23 juillet, nous battions des records de chaleur, avec un petit 41 au compteur à la pépinière !
Grâce à mes climatères, je suis maintenant faite aux suées intempestives, et là, pour le coup, je n'étais pas la seule dans l'inconfort. Ca aide, même si ça n'allège pas.
Ma chronique ne devait reprendre qu'à l'occasion d'actualité brûlante. Une histoire d'eau s'y est nichée. Et, comme il se doit pour de l'eau fraîche tombée du très haut, a tempéré les ardeurs.
Bien-sûr, au moindre petit prétexte, j'ai trouvé matière à m'y remettre. 
Je suis faible. Je suis incorrigible. Je me pardonne ! Et pardonnerai sûrement à d'autres, allez…

Dans mes tentatives à devenir moins catégorique, je chemine.
Lassée des petites vindictes fatigantes, je me ressource dans mes observations bucoliques.


C'était lundi matin :





Je vaquais à quelque ouvrage comme je les aime. Du rendement, du qui se voit, du pas trop fin.


Après une série de rangements drastiques, j'entame une période rafraîchissements. Ca me prend, assez fréquemment.

J'œuvrais, assez satisfaite de l'avancée des opérations.
Une difficulté suffisante à restaurer mon estime dans mes capacités, déjà assez haute, je dois dire, mais tout à fait à ma portée d'amatrice peu éclairée.
J'étais en plein "smooth".
Mes lecteurs les plus assidus se rappelleront, pour les autres, qu'ils passent.

Je revenais régulièrement sur le plancher de mes vaches, la vieille étable, chercher un outil, caresser un flanc rond, ou partager une tisane.
Le temps ne me pressait pas, je n'avais pas d'objectif de rendement à tenir.

A l'une de mes descentes, deux toutes jeunes hirondelles se tenaient au plein milieu de l'étable, sur le ciment grossier, lissé par des centaines de sabots.
Depuis la mésaventure de mes deux rescapés défunts, le chapitre hirondelle me serre le cœur.
(Là, la référence est plus facile à retrouver).

Je vérifiai immédiatement l'absence de Bullou dans les parages. Ma grande chasseresse de volatiles n'aurait pas résisté à cette invite. Encore que, la vulnérabilité de si petits oisillons l'aurait peut-être émue, qui sait ?
Je préférais ne pas tenter la diablesse.

A mon approche, l'une des jeunes hirondelles à peine sorties de leur nid prit son envol, un peu maladroit, mais suffisant à la mettre hors de portée.
La seconde tenta de la suivre, mais resta au sol.
Je la ramassai. La déposai sur le couvercle du coffre à grains.





De là, pensai-je, elle pourrait plus facilement prendre son envol, et rejoindre son aînée. Ou sa cadette, il y a parfois dans les fratries des inversions dans les prises de risque.
Puisque j'étais là, j'en profitai pour remettre un peu d'ordre dans la litière malmenée par la sortie des vaches.
Un peu bêtement, par une de ces superstitions idiotes, je me promis toutes les faveurs du destin, si la petite hirondelle s'envolait dans mon dos pendant ce temps.
Je pensais que j'avais les meilleures chances de me garantir, puisque, très certainement, ma petite hirondelle porte-bonheur ne tarderait pas à suivre son aînée, ou sa cadette.

Deux trois fourchées plus tard, du coin de l'œil, je vérifiai : l'oisillon était toujours là, posé sur ses ailes un peu écartées. Elle s'est fatiguée, me dis-je, elle a pris peur quand je l'ai ramassée, elle est sous le choc, ça va lui passer, et elle s'envolera. 
Je tenais ferme à mon heureux présage.

Je retournai à mon ouvrage. Le sort de la petite hirondelle en un petit point d'interrogation s'invitait dans mon esprit. Les augures étaient moins favorables. La petite hirondelle aurait du s'envoler, et elle restait là. Ca n'allait pas.
Je ne pouvais pas tout à fait me concentrer à la tâche. Heureusement, elle ne requérait pas une attention trop vigilante, et n'en prit pas ombrage.

Je revins faire une ronde dans l'étable.






Aïe ! La petite hirondelle était toujours sur les planches. 

Juste un peu plus haut, perchée sur un brin du  rouleau de fil galvanisé, une hirondelle adulte veillait, tête penchée sur la petite.
Mes chances reprenaient courage. J'avais une alliée. Ce pouvait être la mère, ou alors une sœur, ou encore, pourquoi pas, une cousine germaine ? J'en tenais pour une femelle de la famille, comme ça, par conviction des élans maternels chez la gente féminine. 
La petite hirondelle se soulevait pour répondre aux sifflements de la grande. Mais elle ne décollait pas.
A mon approche, la mère, sœur ou cousine germaine ailée s'en alla.

Je repris la toute petite dans ma main. Je fus bien désagréablement surprise de remarquer quelques mouches plates et grises se faufilant entre les plumes luisantes. Ca sentait le cadavre, investi par les asticots  quand bien même la pauvre petite hirondelle soufflait encore, un peu fort, inquiétée sans doute d'être dans ma paume.
J'y vis un funeste présage, l'effondrement de mon destin lié à celui d'un oisillon déjà rongé par les vers.
Pour aggraver la situation, la sienne et la mienne, je constatai que ma petite hirondelle tenait l'une de ses minuscules pattes repliée. Je tâchai de l'allonger, elle se rétractait. Le pauvre oisillon avait du se casser la jambe, ou alors se fouler la cheville ? en tombant du nid. Apprendre à voler, ça lui faisait déjà bien assez. Avec une patte en moins, c'était trop pour lui.

J'étais accablée. Je reposai la petite sur les planches, l'installai confortablement, soufflai avec rage mais en douceur sur les mouchettes charognardes.
Elle mourrait, pas en paix.
La nature est dure parfois, et mon sort s'y plierait, comme s'y pliait la petite hirondelle résignée.

En attendant de mourir à mon tour, je remontai, pour me distraire de ce destin macabre et funeste. Les petits travaux domestiques sont un excellent dérivatif à la sinistrose débutante.
Je m'y attelai, bien décidée à vivre jusqu'au terme.

L'heure du déjeuner approchait. Je revins pour préparer le repas.
Mon itinéraire passe toujours par l'étable. J'espérais juste que la petite hirondelle serait morte, avant d'être dévorée vive. Je la poserais, celle-ci aussi, dans une douillette niche de foin ménagée pour elle dans la bennette à fumier.

J'étais prête. Le malheur s'abattrait sur moi. La petite hirondelle morte entraînerait avec elle tous mes espoirs et mes joies.

Et là…






Là, plus d'hirondelle sur mon coffre !

Je vérifiai bien tout autour qu'elle n'avait pas chu à terre. J'inspectai soigneusement la litière.
Non, la petite hirondelle n'était pas là. Bullou était restée avec moi à l'étage. Les deux autres chiens aussi. La petite s'était bel et bien envolée !
J'écartai d'emblée et derechef toute autre possibilité.
Mon destin reprenait des couleurs. Mes chances de vie, d'être passées si près du gouffre noir et profond, s'enluminaient d'autant.

Je repris le cours de ma journée et de ma vie, aussi légère que l'hirondelle dans le ciel.

vendredi 19 juillet 2019

19 juillet



Vendredi 19 juillet 2019 8h40


Décidemment, dans ces contrées campagnardes, il y a toujours un petit train d'affaires…
On dirait que dès que je décide de faire autre chose que ces chroniques mi figue-mi raisin, mes lecteurs les plus assidus en redemandent : ils créent le besoin, comme les meilleurs experts en communication consommative. 
Dès que je m'éloigne de ces pages, on vient me susciter l'envie d'y revenir, on vient titiller mes joutes épistolaires, on vient me chercher, quoi !
Alors moi, bonne fille, allez, j'y retourne.

Mère-Rhune toujours placide sourit en mère bienveillante aux facéties de ses protégés turbulents.




Mes citrouilles font leur travail de citrouilles : elles poussent, sans penser plus loin.
Elles font bien.







Ici comme ailleurs, ici comme partout, là où il y a des hommes, il y a des passions, grandes et petites, des flambées, grandioses ou pathétiques. Plus souvent pathétiques que grandioses, d'ailleurs.

Ces jours derniers l'actualité d'Agorreta est à l'eau. Oui, même l'eau, ici, met le feu aux poudres. 
Pas tellement celle venue du ciel, nous sommes en juillet. 
A celle qui pourrait venir, courir, bondir par dessus les rigoles et les fossés.
Dans nos campagnes, les conflits de voisinage fricotent forcément avec la nature, et ses éléments. La terre, l'eau, les ondes célestes et magnétiques.

Pour en revenir à l'actualité du jour, l'eau tombée du ciel, cette eau naturelle et attendue, crainte, aussi, l'eau de là haut atterrit ici bas. L'eau de là haut roule et se fraie son chemin, dévale et coule, sinue et s'infiltre, ici, là, là bas encore. 
L'eau descend, suit la pente, va du haut, du très haut, là haut, vers le bas, le très bas, ici bas.

Elle apparaît ici, disparaît là, et reparaît plus loin, comme le furet des champs.
Elle roule et coule à bas-bruit, sous les herbes, en rigoles sinueuses et sournoises.








D'où vient-elle ? Où va-t-elle ?
L'homme de la campagne s'en inquiète et scrute ces parcours intimes. Ils lui rappellent les siens.








L'homme de la campagne devrait savoir l'inéluctable de la nature et avoir appris à s'y plier.
L'homme de la campagne devrait savoir qu'il ne sert à rien de se plaindre au ciel qui laisse tomber la pluie, au vent qui emporte ses paroles vaines,  de tonner contre la foudre qui brûle.

L'homme de la campagne reste homme, pourtant, et la sagesse lui manque, parfois.


L'homme de la campagne, quand il met la main à l'ouvrage, n'est pas toujours bien inspiré, ni heureux.
L'homme de la campagne sait faire de jolies choses,







 et de bien vilaines, aussi.
Sans aller chercher plus loin :





























L'homme de la campagne n'est qu'homme, pas bien plus malin que la bête, qui rumine son foin sans penser à rien, elle.

vendredi 12 juillet 2019

12 juillet




Vendredi 12 juillet 2019 8h40


Je me rends compte, pour la énième fois, de ma soumission à cette exigence tyrannique de l'écriture qui se montre, plus justement dit que "qui se donne à lire".
Pour la énième fois, je vais tâcher de m'en libérer. Je sais d'expérience que cette résolution faiblit assez vite, mais, sait-on jamais, la dernière faiblesse ne s'annonce pas. On ne sait qu'elle est la dernière qu'après coup, et jamais de façon définitive jusqu'à la fin !

Mon idée est d'écrire, maintenant, puisqu'écrire, je ne me résoudrai jamais sans doute à m'en empêcher, et, d'ailleurs, pourquoi le ferais-je ?, d'écrire, donc, disais-je, des articles mieux construits, en des séquences  plus cohérentes. Hummm… 
Des petits livrets dans le genre de celui sur la châtaigne, que je ne publierai qu'à la fin, ou du moins ce que j'aurais à ce moment là considéré comme la fin. 
Toujours pareil, hein, si j'en suis capable, avide que je suis devenue du regard immédiat des autres. Cette immédiateté dont je suis devenue prisonnière et victime, puisque livrer sur l'instant expose à livrer une spontanéité pas toujours heureuse…

D'un autre côté, penser que l'on peut retoucher à l'envie, corriger ou présenter différemment, en se donnant du temps, me semble aussi un leurre. La tromperie trompe mais ne change pas ce qui a été. L'angle de vision, le décalage dans le temps appréhende autrement et éclaire différemment. Ca peut être bien, aussi, même si dans ma pratique ça n'est pas chose courante.
J'espère encore pouvoir m'amender, m'accroche à cette espérance. Ce n'est pas pour moi un but à atteindre impérativement, juste une expérience, une nouveauté, à explorer, comme un paysage agréable à regarder, parmi tant d'autres.

Je veux ralentir la course de mes petits chevaux débridés. Je ne tiendrai pas toujours la cadence, alors autant revenir au pas avant de se laisser désarçonner.
Un petit canotage sur un lac tranquille satisfera mes envolées passées de pleine mer. L'âge venant, on redescend de plusieurs crans la barre de ses ambitions, de ses rêves de jeunesse. C'est le juste parcours en cloche d'une vie ordinaire.

Mes futures "parutions" devraient être plus rares, mais mieux centrées.
Sauf actualité brûlante à Agorreta… 
Je vais continuer mon voyage au long cours de la châtaigne.
Je vais aussi m'arrêter sur mes expériences personnelles, les revisiter avec un semblant de méthode, pour en tirer, qui sait ? la substantifique moëlle.

Je vais faire ce que tout un chacun fait à ce mitan de vie, regarder en arrière, pour essayer de ne pas se tromper davantage en repartant.
Pas de défi pour moi, ni d'acharnement. Une tentative, mollette, et plaisante.

Ce "bloc" est devenu plus touffu que l'encyclopédie Britannicus, l'érudition en moins.
Il est censé servir de remise à souvenirs, de conservatoire de ces petits moments anodins qui fuient de nos horizons comme le sable fin entre nos doigts.
Evidemment, l'encombrement rend de plus en plus  difficile le repérage de ces moments.
Je ne m'y essaie même plus ! Ou alors par nécessité pratique.
Et puis, quelle illusion, penser que les souvenirs se conservent comme des pâtés en bocaux !
Les souvenirs restent, quand ils le méritent ou le doivent.
Ce qu'on oublie, ce qu'on confond dans une mouvance floutée, autant le laisser se perdre tout à fait.

La facette bien commode de ce "bloc", c'était aussi cette opportunité facile de régler quelques comptes. Cette communication à sens unique, sans contradicteur mais bourrée de contradictions, exsudent les vilenies, sans trop risquer de retours de manivelles. Les possibles commentaires, je ne sais pas où les trouver, et je ne les cherche  pas.
Je babille à guichet fermé, bien planquée derrière mon écran plat.

Pour avoir fait une ou autre incursion du côté de ces réseaux sociaux ouverts à tous les vents, mes interventions  semi guerrières restent bien gentillettes.
Quelle foire d'empoigne, ce Face Book !
Une seule image peut déclencher une avalanche. Peu de texte, quelques mots le plus souvent.
La facilité d'une surexposition risquée pourtant paraît séduisante à la plupart.
On se montre : voyez ma vie.
On cherche l'approbation : ne suis-je pas bien ?
On demande l'appui du groupe : qu'en dîtes-vous ?
On cherche un peu la bagarre, par des commentaires perfides ou carrément méchants.

On règle ses comptes, et on en fait spectacle.

Sous couvert d' "amis", de "j'adore", "j'aime", de "partage", on en met plein la vue et en prend plein les dents. On doit aimer ça...
Je dois avoir l'esprit curieusement tourné. Ne voir que les "zondes négatives".
Tout n'est pas mauvais, là non plus.
Je pense juste que l'humain là comme ailleurs a bien du mal à  faire le tri.

Allez, je brise ici. Et m'en vais balader plus loin.






lundi 8 juillet 2019

lundi 8 juillet



Lundi 8 juillet 2019 8h30




Toute dépaysée d'être à Rivière ce lundi matin, je vais piocher les images d'Hendaye.
Incorrigible moule accrochée à son rocher !

Les coupures dans les rythmes, les temps de vacances où on oublie les cadences du restant de l'année, ce n'est vraiment pas pour moi.
Pour faire plaisir à mon grand mari, et à l'occasion de certaines circonstances exceptionnelles, je prends sur moi, un peu crispée, mais bon, allez, on y va !


Sortie de ma ferme, je pense à la ferme.
Je pense à mes vaches.
Antton s'en occupe tout à fait bien, je le sais.
Mais j'y pense. Comme on se met devant les yeux une image qui vous fait du bien.
Pour ça aussi, Gueguel est bien pratique. De partout, il vous transporte et vous dépose juste là où vous vouliez revenir. Comme c'est commode !









Mes belles au pré :





Bigoudi, égale à elle même, attentive sans être inquiète. Elle regarde l'avancée de sa troupe de petites :







Et les petites s'assurent qu'elle n'est pas trop loin. Entre deux bouchées.







Graziosa, la gourmande un peu godiche,






Katto pelatto, intuitive et sereine,









Neska Motz, la plus petite, courtaude et coulée dans l'ombre portée de Bigoudi,







Buru Haundi, concentrée sur la pitance, l'aînée de la fratrie des Neskak, noire tachetée de blanc, avec sa bonne grosse tête, elle mérite bien son nom.




C'était il y a un mois.
Ma petite troupe est maintenant bien synchronisée dans sa chorégraphie.
Par ces journées chaudes, mes belles se remisent au frais, dans le fond de l'étable.
Elles sortent la nuit.
Elles reviennent à l'attache au moment de la distribution de leurs rations gourmandes.
Histoire de digérer dans les meilleures conditions, elles se couchent ensuite, une heure ou deux, ruminant paisiblement dans cet environnement sécurisant.
Elles sont bien placides, comme doivent l'être des vaches. Elles ne s'impatientent pas, tournent la tête quand elles voient passer du monde, se tiennent au courant de l'actualité locale, sans s'en émouvoir.
Elles connaissent maintenant parfaitement leurs places respectives.
En début d'étable, Bigoudi, bien-sûr.
Ensuite, Neska motz, et Katto pelato. Pour finir la série, Buru haundi, et Graziosa.
La grande est seule dans sa stalle. Les petites couplées par deux.
A leur arrivée, je pensais les apparier différemment : Graziosa et Katto pelato ensemble, les deux noires à côté. Les deux premières m'avaient immédiatement séduite, ça avait été le coup de foudre. Les deux noires, avec leurs cuisses exagérément soufflées, m'attiraient moins. Leur conformation est pareille. D'ailleurs, sur mes images, si on n'y regarde pas d'assez près, on les confond facilement. Neska Motz est tout de même plus courte de pattes que Buru Haundi, d'où son nom, fille trapue. Elle a aussi une tête curieusement fine, en rapport du reste. Ces deux là sont massives, quand les deux autres aux courbes généreuses aussi me paraissent plus élégantes...
C'est Antton qui avait insisté pour les prendre, mes deux noiraudes. Antton et le maquignon, bien décidé à me fourguer le lot. Il avait mis le paquet, y allant d'une sensibilité de circonstances, arguant qu'il ne fallait pas séparer ce que le Bon Dieu avait uni, ou presque. Cet homme ne recule devant aucun mélodrame, pour arriver à ses fins. Et avec moi, il faut dire, il y arrive très bien. J'ai beau repérer ses manœuvres, en flairer sans mal les ficelles, je m'y laisse toujours prendre !
Le plus souvent, pour ne pas dire toujours, je ne le regrette pas.
Là, avec mes Neskak, je m'en félicite chaudement. Elles me rendent au centuple ce que je leur donne !

Une petite hiérarchie, je le disais, se met doucement en place dans le groupe.
Comme dans tout groupe, dans mon modeste troupeau de vaches, il y a la meneuse, et les autres. Dans les autres, il y a encore des sous-hiérarchies. Tout ça fluctue dans une grande subtilité, à bas-bruit, mais sûrement. Comme le mouvement des plaques tectoniques. Des alliances se lient et se délient, des suprématies tombent, des stratégies s'enclenchent.









Bigoudi, par son ancienneté à la ferme, son âge et, pour le moment, son gabarit, garde la tête.
En bonne mère qu'elle est, elle reste bienveillante avec les autres, les guide et les conduit dans les parcours sortie et rentrée. Elles les mène à l'ombre, dans les endroits les mieux rafraîchis par des courants d'air ténus, quand il fait chaud.  Elle leur montre les bons coins, suivant les heures de la journée, où les herbes sont les plus tendres. A flanc de coteau le matin, près de la clôture en bas le midi, et sous les arbres le soir.
C'est elle encore qui donne le top départ des flux et des mouvements de la troupe.
Pas d'agressivité ni d'autorité brutale chez elle; Juste une suprématie installée, et admise, pour le moment...
Elle dirige, sans écraser. Le lâcher se fait toujours dans le même ordre. De la gauche vers la droite, au plus près de la grande porte de sortie. Graziosa d'abord, Buru Haundi, souvent tournée sur le côté, Katto pelatto dont la tête avance sur le bord de la murette de séparation, puis Neska Motz, un peu impatiente. J'arrive enfin à Bigoudi, elle me présente le col tendu.
Du temps de ses filles, Bigoudi faisait le tour des mangeoires de tout le monde, les écartant les unes après les autres. Beltza cédait la place, sans se presser, Rubita toujours craintive fuyait. Cette grande rousse, de loin la plus lourde et la plus forte, se laissait intimider par les autres, fortes de leurs liens de sang, sûrement, quand elle n'était qu'apparentée par le père...

Maintenant, quand je lâche Bigoudi, les petites en sont encore à grappiller un brin de foin ou autre. La grande les longe, sans essayer de les déloger de leur place. Elle s'avance vers le fond, frôlant ou bousculant les cuisses rebondies. Quand elle arrive à la balle de litière, elle s'y frotte voluptueusement, se déhanche et s'agenouille, même, pour se triturer l'entre cornes.
Les petites se reculent, tournent et virent dans l'étable, jamais pressées. Je remets les chaînes en place, nettoie les auges et rince les abreuvoirs. Elles me viennent, appuient leurs fronts sur ma hanche, lapent mon avant-bras de leurs mufles souples  et chauds.
Elles attendent que Bigoudi libère le passage étroit, entre la balle de litière et le Karrarro.
Si on laisse faire, ça peut prendre du temps...
Quand j'ai fini de rafraîchir le paillage, je pousse Bigoudi aux fesses, et détourne les Neskaks  vers la sortie. Tout le petit monde passe au fond, je tire la barrière. Elles déambulent un moment dans la stabulation, grappillant là encore un peu de foin au râtelier, s'abreuvent.
Elles sortent ensuite, toujours tranquilles, comme des reines à la parade.
Pas de précipitation, pas de sauts, pas de bousculade.
Toujours Bigoudi devant.

Vite derrière elle, et, sans doute, très bientôt, devant, vient Buru Haundi.








C'est la plus âgée des quatre petites. Elle va sur sa première année. C'est aussi la plus lourde, la plus massive. Elle le sent. Bigoudi le sent aussi, qui parfois lui fait sentir ses cornes, sans méchanceté, mais avec une pointe de défiance.
Les Neskak ont de leur race ces cornes atrophiées. De petits moignons arrondis pointent à peine de chaque côté de leurs têtes longues.
Bigoudi tient de sa Normandie des appendices bien incurvés, aux pointes dissuasives. De son chanfrein bref, elle leur fait prendre une courbe optimale, pour en chatouiller le flanc de Buru Haundi, à l'occasion. 
Elle voit venir cette concurrence sérieuse. Evalue sans doute le poids de cette suivante, et suppute dans un avenir proche une montée en puissance. Buru Haundi n'est pas une concurrente acharnée à prendre la première place. Elle sent simplement sa force en devenir, et ne s'y trompe pas. Elle sera très vite la tête légitime de la fratrie. 
La passation se fera sûrement naturellement, à l'occasion de la sortie du printemps prochain, au plus tard à celle de l'année suivante. Buru Haundi aura grandi, Bigoudi vieilli, et le rapport de force s'inversera. Ces deux là sont l'une et l'autre lucides et sages. Il n'y aura pas de rivalité déclarée. Un passage de relais serein, et admis. Buru Haundi fera une meneuse de bonne facture, tranquille et juste.
Sa bonne grosse tête velue dit la bête paisible et sans histoires. Ses fortes cuisses bigarrées bien plantées, Buru Haundi avance sans douter.









Plus rarement, Bigoudi  écarte Katto Pelato, dont elle perçoit l'impertinence. Notre petite ambrée, malicieuse, sait faire allégeance, sans plus. Elle est de bonne compagnie, ne se mêle de rien, et reste avenante à tous. Elle lutine ses sœurettes, taquine sans méchanceté aucune. Des quatre, c'est la mieux découplée, avec ses muscles saillants en volumes parfaitement équilibrés. Une beauté !












Graziosa, la grise, est une grande gourmande. Elle m'a beaucoup inquiétée, vite après son arrivée, en restant à terre, toute engourdie par une fourbure sévère. Je m'y suis attachée, dans cette épreuve traversée à ses côtés. Graziosa est la plus haute des quatre. Son appétit vorace lui arrondit le flanc et les cuisses. Ses attaches restent graciles. Son mouvement est hésitant, elle marche avec précaution. Vite distraite, elle se laisse facilement distancer, dans le pré. Elle lève sa tête fine au dessus des herbes hautes, et cherche son petit monde. Elle est très câline, présente volontiers son front à la caresse, et en redemande. Ma grise pommelée est tête en l'air, elle vit sa vie de vache et s'arrondit de jour en jour.








 Neska Motz, est la favorite de Bigoudi. Un air de Beltza petite ? Sa position à ses côtés dans l'étable ? Toujours est-il que, parfois, Bigoudi lape Neska Motz voluptueusement, en cadence, et la petite, bien contente, se frotte à cette mère adoptive.
Finaude, elle n'essaie pas de tirer parti de sa qualité de favorite, sans penser plus loin. Elle a parfaitement repéré la future prédominance de Buru Haundi. Ou alors, est-ce une fraternité de couleur qui les unit ? Elle suit Bigoudi, et se rapproche de Buru haundi. Des deux autres, elle tient compte aussi, mais on la sent moins accrochée.

Tout mon petit monde va et vient dans ce périmètre où chacune cherche encore sa place.
Les affinités se confirment : Graziosa et Katto pelato se suivent de près. Buru Haundi et Neska Motz copinent.
Bigoudi couve et veille.
Les prochaines saisons détermineront la trame encore incertaine
Je suivrai tout ça, observerai, et accompagnerai, comme il se doit.





lundi 1 juillet 2019

01 juillet



Lundi 1er juillet 2019 10h


Une ambiance amazonienne sature l'air d'humidité.
La nature est extrêmement poussante. Les fougères déploient de larges frondes emperlées de gouttes d'eau retenues en bijoux ciselés posés sur les toiles d'araignées. J'en ai contemplées hier, toute émerveillée de cette joliesse si fragile.

Cette dernière fin de semaine a concentré plusieurs petits évènements. De ces toutes petites choses anodines, dont l'insignifiance apparente me paraît pourtant digne d'être reportée, et retenue.

Vendredi, Beñat m'alerta sur la présence d'un petit oisillon tombé d'un nid, dans son garage. Il l'avait vu la veille sous son tracteur, et retrouvé, le lendemain, plus ou moins au même endroit.
La veille, c'était ce jeudi bien chaud, où la canicule étouffant une bonne partie de la France, était venue nous lécher les orteils. Beñat avait poussé vers l'ombre le petit oisillon maladroit.
Le lendemain matin, il fût tout surpris de le revoir là, vivant encore, même s'il paraissait bien mal en point.
Lui même attentif à ces petites choses de la nature, et connaissant mon goût pour la cause animale, vertébrée et invertébrée, il me parla de l'oisillon en perdition.
Je me rendis illico sur le lieu de la tragédie. Là, en effet, une toute petite hirondelle, pas encore plumée, ébouriffée d'un duvet léger, cahotait péniblement entre les planches épaisses de la fosse, tout près du pneu cranté du tracteur.
Attendrie et émue, je me penchai. J'attrapai dans ma main le tout petit oisillon, titubant, et déjà un peu froid. Le pauvret, il était si affaibli qu'il ne se débattit même pas.
En le ramenant, je vis, juste à côté, une autre petite hirondelle, guère plus vaillante que la première. Je la recueillis celle-ci aussi dans le creux de ma main. Tous les deux, si petits, si légers, ils tenaient facilement dans cette petite niche plissée.
A peine plus loin, deux petits cadavres, couchés sur le flanc, gisaient. 
Quelle tragédie avait bien pu décimer cette famille ? Quelle dispute de ménage, ou alors, quel cruel rapace fondu sur la mère hirondelle cherchant pitance pour ses petits, avaient-ils provoqué ce désastre ? Je supputais, désolée, devant ce sort implacable qui frappe parfois l'innocence.
Brisant là mes philosophades inutiles, j'entrais en action. 

J'ai déjà remis de petites hirondelles tombées du nid dans leur habitat, prenant soin de ne rien déranger. J'ai bien observé la réaction des parents, au retour. Le plus souvent, ces petits ont survécu, et j'ai pu surveiller, le cœur tout réchauffé, leur croissance et leur envol.
Nous avions avec mon frère repéré deux nids habités, lovés sur la charpente.
Je déposai les deux petits oisillons serrés l'un contre l'autre dans le tiroir en bois d'un rangement proche.
Nous dépliâmes une échelle à trois pans, et je me hissai, pour évaluer l'âge des petites hirondelles nichées là, et réintroduire les miennes dans leur fratrie originelle.
Arrivée en haut, je constatai dans le nid de droite la présence agitée de quelques têtes nues, à l'allure de mini vautours. 
L'hirondelle, cette vive et leste grâce virevoltant dans nos ciels, est bien laide à ses commencements. Une grosse tête aux yeux fermés, protubérants, nantie d'un large bec en triangle aux lèvres orangées, est posée lourdement sur un tout petit corps, presque transparent sur des os ténus en pointes, dont on se demande si elles ne vont pas transpercer la si fine peau, rougeâtre, mal couverte d'un duvet mince rappelant le crâne d'un très vieil homme.
La petite nichée s'agitait en soubresauts désordonnés, dérangeant le fouillis de plumes légères agglomérées  autour d'elle en chaude couverture.
Ceux-là étaient plus jeunes encore que mes deux protégés. 
Dans le nid de droite, plus personne, à peine dans le fond quelques fientes sèches, derniers signes d'une vie, là. Plus de plumes chaudes, plus de mouvements, du vide.
Mes petits rescapés étaient sûrement les derniers survivants de ce petit monde anéanti.
Je décidai de descendre ce nid déserté, pour y installer les petites hirondelles. Elles se sentiraient peut-être mieux protégées dans leur demeure ? Précautionneusement, en veillant bien à ne pas défaire l'édifice de brins de foin, de fientes et de terre, je délogeai le nid, et redescendis.
Je récupérai les deux oisillons dans le fond du tiroir.
Revenue à l'étable, je cherchai quelques plumes pour reconstituer un semblant d'habitat naturel. N'en trouvant évidemment pas quand on en cherche, j'eus l'idée d'en arracher quelques unes, toutes chaudes, sous l'aile de l'une de mes vieilles poules. Puis, présageant le courroux de ces volailles vite acariâtres, je me défaussai vers quelques bulles de coton. Les hirondelles du cru gazouillaient en voletant sous les pannes du plancher du grenier. J'espérais que ces bruits familiers allaient repulper le moral de mes bébés hirondelles. C'est important, le moral, dans des circonstances aussi désespérées. L'environnement était optimalement reconstitué.  
Mes petits oisillons se lovèrent dans cette douceur. Ils avaient meilleure allure, ainsi installés.








Il fallait maintenant s'occuper des conditions de survie.
Je m'en fus quérir une cage chez mon autre frère, avec une boîte de pâtée pour chat.
Mon idée était de nourrir mes petits protégés avec une bouillie de cette pâtée mélangée à de l'œuf. S'ils acceptaient cette becquée improvisée, peut-être s'en sortiraient-ils ?
Je mis la manœuvre à exécution. Tout doucement, j'aspirai un peu du mélange. 
Je m'approchai. J'avais enlevé le haut grillagé de la cage : les petits oisillons si faibles ne risquaient pas de s'envoler, les malheureux mignonnets !
J'approchai la seringue. 
Autour de nous, d'autres tout petits réclamaient leurs pitances, sifflant en courtes séquences stridentes.
L'un des miens se mit à l'unisson, ouvrant large son bec orange. Vivement, je poussai le piston. Dosant mal mon effet, une giclée généreuse faillit étouffer l'oisillon. Après quelques hoquets, il avala sa goulée, retrouvant peu à peu et avec quelques difficultés la disponibilité de son circuit digestif. J'avais bien failli le tuer pour de bon, maladroite que je suis !
L'oisillon ne se montra pas rancunier, ou alors son instinct de survie lui fit-il dépasser ces petitesses. Il rouvrit largement son bec. Je pris garde cette fois-ci, dents serrées sur une concentration presque douloureuse. C'était mieux : la bouchée plus petite fût aisément et goulûment enfournée. La petite hirondelle avalait avec application, ramenant sa toute petite tête entre ses frêles épaules, pour arrondir au mieux sans doute la courbe de son minuscule tube digestif. 
Je me liquéfiais d'émotion. 
Cette si petite chose, ce tout petit oisillon, si près de mourir comme ses pauvres frères, s'accrochait à la vie de toutes ses petites forces. C'était à serrer les cœurs les plus endurcis, et à faire fondre le mien, si vite emballé.
Le second oisillon était amorphe, lui. Il ne manifestait aucun intérêt pour ce qui se passait à ses côtés. Je lui présentai au bout du bec ma seringue, il ne réagit pas.
Je distribuai quelques gorgées supplémentaires au premier, toujours aussi bon élève. Je considérais qu'il en avait assez pour être repu. Venant de là d'où il revenait, il ne fallait pas le gaver, non plus !
Je laissai là mes petits, remettant le couvercle grillagé. Il ne fallait pas que ma Bullou, si chasseresse d'oiseaux, me les emporte. Encore qu'il y ait un semblant de déontologie dans la tête de cette chienne. Elle attaque avec acharnement les oiseaux en vol, mais respecte la faiblesse et la vulnérabilité, flairant sans y toucher une volaille à terre.
Je préférais nonobstant prendre cette toute simple précaution. On ne sait jamais, si une pulsion soudaine ruinait les bonnes pratiques de mes chiens, ce serait tout de même dommage d'y sacrifier mon début de réussite.
J'étais très optimiste pour la petite hirondelle qui mangeait, désabusée quand aux chances de l'autre.
Je les laissai là, pour vaquer ailleurs.

Deux heures après le sauvetage, je revins nourrir les oisillons. Je m'attendais à trouver une seule survivante, l'autre ayant sûrement fini de mourir. Je lui aurais au moins assuré une fin en douceur, gentiment lovée dans le coton, accompagnée dans cette terrible épreuve par la chaleur de son petit congénère.
Ce  dernier petit, tout seul, risquait évidemment d'en prendre un coup, et de succomber à sa peine. Ou alors, galvanisé par sa condition de survivant, justement, s'accrocher plus fermement encore.
Je ne suis pas suffisamment calée en psychologie volaillère, je m'en remis au sort.

A ma surprise reconnaissante, je vis en revenant vers la cage, deux petites têtes dressées vers moi. Le second, reposé, avait repris flamme de vie !!
Je nourris de nouveau, tour à tour, cette fois-ci, sous le regard attendri de la tablée réunie pour midi.
Le revenu à lui n'ouvrait pas le bec à chaque tournée. Par contre, dès que je déposai une goutte du mélange gluant sur le bout de son bec, il l'aspirait aussitôt, et déglutissait avec application.
Là encore, j'évaluai au jugé la juste ration. Le premier petit était vorace, et il en aurait avalé plus encore. Je fus raisonnable pour lui, et interrompis la becquée.
Très vite, les deux petites hirondelles, après quelques mouvements pour s'installer confortablement dans le coton, mirent la tête sous l'aile, et, pour ce que j'en compris, s'endormirent, rassasiées.
Nous en avions presque les larmes aux yeux, grands benêts que nous sommes !

Nous fîmes des plans d'avenir. Mes frères nourriraient le lendemain nos protégés, toutes les trois heures, puisque moi, je serais à la jardinerie.
Les oisillons reprendraient des forces, et, le moment venu, nous les regarderions s'envoler.
C'était beau !!!!
Dans l'après-midi, je renouvelai la distribution de nourriture, deux fois.
Les oisillons étaient moins voraces. Ils restaient joliment serrés l'un contre l'autre, sifflant parfois quand une hirondelle passait près d'eux.
Ils sont repus, pensai-je. Contents de voir des familiers dans leurs parages. Tranquilles et heureux.
J'avais une petite crainte pour la nuit. Ne faudrait-il pas les nourrir toutes les trois heures, comme dans la journée ? N'auraient-ils pas froid ?
Ne ferions-nous pas mieux de tenter de les faire adopter par l'une de leurs tantes ?
Dubitative, en fin de soirée, je les laissais dans l'étable. J'avais enlevé le haut de la cage. Si par cas, une hirondelle en mal de maternité s'avisait de venir s'occuper d'eux, cet obstacle aurait empêché ce dénouement si favorable.
Pour éviter un éventuel retour de sauvagerie de ma Bullou, je déposai tout de même le petit nid maintenant habité dans une cagette aux rebords hauts.
Ce compromis me semblait tout à fait acceptable. Je montai me coucher, réglant le réveil sur une demi-heure d'avance, pour avoir le temps de donner une première becquée du matin à mes protégés. Les frères prendraient le relais.

Je m'endormis, confiante.
Dans la nuit, je me réveillai. Immédiatement, je pensai à mes hirondelles.
J'ai l'usage depuis ma mère, et avec mon père, de ces rondes de nuit dans la ferme.
Je descendis dans l'étable, allumai. Les bêtes au pré, il n'y avait que les hirondelles pour être surprises par la soudaine lumière.
Je m'approchai de la cagette. Aïe ! L'un des oisillons était sorti du nid. Il glissait maladroitement sur le fond de cage. L'autre était immobile, bien calé dans le coton. Je remis le fuyard dans son lit. Je retournai vers le mien, moins sûre déjà de les retrouver vivants tous les deux au petit matin. Je les avais bien recouverts, sentant leurs petits corps un peu refroidis.

Quelques heures après, l'un des deux oisillons était mort, renversé, et le second tout près.
Le temps de faire rentrer les vaches, de les nourrir et de les câliner, la seconde hirondelle avait rendu son dernier soupir…
Une grande tristesse m'amollit, ridicule sans doute, mais bon, on ne se refait pas...

J'avais pensé avoir deux becs ouverts à garnir, deux petits corps chauds réinvestis par la vie à confier. La flamme vive était bien revenue, pourtant, ramener l'étincelle et l'espoir, puis, avait tourné le dos, comme ça, sans plus de raison. Il n'y avait qu'à s'incliner, accepter cette tristesse et rabattre sur la joie ce pan gris d'une fatalité sans états d'âme.
Je disposai les frêles dépouilles dans une position plus confortable à l'œil, serrées l'une contre l'autre, petites têtes ballantes reposées sur le rebord. Je pris de nouveau précautionneusement le nid devenu cercueil.
Dans la bennette à fumier, j'étalai une couche de litière fraîche. Je déposai le nid avec les deux oisillons toujours serrés l'un contre l'autre, bien au milieu, bien visibles avec les boules blanches de coton autour des deux têtes inertes.
Ca me semblait plus doux comme ça, comme avec ce petit hérisson à qui j'avais rendu de la même façon un dernier hommage attristé, il y a quelque temps.

Mes deux oisillons rescapés ne l'ont été que pour quelques heures.
Le temps de lever en nous l'espoir, puis, vite après, la peine, emportés tous deux, depuis, par le vol léger des hirondelles. Retenus dans ces lignes, tout de même, pour y faire leur nid aux côtés de tous ces autres instants de rien, en apparence.

Dimanche matin, alors que le souvenir de mes hirondelles éteintes m'avait glissé des épaules, je vécus un autre genre de moment, bien différent, mais tout aussi digne d'être transcrit ici.

Je me suis attardée avec cette histoire d'oisillons.
Mon temps d'écriture s'achève. En bas, si je ne descends pas préparer le repas, un autre genre de gros oiseaux ouvrira une rangée de becs tout aussi voraces que celui de mes petites hirondelles ! Moins attendrissants, certes, encore que…

L'injustice n'est pas seulement dans la mort qui cueille brutalement une toute petite vie en devenir.
Non, l'injustice est aussi dans ce mouvement d'écriture, où une anecdote s'épanche voluptueusement sur une plage longue au sable fin, quand d'autres historiettes toute aussi méritantes sont bousculées dans un flot bouillonnant où les crêtes d'écume en colère laissent à peine entrapercevoir une saillie rocheuse violemment giflée, et emportent loin du regard le lit de galets ronds perdus à la vue là dessous.
L'injustice est partout, autant le savoir, et s'en faire une raison.

Un cousin de mon père, plus de 90 printemps, se présenta  à la ferme pour le saluer.
Cet homme porte encore beau, bien droit, les yeux pâles dans un visage lisse, à la peau imberbe, sous une masse bouclée de cheveux argentés. Le menton un peu lourd, le front haut, il se montre avenant, et curieux de tout.
A cette heure matinale, mon père a l'heur d'aller prendre un café "en ville", avec son fils.
Je proposai à notre visiteur de faire de même, ici,  en l'attendant.
Nous nous assîmes à la grande table, et devisâmes dans le matin calme.
Entre autres choses, le grand oncle me parla des menuiseries en aluminium, dont il envisageait d'équiper sa maison. 

- ça te dure vingt ans, m'assura-t-il, et sans bouger ! Et après, je pourrai les repeindre, pour autant de plus !
Il semblait enthousiasmé par la perspective de longévité de ce matériau, sans trouver du tout saugrenue l'idée de lui survivre, partant de son âge.
Amusée par cette belle confiance en son devenir, je proposai à notre homme de m'accompagner dans l'étable, pour sortir les vaches au pré.
Mes belles sont à cette époque de l'année plus en extérieur. Elles rentrent pour les rations du matin et du soir. Ensuite, elles apprécient de pouvoir se reposer une heure ou deux, dans le paillage frais, ruminant leur satiété, les yeux presque fermés.
Après ce temps digestif et méditatoire, elles se relèvent tranquillement, s'étirent de la pointe cornée à l'échine, en enroulant leurs queues poilues de part et d'autres de leurs flancs ronds.
C'est le signal qu'elles sont prêtes à retourner au champ.
Ce dimanche matin, escortée de notre visiteur, je dénouai les brins d'acier des attaches.
L'homme était là, debout au plein milieu de l'étable, campé dans ses knepettes. Il portait en dessous de ces sandales à lanières une paire de chaussettes hautes, pour galber le mollet qu'il a un peu mince.
Les génisses le flairaient en passant près de lui, sans le bousculer. Il les regardait, admirant leurs courbes généreuses, en les flattant gentiment.
Je contemplais ce spectacle incongru, cet homme de plus de 90 ans, bien droit entre de jeunes génisses de moins d'un an.
Mes Neskak sont tellement placides qu'elles ne s'émeuvent de rien. Un inconnu campé dans leur étable ne les perturbe pas, et ne provoque aucune mauvaise réaction en elles.
Té, me pensai-je, si tu étais venu là l'année passée, tu aurais du t'écarter bien vite, sous peine de finir encorné par la diablesse Beltza, ou alors piétiné par Rubita la rousse !
L'homme suivit les vaches jusque dehors, marchant ici ou là dans une bouse grasse, sans s'en émouvoir, où même s'en apercevoir, je pense.
Content de sa visite, même s'il avait manqué mon père.

- Je reviendrai, promit-il, j'ai tout le temps !

En effet, pour ce que j'en avais compris, il était persuadé d'en avoir encore beaucoup devant lui. Alors…

Par ce même dimanche matin, Olivier, "en ville" lui aussi, assista à une sérieuse dispute dans les rayons du supermarché local.
Il était question de racisme, entre deux belligérants d'origine espagnole. Olivier n'avait pas trop bien compris d'où avait fusé l'étincelle, juste assisté à son explosion bruyante.
Les deux protagonistes prenaient feu, et il fallu l'intervention musclée d'un vigile, pour les faire taire.
Quand Olivier à son retour me rapporta l'incident, me revint en mémoire cette autre altercation, dans le vieux marché d'Hendaye, où nous allions vendre nos légumes.

C'était il y a bien quarante ans.
Une de nos clientes, à qui nous livrions tous les lundi matins deux litres de lait, était là, faisant quelques emplettes.
Cette femme, alors déjà âgée, était affublée d'une paire de lunettes aux verres si épais, que ses pupilles se perdaient là dedans en deux pointes lointaines.
Elle était truculente et avait le verbe haut et facile.
Son torse puissant sur des jambes graciles en faisait une réplique assez fidèle de la Mammy Croquette des bandes dessinées de mon enfance. J'avais pour mission chaque lundi, après avoir vidé mes bouteilles dans une casserole au fond cabossé, d'ouvrir les bocaux  et autres boîtes alignés sur la table. La vieille femme n'avait plus la force de les ouvrir elle-même, et elle m'attendait, avec ses provisions pour la semaine.

Je ne sais pas là encore d'où démarra la dispute.
Toujours est-il que ma Mammy Croquette fulminait sous le grand hall où sa voix portait comme dans un théâtre vide. Elle s'en prenait à un homme étourdi de sa vindicte, et qui n'osait plus piper mot :

-je suis frantxex, moi, hurlait-elle en agitant devant elle un doigt boursouflé d'arthrose.
et si vous le xabé pas, appréndé-lo !!

Le malheureux resta coi. Et nous, nous riions sous cape, réfrénant cette hilarité qui aurait renflammé les poudres.

Il y a ainsi des personnages et des moments qui nous restent.
Des émotions et des situations qui se marquent dans nos mémoires.
Des petits galets ronds de rivière, là, chatoyant sous l'onde, qu'elle soit claire ou tempêtueuse.
On en retrouve la courbe lisse et les reflets changeants, on s'y attendrit et s'y réchauffe l'âme.

C'est pour les garder vivants que je les dépose dans ce nid-ci.
Espérant les retrouver plus tard...