Vendredi 22 février 2019 9h39
Le grand beau temps est définitivement installé, semblerait.
Ce tout petit matin, à l'aube, à l'heure où blanchit la campagne, j'ai eu une inquiétude.
Ma petite Neska Nauxi la blanche, mon coup de foudre, était mal en point.
Avant hier déjà, pendant la séance d'entraînement au retour chacune sa place, je l'avais trouvée engourdie. Je lâche mes Neskak dans le fond de l'étable, puis je les ramène à leurs auges garnies entretemps. Le but de la manœuvre est de les habituer à se remettre en place, pour la sortie, et la rentrée (!), au et du pré, prévue prochainement. Elles sont nouvelles venues à Agorreta, mes beautés, et ne connaissent pas encore l'endroit. Je dois leur montrer les lieux, progressivement.
Je les ai déjà présentées à Bigoudi, et tout s'est bien passé : ma bonne Bigoudi était une mère attentive, et les petites velles lui ont rappelé sa carrière passée.
Quand je les lâche ainsi, en fin d'après-midi, avant la ration du soir, les Neskak, toutes contentes de se dégourdir les pattes, bondissent et jouent entre elles, le temps de se rappeler qu'il est l'heure du repas, et de revenir à la barrière.
La première fois, j'ai commis une erreur de débutante : j'ai voulu les rentrer toutes les quatre à la fois. Un joli désordre s'en est suivi, l'une allant à l'auge de l'autre, la seconde poussant la première avant que je ne l'attache, la troisième venant mettre son grain de sel par là dessus. Le grand bazar dans l'étable !
Ensuite, finaude et aguerrie, j'ai misé sur l'effet sas. J'ai entrouvert la barrière, laissant mes demoiselles passer une par une, la refermant derrière chacune. Après avoir accompagné l'entrante à son auge, l'avoir dûment attachée et félicitée pour sa bonne conduite, j'allais chercher l'autre.
Tout allait déjà beaucoup mieux, et j'ai certifié la méthode comme étant la meilleure.
Mercredi soir, ma Neska Nauxi, Nauxi comme petite patronne, était mollette. Elle paraît être la meneuse de la troupe, d'où son nom. Là, elle traînait du pied, et ne se présenta qu'en fin de liste, quand d'ordinaire elle est la première.
Ma Neska Nauxi est une grande gourmande. A son arrivée, elle était la plus fine. Elle s'est bien élargie depuis ces trois semaines. Trop vite.
Vorace, les premier jours, elle se jetait d'abord sur la ration de sa voisine, La Buru Haundi, comme Grosse tête. Elle revenait ensuite à son côté, raflant sa part en plus de ce qu'elle avait pu, en bout de chaîne et tirant la langue au maximum, grapiller de l'autre.
Je prends, depuis, soin de renverser le bol de la noire bien à l'angle, de façon à ce que la blanche n'y arrive plus
Un de ces premiers matins à la ferme, aussi, ma Neska Nauxi a trouvé le moyen de dénouer la corde retenant la petite chaîne d'attache un peu courte. Elle la mignotait et la léchouillait tant et si bien, qu'elle a réussi à en relâcher le nœud, cette petite rouée maline !
Elle s'est jetée sur les bols préparés sur le coffre à grain, et a englouti les cinq rations. J'étais inquiète, sachant cet excès bien mauvais pour cette petite panse délicate. Les jours suivants, elle paraissait bien, et je me suis tranquillisée.
Erreur…
L'élevage est beaucoup affaire d'observation. Je garde mon petit cheptel bien à l'œil. l'effet n'est pas toujours immédiatement consécutif à la cause. Il ne faut pas baisser la garde trop vite !
Neska Nauxi présentait ce matin tous les signes de la fourbure classique. L'excès de nourriture provoque chez les vaches, et les chevaux aussi, cette fourbure caractéristique : l'animal est douloureux des articulations aux membres, reste longtemps couché, soufflant fort et tête basse.
Le tableau se présentait exactement de cette manière ce matin, du côté de ma blanche Neska Nauxi. Elle faisait peine à voir, elle toujours enjouée et gourmande. Elle leva à peine la tête, quand je distribuai le bol de sa voisine. Alertée depuis l'avant-veille, je l'avais mise à la diète. Hier au soir, comme son état empirait, elle n'avait eu que quelques granulés, histoire d'y mélanger de l'aspirine en cristaux. L'aspirine soulage la douleur et draine les toxines mal stockées. En plus d'une diète drastique et du repos, c'est un traitement efficace des fourbures.
Ma petite rouée maline, même malade, l'est resté : elle a trié les granulés, et laissé les cristaux d'aspirine dans son auge.
Pour le coup, ce matin, j'ai changé de tactique. Comme elle était couchée et atone, bien plus mal encore qu'hier, je lui ai relevé la tête, et introduit au fond de la gorge une bonne pincée d'aspirine. Elle n'a pas voulu boire l'eau que je lui ai présentée. J'ai fait tomber un peu de foin devant elle, pour la stimuler à reprendre la rumination, et remettre son système digestif en marche.
Il était trop tôt pour appeler le vétérinaire. Prise de température, 39 °. Normal chez une vache. Pas d'infection, pas d'alarme. L'aspirine dûment ingurgitée calmerait l'inflammation des jarrets, Neska Nauxi devait se sentir mieux dans une paire d'heures. Si elle ne se remettait pas d'ici là, j'appellerais ma douce et jolie Bégonia.
A peine une heure après ce traitement de première intention, ma beauté se remettait sur pieds. Elle avait grapillé un peu de foin par terre, sa respiration s'était ralentie. Elle relevait mieux la tête. Encourageant.
Sa mine n'était pas encore conquérante, loin de là. Elle restait bien piteuse.
Je la flattai et la réconfortai, lui massant doucement les articulation, sait-on jamais.
Un moment encore après, elle s'allongeait davantage, étirant les muscles et le col.
C'était mieux.
Elle est maintenant au repos, couchée mais tranquille.
J'avais en tête de sortir mes bêtes ce dimanche. Je vais attendre. Il est encore tôt en saison, d'abord, et, surtout, les petites doivent être en pleine forme pour passer haut la main ce cap d'un nouveau changement d'alimentation. Nous verrons ça la quinzaine prochaine, quand je serai de nouveau dimanche et lundi à la ferme.
Nous commencerons doucement, par des sorties courtes en milieu d'après-midi. Antton est disponible maintenant pour assurer la logistique à l'étable les jours où je suis à la jardinerie. Finies les sorties dans le petit matin humide et frais, et les rentrées à la nuit tombée. Nous pouvons maintenant traiter ces princesses selon leur rang, et leur ménager les meilleurs créneaux horaires pour leurs activités.
Dans le même temps, mon vieux père se remet lui aussi de ses entrailles un peu chahutées ces derniers jours. Tout le monde est en convalescence !
Il y a bientôt six ans, le même cas de figure se présentait : mon père bien mal en point, et ma Louloutte d'alors, une belle Montbéliarde en pleine lactation, à terre, suite à une fourbure sévère. La vache en plein lait est fragile. Louloutte était encore jeune, pourtant.
Mon père fût pronostiqué perdant, par les spécialistes médicaux. La vache pourrait s'en sortir, sans doute. Le bonhomme, pas.
Finalement, la vache ne se releva pas, et le bonhomme gambille encore !
Aujourd'hui, j'espère raisonnablement conserver et l'homme, et la bête.
Je ne sais pas encore ce que je ferai de mon Agorreta OK Corral.
Ca me rappelle les "petits papiers" de Charles Pasqua, quand, menacé d'une quelconque mise en examen ou autre affaire judiciaire, il évoqua ces fameux "petits papiers" compromettant les uns ou les autres. Tout s'aplanit aussitôt… On appelle ça la dissuasion, je crois.
D'un autre côté, cette mini saga rurale, peut-être aussi diablement amusante. Un petit Chemin des Crêtes au goût du jour, documents à l'appui. Ou pas.
La fin de semaine m'inspirera.