vendredi 30 juin 2017

APRES TEMPËTE




Bonjour !

L'avant dernière nuit fût tempétueuse.

Toute la journée d'hier le fût aussi.
C'était un plaisir de regarder derrière les larges vitres de la jardinerie, les combats célestes des troupes nuageuses en colère, poussées par un vent rageur, puis, sans grand préavis, les éclaircies inattendues.



La grâce de mes oreilles défaillantes, c'est que, ces tumultes, au moins, je les entends bien atténués.
Le vent peut hurler et la pluie crépiter : moi, l'orage et les tempêtes, je les ai dans la tête, alors...
Les chancellements et le sol dérobé sous mes pieds, nul besoin d'un ouragan pour m'y habituer et les apprivoiser. Non, tous ces tournis, ces déstabilisations et ces oscillations vertigineuses, mon petit cervelet malmené les pratique maintenant au quotidien.
De cet exercice assidu naît un accommodement, une adaptation, ma foi avantageux en ces circonstances exceptionnelles pour ces autres, les presque malchanceux, ceux dont les oreilles fonctionnent correctement.
Comme quoi, souvent, à quelque chose malheur est bon !



Par contre, parce-qu'on ne peut pas n'avoir que les bons côtés en toute chose, j'ai mis la matinée d'hier à comprendre qu'il n'y avait pas une cafetière géante autour des caisses de la jardinerie. Et à arrêter de craindre que ça y était, le délire me reprenait, mes hallucinations auditives allaient vriller tant et si bien ma perception de la réalité, j'étais repartie pour un tour de piste dans le tourbillon aspirant de la folie !
C'est ainsi que l'on vit quand on s'est approché de trop près de ces zones rouges, ou noires.

Une demi-boîte de pastilles Fleurs de Bach sérénité plus tard, (merci Lucie !) j'ai enfin eu l'explication, toute rationnelle et oh combien ordinaire, presque décevante : le vrombissement séquentiel n'émanait pas de l'imagination maladive de mes oreilles enflammées, non, du tout, du tout.
Ce simili gargouillement pour moi si déroutant naissait de l'imprimante, tout bêtement, très sollicitée hier par les éditions incessantes des bons d'inventaire, au fur et à mesure de l'avancée des comptages.
Cette zone du magasin ne m'est pas trop coutumière. Moi, ma "zone", c'est la pépinière. Chacun son secteur...
Je ne suis pas familiarisée aux bruits inhérents, et, surtout, pour moi très agressifs, des bips des douchettes de caisse, et glougloutements cadencés des imprimantes diverses.
J'évite autant que je le peux l'environnement, trop bruyant, sauf à accompagner un client particulièrement sympathique et nécessiteux de mes services en cet endroit.

Presque résignée à devoir abandonner mon poste de travail pour début d'hallucination inquiétante, j'avais quand même eu la bonne idée de partager ma frayeur à mes collègues proches.
Voyez combien j'ai changé : je livre maintenant mes détresses, petites ou grandes, à tous ceux qui veulent bien les entendre, et même à ceux qui s'en passent, tiens !
Mes jeunes collègues éclairèrent ma lanterne, allégèrent mes peurs, et rirent de bon cœur, avec moi, bien soulagée.

Ma petite affection auriculaire est ainsi : elle me fait entendre des choses qui ne sont pas, et m'en permet la perception d'autres, qui passent hors de votre portée, en une fantaisie parfois troublante.
C'était l'envie d'une bonne tasse de thé qui me mettait ainsi bouilloire en tête...
Comme je suis compliquée, à passer par Cabourg pour arriver à Rennes !
Remarquez, c'est peut-être dans la trajectoire, ça, non ? Ma géographie est comme mes oreilles, elle ne s'est pas améliorée ! Et mon association de ces deux villes ne tient qu'à la mélodie de leur prononciation, à moins qu'une subtilité supérieure ne me les ait fait, malgré moi, unir.
Qui sait ? Je ne m'étonne plus de rien, et espère peut-être bien plus qu'il n'y est, de mes facultés particulières et bizarres...

Nous avons donc hier terminé notre inventaire annuel.
Tout s'est bien déroulé, merci, et le résultat obtenu est pleinement satisfaisant.
Il est même exceptionnel, le meilleur de cette dernière décennie, et sans doute au delà. Mes statistiques chez Lafitte datent d'alors.
Cette année où ma défaillance m'a fait manquer le plein de la saison, mon équipe a pallié mes faiblesses, magistralement.
Sans compter leur peine, tous mes petits jeunes et moins jeunes ont assuré, de main de maître.
Ils ont allégé ma frustration en démontrant leur valeur, rassuré mes doutes en me relayant sans faillir.

Cette réussite est la leur.
Ils me la partagent et m'en offrent l'éclat pour y réchauffer mes vieux os meurtris. Je leur en suis infiniment reconnaissante, gratifiée et admirative.
De là à penser que les choses vont mieux sans moi, il n'y aurait qu'un pas, n'est-ce pas ?
Allez, allez, ne nous flagellons pas, non plus : le destin a ceci de clément qu'il nous épargne de savoir ce qu'il serait advenu, autrement. Et nous évite ainsi les supputations douloureuses et stériles. Ainsi en soit-il...

De la même façon que les miens ont partagé mon épreuve et me l'ont rendue possible à surmonter, mon équipe de travail m'a fait comprendre la force d'une équipe, justement, et son intérêt.

Je les remercie ici tous pour leur soutien, leur appui... et leur grande patience !
Il leur en a fallu et leur en faut encore pour parer mes persistants coups de sabots de mauvais cheval.
Dans notre équipe de la jardinerie Lafitte, du tempérament, il y en a, à tous les étages, et dans tous les rayons. Des personnalités bien diverses, mais toutes riches : des grands cœurs, des coléreux, des fougueux et des rêveurs. Des réservés, pas trop, et des spontanés volcaniques, davantage.
La diversité de notre équipe, sa couleur chatoyante et tonique, c'est en plus de la mienne une vraie pépinière. Une planche de culture grandeur nature de nos caractères hybrides et variés.
Un microsome fourmillant et grouillant, où les éclats pétaradent secs et vite.
Un cocon doux, aussi, où les peines et les peurs trouvent abri et réconfort.
Un travail comme une chance, une équipe comme un trésor.
J'ai cette chance et veux garder jalousement ce trésor, à partager et veiller.

En ces jours d'inventaires, particulièrement, je me montrais insupportable, je le reconnais maintenant, et fais amende honorable.
Je voulais tout contrôler, me croyais souveraine et irremplaçable, "paone" (féminin de paon, voyons !) imbuvable. Honte à moi !

Il est trop tard pour rattraper les erreurs passées. Ce qui est fait, est fait.
Encore temps, heureusement, de m'amender, et de corriger les excès de ma nature profonde. De faire profiter de ces "corrections" ceux-là même qui ont eu tant à pâtir de ces excès.

J'y travaille, et, sans présomption, je crois, du moins, j'espère, qu'hier, j'ai été plus... agréable !
Comme quoi, à quelque chose malheur est bon, je le disais plus haut et le confirme ici.

Espérez, vous aussi, et pardonnez mes offenses, comme je tâche de les pardonner, moi, à ceux là qui m'ont aussi offensée...

A la semaine prochaine pour d'autres homélies païennes.

mercredi 28 juin 2017

INVENTAIRE 2017



Bonjour !

Nous voici rendus à la veille de cet inventaire, à la jardinerie.
Ce n'est pas mon premier, loin de là, et j'espère bien que ce ne sera pas mon dernier non plus !

Ces inventaires, je les adore.
Je ne suis pas très suivie dans cette fibrillation affective. Pour la plupart de mes collègues, l'inventaire est une tâche fastidieuse,  rébarbative et obligée.
Moi, si je m'écoutais, des inventaires, dans une année, j'en ferais toutes les semaines.
Toute à ma démesure, je voudrais tout remettre à plat tout le temps, traquer ces dérives, ces flous et ces égarements incontournables dans tout exercice, commercial ou autre, où l'humain joue un rôle.

Je suis la première pourtant à reconnaître du confort à la rondeur, de la plasticité agréable à l'à peu près. Je ne me prive pas de m'y ébattre, folâtrant gentiment entre les limites repoussées d'une plage laissée libre à la fantaisie du moment.
Je ne sais pas si les excès de mon tempérament me demandaient déjà de leur imposer un cadre plus strict et mieux matérialisé. Sans doute ressentais-je le besoin de ces chiffres froids et nets, bien alignés, pour y contenir mes fougueux débordements de cyclothymique exacerbée.
Toujours est-il que, depuis que je travaille, ce qui nous fait tout de même une petite trentaine d'années maintenant, ce moment de l'inventaire éveille en moi une petite excitation primesautière.
Les jours précédents déjà, je fibrille, comme quand on prépare une fête.
Mes fibrillations incommodent parfois mes collègues. Le naturel revenant au galop, je voudrais en ces occasions tout régenter, tout surveiller, ne rien laisser au hasard... et aux autres !
Comme si j'étais, moi, meilleure garante de la fiabilité des comptages. Mon orgueil me joue là encore des tours : forte de mon expérience, maintenant, je me gourmande, et tâche de laisser aux autres ce champ qu'ils me demandent.
J'essaie, n'y arrive pas toujours, mais, essaie encore et encore.
C'est à force d'exercice sincère et motivé, que l'on parvient à s'améliorer, j'en suis sûre, et m'y tiens.

Pour ce matin, je suis restée à la ferme, sarclant au petit jour mes rangs de citrouilles.
L'averse d'hier après-midi les a rafraichies. L'humidité dans l'air des jours précédents les maintenait déjà bien poussantes.
C'est un plaisir, oui, là encore, un véritable plaisir, de biner des plants, en les regardant croître et embellir d'heure en heure, presque.
Il y a de la volupté dans cet élan végétal, une force de vie conquérante et puissante.
On sent à portée le vivant et sa persévérance, écho optimiste de nos propres ressources.

Oui, en plus de l'inventaire, le sarclage, sur les hauts d'Agorreta, dans le petit matin limpide, ça me fait du bien.

Autant vous dire combien je suis bienheureuse, aujourd'hui.

Je tempère mes émotions, même les bonnes, histoire de ne pas céder à ces emballements excessifs.
Je tiens à rester dans la bonne zone, dans un secteur protégé, tel le Karrarro de Beñat, ramené à la raison par un système de régulateur opérant.
Quoi, vous ne saisissez pas ? Enfin, ce "bloc", vous le suivez, ou pas ?!
Comment, je suis bien difficile à suivre... Ah, oui ?
Remarquez, moi-même, je me perds parfois.
Et ce "bloc", maintenant, est devenu si dense, touffu et extravagant, que je m'y décourage moi-même !

Bah !  Un de ces jours, à l'occasion, un semblant d'inventaire progressif éclaircira tout ça.
L'essentiel, c'est la constance de ma visée, la joliesse de ma vision d'un avenir léger et chatoyant.

Je vous laisse ici, m'en vais compter, pas les moutons, non, les fleurs et les bonbons.
On ne saurait rêver inventaire plus amusant !

A plus tard...


lundi 26 juin 2017

DES HOMMES ET DES DEMONS !




Bonjour !


Ce petit matin annonce tous les possibles...
La saison estivale se prête à ces foucades brutales. La même journée verra le soleil ardent, l'averse crépitante et la volée de vent puissant.
Entre deux, des plages paisibles, silencieuses et immobiles, où la nature absorbe voluptueusement toute cette humidité, riche et lourde.
C'est par des journées pareilles que ma grande fougère développe en quelques heures une hampe impérieuse.
Vous vous souvenez, (ou pas !,) ma fougère fétiche, entre le laurier sauce vieillot et poivré et la vache placide.
Laissez tomber, j'y reviendrai.

Je suis tellement persuadée maintenant de la congruence de mes à propos, que leur nébulosité d'apparence ne me laisse même pas perplexe.

Tous les excès de mon tempérament illustrés en météorologie !
Je ne sais pas comment vous le sentez, de votre côté, mais mon vieil organisme à moi accuse le coup de ces pressions oppressantes, justement.
Mes oreilles en bourdonnent et gémissent, douloureuses et compressées.
Ce Ménière, là encore, il va falloir que j'y revienne plus en profondeur, un de ces jours prochains.
Notre programme est vaste et varié, je vous le dis !

Pour ce matin, je me penche sur ces images d'Agorreta.
Ces images devenues il y a peu suspectes, d'être trop bucoliques et charmeuses.
Pourtant, je ne censure pas la laideur ambiante : le vilain câble, le tas de fumier, tout ça, je le montre aussi.
Mais je me demande si, quand on montre, ainsi, on ne s'arrange pas pour montrer le plus joli.
Si, dans mon image de ce matin, la belle lumière barrée ne fait pas sa coquette, encore.
Une idée, à moi, sans doute.
Une méfiance paysanne d'une apparence séductrice et parfois trompeuse.
Je sais pourtant aller chercher derrière les masques les vérités plus duelles.
Je suis bien placée maintenant pour dénicher les petits démons, en moi et au dehors.
Ces petits monstres, pas toujours gentils, nous montrent, aussi, ce que nous sommes.
Notre monde n'est pas un paradis, comme le chantait Casimir, ce monstre gentil au milieu d'enfants heureux...
Tel qu'il est, tels que nous sommes, il y a quand même moyen de s'y faire une jolie vie, une place juste et agréable.
Je veux y croire, du moins, et m'y attache fermement.

Nous sommes pour nous-mêmes notre meilleur ami, et notre pire ennemi, aussi, parfois.
Cette dualité nous divise et nous éloigne de la cohérence bien utile à la conquête de ma déesse sérénité.
Je suis toujours en quête de cette unité au dessus de nos différences intrinsèques, de cette réunification de nos facettes multiples et même, par moments, contraires.
Le monde est trouble, nous en sommes une infime partie, toute aussi trouble.
Il est plein de sens aussi, et nos vies se peuvent concevoir autrement que de pur hasard.

Je suis en marche, pas comme les politiques, encore que...
Sortir de la gangue des vieux systèmes rigides me paraît salutaire et bénéfique.
Le passé dépoussiéré nous enseigne et nous donne l'élan, si l'on ne le laisse pas nous figer, immobiles et prisonniers.
L'idée de ces "marcheurs" est belle, elle aussi, comme l'est mon projet 2122.
Il y faudra de l'énergie, du courage et de la constance.
L'inertie des vieillesses installées est puissante, et lourde à faire bouger.
Comme pour les cathédrales, il va falloir ne pas perdre de vue la vision aboutie, même si elle nous reste encore longtemps hors de portée.

Vous savez, les "un tien vaut mieux que deux tu auras", "ne lâche pas la proie pour l'ombre", et autres maximes prudentes et paysannes, ont la couenne solide et vont nous faire encore la vie dure !
Remarquez, il y a bien un fond de bon sens  là dedans. Il ne s'agit pas non plus de s'élever trop haut et de se lancer trop loin : le pas se mesure et la foulée emballée fait chuter.
Il faudrait se dégager des peurs anciennes et ancrées, mais garder l'humilité de ne pas lever le regard plus haut qu'il ne faut.
C'est quand on s'éloigne trop de ce chemin raisonnable, qu'on croise nos monstres aux dents pointues et carnassières, ces vilains rats sortis, assoiffés de sang, de leurs tanières obscures.

Mon frère Beñat les appelait "chacals".
Moi, il me font mieux penser à des hyènes, ricanantes et mauvaises, les yeux fous et le poil hérissé d'une colère impossible à calmer.
Ces charognards trop impatients et cruels. Ils viennent vous lacérer la peau et vous arracher les tripes chaudes et fumantes, encore vivantes, ils les mordent à pleines dents en grognant d'un contentement diabolique et terrifiant.

Mes hyènes sont sorties de leur tanière ce printemps.
Déjà, avant, je percevais parfois leurs ricanements de folles sanguinaires.
Je relis ces mots d'il y a près de dix ans, et je les reconnais là :


Pour le coup, on pourrait se demander comment il se fait qu’il s’en trouve autant pour penser, pour se poser des questions, pour ne pas se trouver de réponses satisfaisantes, tourner en rond douloureusement dans les têtes si mal employées, et finir par s’en rendre malades. Au point d’encombrer les salles d’attente de professionnels de l’écoute eux-mêmes résignés à reconnaître leur désarroi et leur incapacité à résoudre un problème qu’ils ne peuvent pas identifier.
       Le malaise diffus se fraye un chemin dans les têtes vacantes. Des têtes qui ne tiennent que par la pression des préoccupations quotidiennes.
Tant qu’on se bat, contre la montre, son patron, son amour perdu, tant qu’on court, tant qu’on bouge ou qu’on s’agite, la bête n’attaque pas. C’est un prédateur à l’affût, cet animal, pas un léopard lancé en pleine course. La bête attend. Sans perdre attention, ni patience, elle attend son heure.
Le mouvement lui déplaît. L’élan la dessert. Il lui faut une proie fatiguée, à l’arrêt. Une victime vannée qui reprend son souffle perdu dans la course. Une offrande innocente et rêveuse engluée dans un immobilisme vide.
Là, par contre, les choses vont vite. La bête sait bouger prestement comme elle sait attendre longtemps. Dès qu’elle flaire une opportunité, elle approche à pas sournois et tâte le terrain de chasse. Elle est experte et connaisseuse. On ne la trompe pas facilement. Elle repère à coup sûr et quand elle pose sa patte doucement comme on caresse, les jeux sont déjà faits.
La bête séduit, elle n’effraie pas. Elle sait se montrer rassurante et câline. Elle ne mord ni ne griffe. Elle étouffe. Elle enlace, envoûte et ensorcelle. Elle endort et apaise pour mieux emporter et dévorer dans son antre sa proie inerte et docile.
Vous pensez être juste fatigué, avoir besoin d’un peu de repos. Vous vous dites qu’après ça, vous repartirez mieux. Vous avez ralenti votre marche, déjà, vous voyez une pierre moussue sur le bord du chemin et vous avez l’envie de vous y assoir un peu.
Vous allez refaire vos forces et reprendre la route. Peut-être.
Une fois assis, vous serez étonné de voir le monde sous cet angle nouveau. Un peu inquiété par cette vision étrange. Vous arrêté et eux tous en marche. Un décalage pareil va vous donner le vertige, un peu.
Après, ce sera selon. Soit vous vous trouverez finalement bien, assis comme ça. Vous laisserez le poids des choses vous glisser sur les épaules et tomber en pans fracassés autour de vous ramassé là. Le premier bien-être deviendra l’ennui. Vous perdrez le goût, l’envie. Vous n’aurez plus de projets. Demain sera vide et loin.
Vous serez mûr pour la bête.
Elle s’assiera près de vous, amicalement, et vous ne sentirez aucune menace. Elle posera doucement sa main sur votre épaule arrondie. Vous n’aurez sûrement pas l’idée de vous dégager. Ca vous semblera même agréable.
Vous aurez lâché la corde. Cette corde raide et dure à maintenir. Vous vous sentirez soulagé de ne plus avoir à la serrer. Et vous coulerez, tout simplement, sans vous débattre. La glissade sera lente et longue, silencieuse.
Cette chute vous entrainera loin du monde vivant de ceux qui courent. Vous vous étonnerez de les voir tant s’agiter, puis, vous ne comprendrez plus pourquoi vous vous agitiez vous aussi de la même façon, avant. Avant d’oublier cet autre que vous étiez. Pour finir par oublier que vous êtes encore vivant, que vous pouvez encore vous mettre en mouvement.
Mais vous n’en avez plus envie. Vous restez là, lourd et étonné. Assis.
A ce moment, si la bête ne vous a pas saisi et emporté, la petite image peut encore venir vous visiter.
La mienne se tenait prête, elle écartait légèrement un pan de voile pour se faire entrapercevoir. Son ombre m’a effleurée, la longue silhouette a failli s’approcher suffisamment pour que je la distingue dans la brume.
Quand le courant m’a reprise dans son remous, ma petite image n’y avait plus sa place. Trop de mouvement pour elle. Ma petite image est un peu comme la bête, de ce côté-là. Il lui faut du calme pour se laisser apprivoiser.
J’étais repartie en marche trop tôt pour que l’une ou l’autre ait pu m’atteindre, cette fois là.




Bien avant, déjà, je l'avais sentie venir flairer autour de moi.
Là, elle m'a sentie plus vulnérable, mieux à portée.
Son vilain museau, elle l'a approché, jusqu'à me toucher.
Puis, enragée de toutes les tentatives précédentes où sa soif de sang ne s'est pas désaltérée, elle a mordu, un peu, d'abord, pour goûter, puis, rendue téméraire, plus fort, et, encore plus fort, jusqu'à me mettre à terre, ventre ouvert et cœur affolé.
Je me suis débattue, comme je l'ai pu.
Les forces me manquaient, elle mordait, encore et encore. Ses babines rougies de mon sang se relevaient sur ses crocs acérés. Elle était sauvage, cruelle et sauvage.
Des lambeaux de moi maculaient son poitrail.
Victorieuse et enragée, elle me déchiquetait.

Je hurlais de douleur, sans un cri. Je me tordais de terreur, et essayais encore de paraître brave.
Mon orgueil et mon innocence m'enfermaient, seule, dans cette prison dont les murs mouvants m'écrasaient un peu plus,  jour après jour.
Je me tordais, je me crispais en convulsions intenables et inutiles.
La bête était la plus forte. Toute à son orgie, elle me tuait avec une cruauté inouïe.

La bête était en moi, elle était moi.
Ma prison, ce piège dont les mâchoires resserraient inexorablement leur étau, je l'avais construite toute seule.

Pour en sortir, je ne voyais que la mort, je n'espérais plus qu'elle.
Seule, la peur, cette peur méprisée pourtant par cette bravache aveuglée que j'étais, m'a sauvée.
La peur de souffrir, pas de mourir, non, mourir me paraissait délivrance, la seule couardise d'avoir trop mal, pour franchir le pas vers la liberté, m'a retenue.
Ma faiblesse m'a sauvée.
Sans elle, j'aurais sauté à pieds joints dans l'abîme qui m'était seule issue pour fuir cette souffrance muette et insoutenable.

La peur,  l'amour et le  soutien des miens m'ont sauvée.
J'étais comme la proie pourchassée prête  à tout pour arrêter de souffrir.
Le salut m'est venu des autres, et de cette part humble de moi-même.
Cette part fragile et faible, cette part dont j'avais presque honte jusque là, cette part m'a ouvert la voie vers la lumière perdue.

La hyène s'est rassasiée, pour cette fois encore.
Sa faim assouvie l'a éloignée de moi.
J'espère avoir retenu son enseignement.
J'espère avoir gardé suffisamment l'image terrible de cette grande terreur pour ne pas en oublier le danger.

J'espère aussi garder cette belle joie de vivre retrouvée. La couver et la préserver, hors des excès indomptables et fougueux, qui m'ont menée si près de tout perdre.

Oh... ce n'aurait peut-être pas changé la face du monde, non.
Mais, tout de même, c'aurait été dommage, quand-même...

Je ne veux pas plus longtemps titiller la sale bête endormie.
Je ne veux pas risquer de réveiller ses instincts meurtriers.
Je veux juste vivre, au mieux.
La savoir là, mais la savoir apaisée, apprivoisée, peut-être ?

La joie et l'espoir nous sont donnés. Comme la peur et la méchanceté, cette souffrance qui mord.
Vivre bien, je le crois, c'est faire grandir les premiers, et se garder au mieux des autres.

Alléluia, et prenez garde aux orages !




mercredi 21 juin 2017

DES CITROUILLES ET DES HOMMES...




Bonjour !





Hier matin, les roses du petit jour parlaient de pluie prochaine.









On regardait l'astre incendiaire flamboyer, en se disant que ses ardeurs seraient passagères.





Pourtant, pour le moment, pas de pluie à l'horizon. Et l'astre, toujours là, et bien là, écrasant et arrogant d'une force brutale.
Bon... puisqu'il faut attendre, attendons...
Pour mes pauvres oreilles oppressées, le poids de l'atmosphère est plus pénible encore.
Que faire ? Je me préserve de mon mieux, évitant de me trouver à portée du courroux de Bel astre. Autant que je le peux !

Nos organismes d'Europe tempérée ne nous ont pas aguerris à ces températures près des quarante degrés.  Ma foi, si ça ne dure pas trop, ça ira !





Zaldi lutte elle aussi. Les mouches exacerbées piquent tant et si bien qu'elle secoue ses oreilles mobiles et sa queue oscillante, levant une patte puis l'autre, sans arrêt harcelée.
mes vaches passent la journée à l'étable, et sortent la nuit, prendre un peu de frais.

Moi-même j'ai du dimanche subir l'attaque vrombissante d'une douzaine de guêpes affolées par mon approche bruyante.
Une bonne moitié m'a dardé son venin, tuméfiant en chou-fleur ma vieille peau enflammée.
Là, c'est mieux. Le venin s'est contenté de ce lot raisonnable, et ne m'a pas empoisonnée au delà. 

Ce matin, à la fraîche, j'ai entrepris le sarclage de mes rangs de citrouilles.
J'en avais fait un premier tour, au pied, espérant le renfort mécanique du motoculteur d'Olivier.
C'était prévu pour dimanche matin.
Dimanche advint, un petit jour amical, point trop chaud encore, des cieux clairs et un horizon dégagé.
Nous avons œuvré de concert, moi, indiquant les plants perdus dans l'herbe envahissante, lui, slalomant autour en retenant les sauts de la machine sur les pierres d'Agorreta.
Ici, nous sommes loin des sables landais, et le matériel est soumis à rude épreuve.
La fraise arrière émiettait bien les mottes, arrachant les adventices et les retournant cul par dessus tête. Les racines retournées séchaient au soleil haut. Les plants, eux, doucement gansés de terre poudreuse, étalaient en grande aise leurs larges feuilles.
C'était plaisant, un peu bruyant sans doute, mais, casquée  conventionnellement, j'avais grand plaisir à accompagner ce mouvement.
Pour le même résultat, il en aurait fallu, des coups et des coups de ma petite sarclette...

Olivier est très fier de ses machines. C'est un homme, quoi, qui met son orgueil dans la mécanique. Tel qu'il est, pourtant, il me plaît, allez !
Ce joli motoculteur, il l'adore.
Il rosissait de plaisir, ou d'effort, en voyant la belle ouvrage rendue par son jouet favori.
Nous terminions la première série de rangées, parcourant en longueur chaque intervalle.
Il nous fallait ensuite quadriller le terrain dans l'autre sens, pour aller chercher dans les lignes l'herbette restante.
Vous voyez, j'en suis sûre, le topo.

C'est là que la courroie sauta. Aïe ! La machine secouée avançait pourtant jusque là vaillamment. Olivier sautillait derrière elle, transpirant à grandes eaux, mais bien arrimé aux poignées.
Ce petit contretemps ne semblait pas trop gênant. Une courroie qui saute hors de la gorge de sa poulie, ça se remet en place, normalement, assez aisément.
Il fallait démonter un cache, et pour cela, regagner notre petit atelier maison.
Concédant au sort malin ce petit contretemps, nous regagnâmes la ferme, retenant la machine dans la descente entre le jardin et la cour.

Nous démontâmes le capot, sans mal, puis la roue, pour plus de commodité.
La courroie vrillée hurlait son désarroi, coincée entre l'arête de la poulie, et une tige filetée en dessous.
Olivier tirait, tournait, s'énervait gentiment, contre cette sale courroie qui lui résistait.
Je maintenais la machine penchée, essayant d'intervenir moi-même, sans  plus de succès.

- Appelons Antton, proposai-je.

Antton, mon frère, le mécanicien maison, si vous vous en souvenez.

Olivier ne voulait pas capituler.

 - Mais non, des courroies, je sais les changer ! Il me faut juste un outil.

Je voyais bien comment la moutarde lui montait au nez.
Des outils, à moins d'un mètre de lui, il y en avait toute une panoplie. Tournevis, pinces, clés, tout ce qui se peut trouver dans un atelier bien achalandé.
L'affaire commençait à durer.
Passant outre la fierté mâle de mon grand mari, je hélai mon frère, justement à portée.

Il s'approcha, se pencha, et extirpa, à mains nues, en trois secondes, la récalcitrante chiffonnée.
Tout aussi vite, il la remit en place, sagement engagée dans la gorge de la poulie.

Olivier marmonnait, vexé.
Je ne pus me contenir, effrontée que je suis :

 - Ah tiens, il l'avait, lui, l'outil !

Que voulez-vous, on ne se refait pas, et jamais je n'ai su résister à un bon mot, fût-il malheureux et déplacé.
Pour me punir, la malchance me grimaça son plus charmant sourire :
La courroie remise en place, nous nous aperçûmes, navrés, que le câble de traction avait lâché.
Il pendait, orphelin de son accroche à la poignée.
Mince ! un motoculteur à pousser, ce n'est plus la même histoire !
J'étais bien attrapée. Ma proposition de bidouiller une attache fut immédiatement et collégialement repoussée :
 - Ma machine est neuve, il faut commander le câble d'origine !




Allez... nous étions partis pour les grandes manœuvres, et je pouvais dire adieu à mes rangs de citrouilles parfaitement binées !

Je me retirai, bredouille, dans la cuisine fraîche, pour préparer le repas du dimanche.
La machine attend maintenant d'être réparée. Soit !

Ce matin, j'ai entrepris de finir ce travail :


















C'est plus long qu'avec la machine, évidemment, et bien plus fastidieux.
Mais bon, ça a son charme aussi, le sarclage au grand soleil.
On voit son travail, l'avant et l'après, n'est-ce pas ?
C'est calme et reposant.

Tout en soignant mes plantules, j'ai jeté un œil à côté de ma plate-bande.
Oui, en avant première de mon projet 2122, nous partageons déjà les terres d'Agorreta entre plusieurs jardiniers émérites.


A ma gauche,  Berra a semé ses citrouilles.
Mes méthodes d'éleveuse ont fait des adeptes.
La courge fourragère se propage et nourrit d'autres élevages.





Plus bas, celles du frérot le courroucé paraissent un tantinet chiffonnées.
Bah... elles pousseront et peut-être même leur départ différé les avantage-t-elles sous cette trop forte chaleur : moins de feuilles exposées, moins de pertes en eau.

Une petite émulation nous titille. Ces trois travées de citrouilles voisines ravivent nos fiertés légitimes à cultiver les plus belles.
Là encore, notre atavisme paysan nous tient, transposant nos orgueils dans nos talents de cultivateurs.




Sous le regard impassible et bienveillant de Mère-Rhune, nos vieux démons paysans de convoitise d'une terre à posséder sommeillent.
La terre d'Agorreta est dure et pierreuse.
Elle nous a nourris, pourtant, hommes et bêtes. Et continue encore.


Jusqu'au jour où elle nous couvera, celle-ci ou une autre, quand nous pourrirons dessous et la nourrirons en retour.
Nous serons alors rassasiés d'elle, tous, et nos démons s'assagiront peut-être.

Qui sait ?

Je vous retrouve plus tard. Je vais continuer mon ouvrage, le vent se lève et l'air est plus léger.



mardi 20 juin 2017

AGORRETA 2122



Bonjour !

Nous subissons les outrances de l'ardent soleil, ces jours-ci.
Impuissants et vulnérables, nous recherchons les parades pour éviter la morsure implacable de l'astre trop vigoureux.

Il pèse, ce satané soleil, quand il s'y met, il vous pose avec une insistance pénible sa cape sur les épaules, le bougre !

Je suis bien placée maintenant pour connaître les dangers de tous les excès, et je tâche de m'en préserver, quand je le peux...
Je ne le peux pas toujours, évidemment ! 
Pépiniériste, c'est dehors, forcément...

Pour me distraire de ces conditions trop rudes, je visite dans ma tête mes projets pour les siècles à venir. Rien que ça !

Ca fait du bien, ces visites là, ça vous aère, et ça vous fait promener loin du quotidien parfois étroit.
Je ne m'en prive pas.

Mon projet Agorreta me tient, ces temps-ci. Il ouvre dans ma tête une jolie fenêtre, sur un paysage agréable.
De ces paysages dont j'ai tant eu besoin quand le noir s'était invité en moi comme un malotru exigeant.

Mon projet s'articule sur deux charnières.
La première est de mon ressort, dans mon périmètre et mes possibilités.
La seconde requiert l'élargissement, la fédération de forces plus larges et plus lointaines.

J'ai dans l'idée, avec logique et bon sens, je veux le croire, de commencer par le commencement.
Si j'y arrive, il sera temps de rayonner autour, et mon idée gagnera comme les cercles d'une onde tranquille.
Je ne veux pas paraître particulièrement mystérieuse. Je vous ai déjà dévoilé ma vision pour l'avenir de la ferme.
Je vois bien Agorreta poursuivre son destin d'asile pour les réfugiés, comme elle l'a été au Moyen-Age pour les cathares, d'après Kepa Arburua Olaizola.
Je n'ai pas eu l'acharnement de poursuivre des recherches historiques plus poussées que les siennes : je n'en aurai jamais le courage assidu, et l'envie ne m'en tenaille pas.

Je fais confiance à mon instinct, à cette intuition dont je sais être le jouet parfois, quand à d'autres moments il me guide sûrement.
Je garde aussi cette légende de léproserie dans un coin de la tête.
J'écoute mes vieilles pierres, et elles me susurrent un discours concordant.
Ce "bloc" dans son ensemble devient cohérent, quand il le paraissait si peu !
Les éléments épars se rassemblent et dessinent enfin ce paysage où mon imaginaire se repose comme à la vue d'un lac tranquille.

Mes réfugiés ne viendront pas de loin. 
Des gens qui cherchent refuge, qui ont besoin d'un asile où se reposer un instant, il y en a tout près.
J'ai eu moi même besoin de me "réfugier", ce printemps. 
J'ai trouvé à Rivière, auprès de mon mari et sous les grands arbres de la forêt,  la respiration et la paix dont j'avais tant besoin, à ce moment là.
Je ne suis pas seule à ressentir parfois ce besoin. D'autres, j'en suis sûre, ont l'envie aussi d'une pause dans leur vie, d'un moment et d'un endroit où apaiser leurs écorchures vives.

Cet endroit, je voudrais le proposer, ici, à Agorreta.
Accueillir entre ces vieux murs épais les pincements douloureux d'un quotidien parfois trop bousculé. Offrir une ombre paisible et une lumière calme où reposer ses tourments.

Je le ferai à mon niveau, à toute petite échelle, pour commencer. 
J'ai cette chance d'être ici près de la nature, des bêtes, et des pierres.
J'ai cette chance ici d'avoir compris combien la compassion aide et soutient.
J'ai cette chance d'avoir frôlé un gouffre noir, sans y être tombée tout à fait.

Si mon projet intéresse plus largement, s'il fédère et obtient une adhésion au delà des miens, alors, Agorreta pourrait devenir ce havre où on revient se refaire une force, cette terre d'accueil où on admet la souffrance pour essayer de la soulager.

Pour le moment, je prépare, pas à pas et petitement.
Je plante mes arbres, je pose mes jalons.
Je ne verrai peut-être pas mon projet aboutir.
Je ferai mieux, je l'emporterai partout avec moi, et il éclairera mon temps de vie.

C'est ma façon de me réaliser, de me sentir appartenir à un univers bien au delà de moi, m'y perpétuant et m'y fondant.

Agorreta et ses vieilles pierres étaient là bien avant moi, et le resteront sûrement bien après.
J'y aurai laissé une trace ténue, mais ma trace quand-même !

Voyez, je m'emballe !  J'arrête là, vais prendre le frais, si j'en trouve, et ramener mes grandes idées à une saine humilité.

Je vous retrouve plus tard.










jeudi 15 juin 2017

AGORRETA : UNE VIEILLE HISTOIRE




Bonjour !


Hier jeudi et ce matin encore, il chuinte une bruine ouatée.
C'est tout à fait reposant, et tellement bienvenu quand les foins sont gentiment remisés dans la grange, les plants de citrouilles proprement sarclés.
Maintenant, la pluie peut tomber.

J'ai tout dernièrement lu un livre de Jeanne Benameur, canadienne me semble-t-il : Profanes.
La dernière phrase en était : le vent peut souffler.
Le titre paraissait hermétique, et le contenu m'a saisie de justesse et de profondeur, en ce moment, pour moi.
Il y a de ces coïncidences,  ainsi, un livre, un moment, un lecteur. J'ai dégusté, et chaque phrase sonnait bien à mes propres pensées.
Il y était question d'un vieil homme retrouvant la sérénité au crépuscule de sa vie, en rassemblant ses morceaux douloureusement épars.
Ce que j'essaie de faire au mitan de la mienne. S'il m'est donné de vivre encore longtemps, qui sait ?
J'y reviendrai, là encore...
Nous avons beaucoup de choses à explorer, dans l'avenir !

Pour revenir tout prosaïquement à ma vieille grange à foin, je dois réviser cette toiture maintenant défaillante.
Ici, le vent ne pourrait pas souffler trop fort, sans dommages. Ni la pluie tomber trop drue !

Ce joli bâtiment, coquet et parfaitement intégré dans le paysage (!) date de 1967.

A l'époque une équipe de deux ouvriers, je crois, j'avais alors deux ans, et mes souvenirs restent un peu flous, logeait chez nous, le temps de la construction de notre "Barbot".
Ce devait être le nom de l'entreprise, et une petite plaque se pavanait longtemps en étendard à la proue de ce bateau de terre.
L'un de ces deux ouvriers avait essuyé une averse de plomb de chasse, et me faisait tâter les grumeaux durs sous la peau de son poitrail, riant de ma surprise inquiète de toute petite fille.
C'est du moins mon souvenir gardé, à moins d'une confusion, toujours possible.
Mon père n'a pas pu éclairer ma lanterne, et je lance avis de recherche à ceux qui en sauraient plus...

Ce "Barbot", vieilli et fatigué laisse maintenant de ci de là entrer des gouttelettes d'eau. Ennuyeux, pour une grange à foin !
J'ai entrepris d'arranger le souci.
Les plaques de couverture, en 1967, étaient amiantées.
De cette amiante aujourd'hui diabolisée à outrance, pour laquelle il faut prendre des mesures semblables à l'approche de la centrale atomique de Tchernobyl, juste après son explosion.
Nos gouvernants s'alarment sans limites, mettant dans le même sac l'amiante inerte d'une bonne vieille plaque d'Everite, et la poussière insidieuse, et, là, pour le coup, sûrement dangereuse, des usines de fabrication où le même matériau affolé en particules libres s'insinue dans les poumons des ouvriers exposés sans protection.

Une bonne intention de départ, je n'en doute pas. Une application outrée et rédhibitoire, puisque les coûts de ce fameux "désamiantage" dissuadent beaucoup de propriétaires de remplacer les vieilles couvertures incriminées, laissant plutôt les bâtiments à l'abandon, dans les campagnes désertées.
Les plaques abîmées finissent de se casser en morceaux, les granges investies de ronces engloutissent cette pollution laissée libre, et la terre innocente absorbe la particule et la rend à l'eau qui la propagera à son tour, victime collatérale et complice involontaire.
Voilà pour la petite analyse environnementale...

Ici, à Agorreta, je n'ai pas l'intention d'abandonner quoi que ce soit.
Le Barbot est vieux, mais il vivra, encore.
Je ferai au mieux.

Le petit hic de l'histoire, nous vient des approximations anciennes.
A l'époque, quand on implantait une grange, une ferme, une maison, même, on faisait ça à la bonne franquette.
Etudiant la courbe du terrain, les barradeaux (je ne sais pas au juste comment ça s'écrit, cette affaire, il faudrait le demander à mon frère, il en est fan !) et les fossés délimitaient soi-disant les parcelles.
Pourquoi pas ?
Et bien, à l'examen, les barrrradeaux ! ( rouler longuement les R en bouche), et les fossés ne collent pas tout à fait au cadastre... Ooh... pas grand chose, quelques mètres, ici ou là, une dizaine, ou plusieurs, parfois ! Mince alors !!

Là encore, on pourrait déplorer les outrances d'un plan cadastral sec et sans appel, du couperet glacé d'une limite sans compassion pour nos  errements passés.
Regretter la rondeur et le bon sens passés, où l'on suivait la courbe naturelle des terres pour en décider les limites.
Aujourd'hui, tout ça se fait depuis un bureau, derrière un écran. Alors, évidemment, la courbe naturelle, elle se fait bousculer ! Pas sûr que ce soit réellement un progrès, d'ailleurs...

A Agorreta, ici ou là, nous avons un peu débordé : notre appétit d'expansion nous a menés hors de nous, comme une aspiration vous élève, et vous fait quitter la terre.
Ramenés au sol par le tout puissant cadastre souverain, nous devons maintenant rattraper ces erreurs.

Bah! Là encore, beaucoup de bonne volonté, pas mal de temps et de patience, et tout se fait.
Je me demande parfois s'il faut plusieurs vies pour ramener à la surface le poids de notre histoire et ses entraves.
Si j'aurai du moins assez de la mienne pour en libérer ce petit coin, au moins.
Et combien de temps il faudra pour réparer les miennes, erreurs, celles-là même que nous faisons tous, sans nous en rendre compte la plupart du temps !

Je ne désespère pas, non. J'ai ma vision.




Je vois Agorreta reconstituée, comme Cousinou voyait ses champs réunifiés.
Tiens, ce pourrait en être l'occasion : le bon vieux chemin rural d'Agorreta pourrait reprendre du service, un jour, et refermer ainsi la cicatrice ouverte encore de cet accès de maintenant.
C'est opaque pour vous, sans doute, ou pas. Par ici, j'en suis sûre, on me comprend...

Un jour, peut-être. Même si, d'ici là, le vent soufflera, et la pluie tombera... Et alors !

D'ici là,  et en attendant, portez-vous bien !













mercredi 14 juin 2017

LES FOINS SONT RENTRES



Bonjour !

Ouf !
La petite bruine de ce matin, c'est un bienfait, doux, chuintant et feutré.
Surtout quand les foins viennent juste d'être rentrés !








Le transporteur Mendy arbore sur ses camions un "le spécialiste du juste à temps",  vecteur d'une angoisse diffuse chez les psychotiques dans mon genre.
"Juste à temps", pour moi, c'est presque "trop tard"...
Je suis toujours à l'avance, bien à l'avance, à mes rendez-vous.  cette peur de ne pas y être à l'heure, cette anticipation presque exagérée, n'a pas que des mauvais côtés, allez...

Pour les foins, il y a matière à cristallisation de toutes nos vieilles peurs paysannes. Le temps, orageux ces derniers jours, joue avec nos nerfs. Le soleil explose dans un ciel pur, ou se voile dans une atmosphère poisseuse. Quand une petite bruinette ou une averse vicieuse ne vient pas pourrir les andains de foin !
Non, ce foin, c'est toujours un moment un peu crispant.
La matérialisation de notre vulnérabilité à ces aléas souverains dont nous sommes les serfs impuissants et mal résignés.








Mon frais petit potager hier matin contentait mes espérances de sa vision optimiste.

Dans la cour d'Agorreta, toute la journée, ce fut un ballet de charrettes emplies de ces gros tournesols parfumés du foin roulé en boules :












Mon petit frère d'adoption et sa femme, la vigoureuse et si attachante Célia, remplirent le vieux Barbot, ma grange à la façade édentée.
Je travaille en ce moment à restaurer  ce vénérable bâtiment. 
Je vous en parlerai, ça vaut le détour...







Un autre ancêtre vénérable, mon vieux  père a supervisé la manœuvre, évidemment.
Heureux et souriant.

Tout est parfait, ce matin, dans notre petit monde presque enchanté !

lundi 12 juin 2017

MON PROJET POUR LE 22EME SIECLE



Bonjour !

Par la grise matinée d'hier, dimanche, nous avons œuvré avec Olivier pour l'avenir.
Dans la ligne de mon projet de reboisement des terrains d'Agorreta, j'ai commencé, à ma modeste échelle humaine.







Planter des arbres, c'est croire en un avenir au delà de nos vies. C'est une marque d'espérance et une vision lointaine d'un monde où on laisse sa trace pour le bienfait d'autres que soi-même.

J'aime cette idée, elle m'a toujours fait du bien.
La première série de mes plantations, initiées il y a une trentaine d'années maintenant, allonge ses hautes silhouettes le long du champ où paissent les vaches.
Ici, en haut, j'avais dans le même temps installé des pommiers, et un tilleul.
Ils ont chu, le dernier l'an dernier, relaté dan ce "bloc".

Quand on plante du vivant, il faut compter avec la mort, aussi.
Tout ne réussit pas, et il faut en accepter l'augure mauvaise...

Déçue mais pas découragée, je remets sur le métier mon ouvrage.
Olivier partage mes vues et mes goûts en ce domaine. Il est mon mari, le compagnon de ma vie, mon épaule solide et mes bras courageux.

Notre ouvrage suscita évidemment la curiosité de mes belles.
Bigoudi et ses filles s'en vinrent voir ce qui se tramait là :









Nous avions prévu l'adversité : tuteurs en haubans contre les vents, attaches solides.










Pour éviter les dégâts d'une curiosité trop insistante de mes vaches, une coquette spirale de fil ronce devait dissuader les naseaux vulnérables.

Quand je rentrai de la jardinerie, hier soir, mes trois arbres étaient debout. Bien !
A l'observation plus fine, je constatai tout de même des traces de morsures sur les écorces, particulièrement, sur celle, plus tendre, du poirier à fleurs. Mince...

Les vaches nourries dans l'étable ressortirent au pré. Je les regardai faire.

Et, je vis :
Beltza, ma noire diablesse, fille de la blanche Bigoudi, trouvait le moyen, en tordant sa belle tête marquée pourtant d'un joli cœur blanc, de faufiler le museau entre les spirales de ronces, et de mignoter avec gourmandise les écorces jeunettes.
La bougresse !
Je criai, frappai dans les mains, lui envoyai un caillou sur la tête. Elle se détourna, un peu... et revint, la sale bête !

Rien n'y ferait, elle allait m'écorcer mes arbres jusqu'à les sécher...

Ce matin même, j'ai complété notre dispositif dissuasif, en emmaillotant les troncs harnachés de ronce d'une toile cirée maison.
L'historique des nappes de la cuisine d'Agorreta protège ainsi l'avenir de ces arbres plantés pour offrir leur ombrage, dans longtemps.

Mon chêne vert mettra du temps, beaucoup de temps, avant de devenir une arbre majestueux. Si le sort lui est favorable.
J'ai mis tout en œuvre pour accompagner au mieux ce mouvement positif. A ma modeste échelle, toujours.

Les œuvres ambitieuses ne doivent pas nous intimider. Pour accomplir de grandes choses, il faut commencer par les petites.
Chaque caillou construit le chemin, et au bout d'un chemin se dessine l'horizon lointain.

Je suis en marche, sans prétention, mais bien debout.
Contente et fière, sans orgueil, mais avec courage.

Mes arbres comme ce "bloc" seront ma trace, pour après moi.
Une trace modeste, mais une trace quand-même, jolie et légère, je l'espère.
Telles les graines presque indestructibles des oseilles sauvages dardant leurs lances pourpres dans le pré, mes visées surmontent pour le moment des aléas contraires.
Nos idées nous portent plus loin que nos vieilles carcasses...

A plus tard, pour d'autres pas dans le destin long et tenace, d'Agorreta !