mercredi 13 avril 2016

APRES LA 200ème



Suiveurs des nouvelles d'Agorreta, bonjour !

L'article d'aujourd'hui n'en est pas un.
Il vient juste clôturer cette série d'une année et demie maintenant.

Sans grand préavis, ni grand sens, c'est vrai.
Comme une vie s'anime, ou se perd, parfois. 
La recherche d'une justification, d'une signification, entretenue comme une illusion pour ne pas céder sous le poids d'une vaste supercherie, me laisse maintenant désemparée.

Je vis en ce moment ce temps d'attente, un peu morne, d'une lecture ennuyeuse et plate.
Ce temps où la perspective s'efface, où l’immobilisme s'installe.

Le moment n'a pas grand chose à y voir.
Le démarrage des activités en extérieur devrait plutôt me rendre tonique et enthousiaste.
Mon modeste élevage, avec ces micro-évènements chaotiques et désordonnés, cette année, demande cette phase d'adaptation, d'attente, dont je ne suis pas la meilleure actrice.

J'ai initié et nourri ce "bloc" dans un sentiment d'imminence, d'urgence, presque. Quelque chose se profilait, j'avais cette impression. J'ai longtemps imaginé pressentir la mort de mon père. Dieu merci, ce brave homme se porte aujourd'hui comme un charme, et mes pressentiments peuvent aller se rhabiller en déconfiture...

Je ne pense pas être orgueilleuse au point d'être investie par le dépit de m'être trompée ! Il y a des limites à mes défauts, tout de même...

Non, je crois juste être arrivée à un point où il me faut laisser venir à moi les choses, sans essayer de les devancer.
Je dois accepter cette période attentiste et passive. L'accueillir comme nécessaire et légitime.
Comme ce n'est pas trop dans mon tempérament, la mécanique regimbe, et le fait sentir, évidemment !

Je n'ai pas envie de m'appesantir sur ce malaise que j'espère passager.
J'ai déjà connu de ces phases vaseuses, sans autre intérêt que celui d'apprendre qu'elles sont passages, et non impasses. Jusqu'ici, du moins l'ont-elles toujours été... 

Je vous ai beaucoup entretenus de moi, d'Agorreta.
J'espère ne pas vous avoir lassés.
Votre intérêt me rendait "intéressante" à mes propres yeux. Je dois vous remercier de ce sentiment ma foi bien agréable !

Maintenant, nous allons marquer une de ces petites pauses reconstituantes dont j'ai parfois besoin.

Une ou autre actualité me ramènera vers vous, sporadiquement, je pense. 
Ou alors,  je reviendrai, plus tard, au début d'une nouvelle courbe pressentie, à tort ou à raison.

Je vous laisse ici, pour le moment.
Je vais tâcher de prendre patience au mieux.
D'assurer mon rôle du lieu et du moment, autant que j'en suis capable.

Ceci paraît une foucade. C'en est peut-être une.
Je suis un peu fantasque et vite excessive dans mes résolutions.

Merci encore de votre fidélité. A bientôt peut-être, sans doute...





lundi 11 avril 2016

RETOUR AU CALME



Bonjour à tous !






Comme le soleil est bienfaisant en ce moment !
Les souffles de vent, on s'en passerait, mais bon, ne soyons pas trop exigeants, non plus !

Ce mois d'avril est souvent perturbateur, entre belle saison et restants de frimas.
Il faut en passer par là...

A Agorreta, les choses semblent revenir au calme.
La vieille étable retrouve une ambiance paisible, enfin !




Petit Breton est là depuis une bonne semaine maintenant. 
Samedi soir pour la première fois depuis son arrivée, il a pu boire tout son saoul, sans être durement renvoyé dans ses quartiers par Fauvette.

Les mamelles congestionnées de ma belle fauve, crevassées de gerçures, rendaient la tétée douloureuse.
Quand en plus, le petit au pis n'est pas bienvenu, on imagine aisément le désagrément !

A grands coups de baume apaisant et de traite précautionneuse, ce pis malmené s'est assoupli.
Petit breton de son côté a vite pris de la graine de son expérience en accéléré. S'il veut manger, il faut qu'il apprivoise sa mère adoptive. Qu'il la séduise...
Les coups de tête, les succions trop pressantes, sont prohibés. L'apprentissage est simplissime : un coup de tête amène instantanément un coup de sabot. Une mauvaise prise de la mamelle, itou !  
Petit Breton se plie aux exigences requises. Attentif et concentré, pattes écartées, bien positionné sous le flanc de Fauvette, il tète voluptueusement, en grande douceur. 
Quand Fauvette manifeste son impatience en se reculant ou en se déportant, il s'écarte, et attend sagement qu'elle se remette en position favorable.
Très discipliné et rapide à intégrer l'enseignement, ce petit !
Résultat de toute ces bonnes volontés conjuguées, Petit Breton se prélasse dans sa litière, la panse confortablement rebondie, après son repas profitable et presque serein.
Nous n'y sommes pas encore tout à fait, non, non... Mais nous avançons, jour après jour.

Je vais je l'espère, pouvoir vous montrer Petit breton au pis de Fauvette très vite. Là, encore, je dois assister le petit et la grande, préservant l'un et apaisant l'autre.  Une occupation trop prenante pour pouvoir s'en distraire !

Le restant de mon petit troupeau a également manifesté les signes de ces perturbations. Troubles des comportements,  agitation et nervosité, désordres digestifs, (je ne vous fais pas un dessin !), inégalités des humeurs.
Ces vaches sont terriblement sensitives, sous des dehors bovins !

Le prochain vêlage de Bigoudi va clôturer l'épisode critique pour cette année. Ensuite, mères et petits devraient retrouver dans une routine installée le chemin de cette sérénité pour le moment sinistrée.
Patience !



Mes hirondelles ont repris le nid commencé en fin de saison l'année dernière.
Je ne saurais pas vous dire si ce sont les mêmes qui ont réinvesti cet ouvrage.
Rien de plus semblable à une hirondelle, qu'une autre hirondelle...

















Le travail commencé sans visée immédiate avait donc un sens...

De ce sens difficile à percevoir parfois, quand les choses s'assemblent dans un ordre qui nous surprend, pauvres mortels soumis à une logique primaire que nous sommes !


Je trouve dans ces dénouements décalés une manière de réconfort.

Dans la conduite de ma vie, certaines choses me semblent d'une lecture embrouillée. Le fil du temps s'emmêle dans des circonvolutions floues. On se perdrait vite en conjectures inconfortables, à vouloir comprendre ce qui se déchiffre mal.
La lumière vient parfois longtemps après, en son temps, sans doute. Et ce délai est sûrement juste. Je me le dis en manière de philosophie. Pour me persuader de ce qui me semble manquer de fluidité, sur le moment.
Comme en ces jours où mes vaches manifestent leur désagrément à la perturbation !





En ces situations troubles, j'ai ma méthode.
Elle vaut ce qu'elle vaut, mais, jusqu'ici, elle a fait ses preuves.
Je me concentre sur un noyau resserré de valeurs sûres.
Sans perdre de vue les causes de désordre, quand je suis sûre d'avoir œuvré de mon mieux au rétablissement d'un équilibre raisonnable, je me distrais de ce tracas en me tournant vers une saine activité.

Justement, la période va être à la reprise de la culture.
La terre, abondamment fumée en automne,  académiquement chaulée au printemps se prépare. Battue par les pluies, croûtée en surface des premiers ensoleillements de printemps, les mottes vont être bientôt prêtes à être utilement travaillées.
Ttiki-Haunndi est au garde-à-vous, avec Rotavator en seconde ligne.

L'an dernier,  toute à ma fougue, je m'étais lancée un peu tôt, souvenez-vous.
J'avais semé ma betterave début avril.  Un peu de froid, un peu de sec, résultat des courses : bernique, rien, nada !



La désolation de rangs obstinément muets.
J'avais du refaire mon semis de betterave à plusieurs reprises.

Seul, le semis de début juin avait daigné lever correctement.
Mon impatience était restée lettre morte !

Aguerrie de cette déconfiture, je m'étais promis pour cette année d'attendre le réchauffement suffisant, avant de confier mes graines à la terre.
Début mai semble légitime.



Je dois faire violence à ma nature. J'ai du mal à ajourner mes projets, à atermoyer. La chose à faire me paraît urgente. Le projet en visée ne se tient pas tranquille dans un coin de mon périmètre mental. Non, il s'agite, trépigne et vibrionne comme la mouche agaçante sur le carreau. Il ne se laisse pas oublier, le bougre ! 
Attendre m'est un petit tourment.
Et pourtant, attendre est sage, souvent.

Mes vaches me l'imposent,  qui ne s'en laissent pas compter de mes fébrilités.
Les hirondelles me l'enseignent,  débutant une année un ouvrage qu'elles termineront l'année d'après.

Le temps à attendre, l'impatience à dompter, comme on apprivoise une bête.





Les années assagissent nos velléités de rébellion. 
Le maître d'Agorreta ne s'impatiente pas. Il observe, attentif, sans s'émouvoir inutilement.

Allez, je vais tâcher de suivre cette voie. 
Attendre le bon moment, accompagner cette attente au mieux, et ne pas y perdre le plaisir de vivre ce temps juste et incontournable.

A une prochaine fois, vous qui êtes peut-être plus sages que moi !

vendredi 8 avril 2016

DÉSORDRES ET PERTURBATIONS



Bonjour aux suiveurs des nouvelles d'Agorreta !








Nous nous retrouvons comme souvent autour des actualités de l'étable, à Agorreta.

La période n'est pas des plus calmes, dans les parages...
Le veau mort-né de Fauvette a créé des perturbations, cousines de celles qui agitent le ciel ces jours-ci.
Le désordre est partout, sur la terre comme au ciel !

Dans un monde idéal, n'est-ce pas,  tout se déroulerait parfaitement, coulerait gentiment en un fil continu et sans nœuds.
Dans la vraie vie, la mienne et la vôtre, aussi, sans doute, les choses se compliquent parfois.
L'imprévu n'est pas toujours une bonne surprise.  Et des écueils dont on se passerait bien se présentent effrontément, les petits diables !

Le monde n'est donc pas parfait...
Ce n'est pas une découverte, je ne l'apprends pas aujourd'hui. Pourtant, en grande  naïve, je continue de prendre les déconvenues avec étonnement, m'attendant toujours à ce que tout aille bien, jusqu'à ce que j' aie  eu la preuve du contraire. L'optimisme s'entretient, et je m'y attache, entêtée et tenace. 
Il se travaille, aussi. Et les épreuves contraires, petites et grandes, font partie des exercices de maintien. C'est ce que j'essaie de garder en tête.

Nous vivons cette semaine à l'étable d'Agorreta une période mouvementée d'adaptation d'après crise. 
Une de ces périodes nécessaires, incontournables et justes, pour passer d'une situation établie à une configuration nouvelle, quand le sort malin s'est mêlé d'embrouiller votre construction patiemment assemblée en chaos.

La nouveauté s'accueille et se digère. Plus vite on l'admet et on se met en position de l'intégrer, mieux on s'en porte, à mon humble avis. Se lamenter sur les pertes irrattrapables est stérile et inutile.

Je tâche de mettre en pratique mes adages, en élève disciplinée et confiante. 
Jusqu'ici, tout a fini par rentrer dans un ordre nouveau, différent de l'ancien, évidemment. Cette évolution a même eu l'avantage d'élargir mon horizon de connaissances. J'ai soigneusement recueilli et engrangé les enseignements tirés de ces expériences. Et je m'en porte bien.

Appliquons donc à notre cas pratique du moment cette petite philosophie :








Petit Breton fait partie de cette nouveauté induite d'un imprévu négatif. Il vient prendre la place laissée vide par le veau mort-né de Fauvette.
Sa première sortie au pré dimanche a failli mal tourner. Une charge offensive de Pollita en colère, une fuite à travers des barbelés blessants, et pour finir une chute dans le ruisseau au bas de la prairie.
Toutes ces péripéties mauvaises remisées dans la vilaine lampe où dormait un mauvais génie qui n'aurait jamais du en sortir.
Dieu merci, plus de peur que de mal pour le petit veau nouvel arrivé : depuis, Petit Breton vit une vie tranquille dans la vieille étable. Il tète le pis de Fauvette matin et soir, se remplit la panse à vue d’œil, et se repose en longues siestes entre deux courtes séances de petits sauts pour se dérouiller les pattes.
Evidemment, Petit Breton aurait été tout aussi bien dehors avec sa mère d'adoption, à batifoler avec les génisses et le premier veau de Pollita. Bien-sûr... mais bon, cela n'a pas été, et ne sera peut-être pas. 
Nous verrons ça dans quelques jours. Quand Petit Breton aura pris des force, j'essaierai encore de le sortir, et je verrai comment ça se passe.

Pour le moment, nous en sommes encore à apprivoiser sa mère adoptive, la grande et belle Fauvette.




Elle est parfaitement remise de ses couches difficiles. Un premier point tout à fait satisfaisant ! Avoir Petit Breton au pis ne lui est pas encore familier, et reste pour elle désagréable. Elle consent à peine maintenant à prendre place auprès de ce petit étranger, en rentrant du pré. 
Les premiers jours, elle faisait volte-face, et ressortait sans se laisser attacher. Les autres suivaient le mouvement, et tout le monde repartait, en grand désordre. Je devais contourner la ferme, les ramener doucement dans l'étable, en essayant au mieux de les rassurer, sans m'énerver et distribuer des coups de bâtons inutiles et complètement contre-productifs dans ces cas là !
Une affaire de presque une heure, quand d'ordinaire, tout le monde est à sa place en quelques minutes...
Les vaches parquées à leur place, les réjouissances n'en sont pas terminées pour autant ! Non, non, non...
Il faut faire téter Petit Breton. Lui, ne fait pas d'histoires. Il est tout prêt à se jeter sur les mamelles gonflées, qu'il a parfaitement repérées.
Fauvette ne l'entend pas de cette oreille. Elle se recule autant que sa longueur de chaîne le lui permet, cherche à repousser le petit intrus en lui lançant des coups de sabot. Je reste à leur côté, flattant la mère et rassurant le petit, essayant de me tenir hors de portée des coups moi-même.  L'ambiance est loin d'être paisible !

Entre deux jetés de postérieurs, Petit Breton happe le téton. Je frictionne vigoureusement le flanc et la croupe de Fauvette, pour lui rendre la chose agréable.
Petit à petit, elle finit pas se calmer, bouge moins, et se met même à manger, en oubliant de repousser Petit Breton. Il profite de ce répit, yeux fermés et queue relevée, la mousse de lait ourlant son petit mufle en cadence.
Là, c'est presque gagné ! Il faut encore tenter de faire visiter les quatre mamelles au petit veau concentré, histoire de vider le pis en totalité.
Pour ne pas lasser Fauvette, quand le ventre de Petit Breton s'ovalise joliment, quand sa succion se fait moins pressante, je l'écarte et le rattache dans son coin. Assagi, il hume sa nourricière, reconnaissant, et elle se laisse toucher, plus tranquille.
Il reste encore à terminer l'ouvrage, en vidant complètement les quatre mamelles. Petit Breton est petit encore, il n'a pas besoin de tout le lait de Fauvette.
Dieu merci, à ce stade, ma belle rousse est apaisée, et elle se laisse traire sans rechigner. Elle en devient même songeuse de bien-être, la tête posée sur le muret et les yeux rétrécis sur un confort apprécié.

Pour finir, une longue séance de caresses, une psalmodie de mots doux et bas. 
Les deux bêtes, la grande et la petite, sont prêtes pour une bonne nuit de repos.
A l'autre bout de l'étable, il faut encore visiter le pis de Pollita, lui aussi incomplètement vidé par le petit rassasié.
Le lendemain matin, c'est la même chose, avec les hésitations de la rentrée en moins, puisque les vaches dorment dedans. L'excitation de la sortie empêche la séance de traite à la main et nous prive de celle des caresses. 
Le temps nous manquerait de toute façon, puisque, avec tout ça,  une bonne heure se passe...

Je suis tout de même satisfaite de nos progrès à tous les trois. Je garde confiance en un avenir plus serein, où Petit Breton tétera en paix, où Fauvette l'adoptera enfin, et où il pourra rejoindre sa fratrie d'adoption au pré.
Les semaines à venir nous diront si ma confiance est raisonnable...ou pas !




Du côté de Pollita et de son petit, tout va bien dans le meilleur des mondes. De ce monde idéal dont nous avons parfois la vision...
Ma seule préoccupation concernant ma grande reine est cette réaction trop protectrice quand elle sent un mouvement autour de son dernier-né.
Une vache peut devenir très agressive en ces circonstances. 

Mon élevage est mon loisir et mon plaisir.
Je suis prête à me donner un peu de peine pour mériter ce plaisir et cette satisfaction. Passer du temps, veiller une ou autre nuit, éviter un sabot leste de temps à autres, pour la bonne cause, d'accord.
Je n'ai pas pour autant le goût du rodéo. Je n'ai pas toujours été capable de dominer suffisamment les instincts de mes bêtes. Pour la mère de Polllita par exemple, j'ai du la sacrifier, faute de pouvoir l'apprivoiser.
Il est trop tôt pour dire comment se comportera Pollita à l'avenir. Ce petit signal d'alerte ne doit pas être dramatisé. 

Bigoudi doit vêler à la fin de ce mois-ci. Nous verrons comment les choses se déroulent pour elle. Et nous verrons aussi comment Pollita accepte ce nouveau petit, près du sien.

Il sera temps alors de prendre des options pour l'avenir. La vie nous laisse cette impression, cette illusion ?, de pouvoir choisir, tout de même. De croire tenir les rennes, quand parfois nous nous demandons si ce ne sont pas elles qui nous tiennent...

Il y a ainsi des inconnus, des surprises, bonnes ou mauvaises, dans toute entreprise.

Nos vies sont des chemins creux aux croisées mystérieuses et incertaines...





J'essaie de ne pas perdre de vue la lumière au delà des ramures sombres et emmêlées.
C'est bien plus facile comme ça, non ?

lundi 4 avril 2016

UN NOUVEAU VENU



Pour ne pas vous laisser dans cette tristesse grise, je vous livre bien vite un épisode plus clair.

Nous avions dormi une heure ou deux.
Je me demandai quelle était la meilleure manière de tirer la vache morte hors de l'étable. Les services de l'équarrissage ramassent les cadavres d'animaux, mais ne sont pas équipés pour rentrer dans les vieilles étables comme la mienne. Il faut tirer la vache à l'extérieur, avec le tracteur, et c'est là encore une scène bien pénible.

Au tout petit matin, Olivier descendu en éclaireur à l'étable remonta, un grand sourire aux lèvres :

          - Tu l'as enterrée un peu vite, ta Fauvette ! me lança-t-il depuis la porte.

Je me passai de l'eau sur le visage, les traits tirés par la nuit blanche.

          - Elle n'est pas morte, elle a même bougé. Elle s'est couchée dans la fougère !

Je me précipitai à sa suite. Au fond de l'étable, Fauvette, effectivement, était couchée dans la litière, la tête bien relevée. Elle ne paraissait pas bien fringante, peut-être, mais bien vivante !

Je lui proposai de l'eau sucrée. Elle but, un seau, puis un autre.
Nous étions au vendredi matin. Je ne travaillai que l'après-midi.
Je distribuai les rations à tout le monde, puis ouvrit la grande porte métallique sur le pré.
Les vaches défilèrent les unes derrière les autres, reniflant toutes ces odeurs fortes. Elles humèrent  le petit cadavre allongé dans un coin, et s'en détournèrent. 
Fauvette continuait de venir le lécher de temps à autre. Elle s'était relevée, se déplaçait, avait même mangé et bu. Elle semblait sauvée, elle au moins ! Les restes placentaires pendant derrière elle la gênait, elle maintenait sa queue relevée. Je tirai sur ses mamelles congestionnées pour la soulager de son trop plein de lait qui gouttait. Elle se laissa faire, sans trop bouger.
Elle sortit avec les autres.

Je nettoyai le fond de l'étable souillée. Le cadavre du veau mort serait enterré.
Il fallait maintenant prévoir la suite des opérations. 

Fauvette vivait, et elle allait produire du lait. 
Je pouvais la tarir artificiellement, avec des seringues de pommades antibiotiques poussées dans ses mamelles. Fauvette est une croisée normande et blonde. Pas une grande laitière. C'était faisable.

Je pouvais la traire matin et soir, et consommer ce lait. Tout de même, même en aimant le lait, une dizaine de litres par jour, il faut y aller !  Il n'y a plus de cochons à Agorreta. Ce débouché m'était refusé...

En troisième option, je pouvais trouver à ma Fauvette presque ressuscitée, un veau adoptif de substitution. Le lui proposer, essayer de le lui faire accepter pour sien. Ça aussi, c'est faisable, mais pas toujours gagné d'avance !
La mère ne s'accommode pas facilement d'un autre veau, le veau n'est pas toujours habile à téter le pis, s'il n'y es pas habitué...
Une période d'adaptation est nécessaire, avec volées de coups de sabots, et contorsions difficiles à l'appui.
Au risque de devoir traire la vache, comme dans la deuxième option, et faire boire le petit adopté rejeté au seau. Envisageable...

Après rapide réflexion, je choisis la troisième option. La plus optimiste !
Marcel, notre maquignon maison, fut missionné à la recherche d'un petit veau nouveau-né à vendre. 
Toujours efficace, il en trouva un dans la matinée.

En rentrant de la jardinerie, le soir, je trouvai un petit breton sagement attaché à la première place. Tout propret et mignonnet. Ce Marcel est un vrai professionnel. Il ne vous livre jamais une bête, petite ou grande, sans l'avoir soigneusement apprêtée. Celui-ci semblait sorti d'un institut de beauté !
Dans l'idée d'abuser Fauvette, je frictionnai le nouveau venu avec des bribes de placenta conservés pour cet usage. Il aurait l'odeur du veau mort-né, et Fauvette le prendrait pour lui. Peut-être...

Mes vaches rentrant du pré s'étonnèrent de cet intrus. Encore perturbées par les odeurs persistantes dans le fond de l'étable,  sentant la présence du petit breton en bout, elles ne voulurent pas venir se ranger à leurs places.
Ma ruse grossière n'avait pas fait long feu.... Fauvette avait flairé, puis envoyé un jet de naseau répugné sur celui que je voulais lui  faire prendre pour sien. Quelle grossière erreur ! Ma Fauvette ne s'en laissa pas conter une demie seconde, et se détourna.

Olivier dut sortir le nouveau venu dans la cour, pour que les grandes daignent entrer.

Ce fut ensuite la séance de présentation à Fauvette.
Le petit n'avait pas mangé depuis le matin. Il avait faim. Il buvait jusque là au seau. Il faudrait lui faire comprendre que la posture pour se nourrir avait changé !

Fauvette, maintenant attachée à sa place, toujours entravée par le placenta qu'elle n'avait pas expulsé, inquiète et fatiguée de l'épreuve de la nuit précédente, était douloureuse de son pis renflé.
Elle envoya quelques coups de sabots au petit que nous maintenions contre son flanc. Mais sans grande méchanceté, juste pour marquer sa désapprobation.
Le petit se montra un élève vif et décidé. Il repéra la mamelle, comprit le phénomène de succion en quelques secondes, et se gorgea de lait, entre deux poussées de Fauvette mécontente.
Le lait du premier jour, le colostrum, est un liquide particulier. Je ne voulais pas rendre le petit veau malade. Je l'écartai du pis assez vite, et terminai l'ouvrage à la main.
Fauvette fut magnanime. Elle protesta encore une fois mollement, mais se laissa finalement soulager sans trop broncher.

Samedi matin, après la tétée encore une fois un peu acrobatique, je laissai Fauvette et le petit breton ensemble dans l'étable calme, attachés l'un à côté de l'autre. Les autres, au pré !
Ils pouvaient se humer, mais Fauvette était attachée suffisamment court pour ne pas avoir la possibilité d'encorner le petit. On ne sait jamais !
Notre petite vétérinaire locale, la pimpante Bégonia, devait passer dans la journée, pour décrocher le placenta adhérent, et s'assurer que tout allait bien pour Fauvette.

Au soir, la tétée fut presque tranquille. 
Dimanche matin, Fauvette et son petit breton faisaient connaissance dehors, à l'écart des autres.




Au début, le petit et la grande s'ignoraient.



Puis, le breton repérait ce pis ma foi dispensateur de bon lait.

Il suivait Fauvette pas à pas, se mettant dans son ombre, sans trop s'approcher encore.

Les choses ne se présentaient pas mal.

Fauvette acceptait de nourrir ce petit étranger. Elle ne le repoussait pas.

Ils s'apprivoisaient l'un l'autre gentiment.




Les ayant laissés ensemble, à l'écart des autres, toute la matinée du dimanche, je décidai de passer à l'étape suivante : présentation au troupeau.

Les vaches sont en général pacifiques. Elles n'attaqueraient pas un petit veau vulnérable.
Lui, perdu de tant de nouveautés, errait, gambillant de ci de là, meuglant son désarroi.
Fauvette, contente de retrouver son groupe, le laissa là et s'en alla paître plus loin.

Bigoudi et les deux génisses s'approchèrent, curieuses. Le petit breton s'affolait un peu. Il se mettait à courir dans le champ, laissant mes vaches perplexes.

Avec Olivier, nous surveillions. Le petit allait se calmer. Les grandes viendraient le flairer. Il retrouverait Fauvette et sa bonne odeur de lait. En quelques jours, elle se laisserait téter dehors, et ce petit breton nouveau venu prendrait la place du veau mort-né. 

Ça, c'était mon idée, mon espoir.
C'aurait pu être la réalité. Ce ne le fût pas !

Petit breton courait tant et si bien qu'il finit par inquiéter Pollita, vite en alerte quand elle sent quelque chose d'anormal trop près de son petit.




Se méfiant d'un danger potentiel pour lui, elle considéra quelques secondes le petit agité, et, d'un élan lourd et agressif, elle le chargea, tête baissée.
Elle aurait pu se contenter de le repousser, et le laisser vaquer plus loin.
Mais là, non, elle ne le voulait pas dans le même champ que son petit, et elle le lui fit savoir. 
Elle le coursa, cornes en avant. Le pauvre petit breton détala de toute ses forces, complètement paniqué. Il alla se faufiler entre les rangs de barbelé de la clôture, s'égratignant salement au passage.
Il était dans la prairie voisine, chez Conchita. Il avait glissé dans le fossé où l'eau des dernières pluies coulait encore.
Olivier accouru le trouva là, misérable et tétanisé d'effroi.
Je les rejoignis, et nous dûmes attendre un bon moment que Petit Breton retrouve son souffle, pour songer à remonter de là.
Il soufflait, le pauvret, et s'appuyait de son flanc soulevé par saccades contre la jambe d'Olivier qui l'empêchait de glisser.

Au bout d'un long moment de pause, où Lola et Bullette réconfortèrent le petit veau à coups de langues et de museau,  où, assis dans l'herbe nous savourions tous ensemble la douceur du début d'après-midi, Petit Breton se remit sur ses pattes sans trop flageoler. 
Nous repartîmes vers la ferme. Au passage, dans les parages de Pollita, nous comprîmes à son attitude toujours hostile qu'elle n'avait pas changé d'idée sur la question. La triste figure du tout petit ne l'apitoya nullement, et elle entreprit même une petite charge d'avertissement.

Échaudés, nous n'insistâmes pas davantage. 
Nous ramenâmes Petit Breton à la ferme. Installé à sa place, il se coucha comme on tombe, et dormit tout son saoul jusqu'au soir.
A la rentrée des grandes, il retrouva assez d'allant pour se remplir le ventre au pis de Fauvette.

Ce matin, il est resté à sa place, sagement. 
J'ai renoncé à retenter une intégration dans le troupeau. Pollita est trop protectrice avec son petit. Et petit Breton trop exotique encore pour qu'elle le voie d'un œil moins noir.

Pour le moment, ce petit veau attendra dedans, tranquillement. Il boit tout à fait bien, digère parfaitement, et grandira dans le calme de la vieille étable.

Ah oui, vous ne le savez peut-être pas. Les vaches noires et blanches sont issues de la race nommée "bretonne". D'où mon Petit Breton.
Un début un peu mouvementé pour lui à Agorreta. Mais bon, plus de peur que de mal.
Et ma belle Fauvette tirée d'affaire.

Je vous montrerai évidemment l'évolution de ces deux là.

Bonne chance à notre Petit Breton d'Agorreta !

UNE AUTRE FIN...




Bonjour, suiveurs des nouvelles d'Agorreta !

Je vous parlais dans mon dernier article de certains vêlages où les choses tournent mal.
Cette chronique d'aujourd'hui vient malheureusement illustrer cette remarque.

Fauvette a vêlé jeudi soir. Le temps était mauvais, jeudi, souvenez-vous. J'avais laissé les vaches à l'étable, avec le tout petit de Pollita,  et ma Fauvette grosse de celui à naître.
La future mère était isolée dans l'aire de stabulation libre. Elle pouvait aller et venir, de façon à se dérouiller les articulations au mieux avant l'épreuve du vêlage, qui paraissait très proche.
En rentrant de la jardinerie, le soir, comme l'avant-veille avec Pollita, je constatai les signes du commencement du travail. La vache va et vient, semble agitée et incommodée.
Je me dépêchai de soigner les autres et de vaquer à mes quotidiens du soir, pour me consacrer à la parturiente.





Fauvette semblait en bonne forme. Méditative, comme souvent dans cette posture.



Je vous parlais dernièrement de ces choses un peu crues, de ces images et odeurs limite violentes et répugnantes. Je vous disais ne pas en être dérangée, et considérer cet aspect comme une réalité primitive et incontournable, à ne surtout pas chercher à éviter ou masquer.
Pour le coup, jeudi soir, j'ai eu ma dose. 
Cet amas mi aqueux mi sanguinolent, arrivé juste après la crevaison de la poche des eaux, m'alerta. Il y avait là quelque chose d'anormal. Beaucoup de sang. Trop, à mon avis.




Fauvette ne paraissait pourtant pas mal. Elle prenait ses aises, s'allongeait de tout son long, se relevait pour se recoucher. Rien d'inquiétant dans ce manège.
J'avais appelé Olivier en renfort, comme je le fais à chaque vêlage. Pour Pollita, il n'avait pas eu le temps de faire le trajet depuis ses Landes avant la naissance du petit.
Là, Fauvette semblait partie pour prendre son temps. Entre huit heures et minuit, nous la surveillâmes, ne voulant pas manquer l’événement. Tous les vêlages sont à surveiller, je vous l'ai dit. Si tout va bien, il n'y a pas besoin d'intervenir. Si quelque chose se présente mal, il faut pouvoir le faire rapidement.

Un délai de trois à six heures entre la poche des eaux et la sortie du veau est tout à fait normal. Nous étions dans les temps. L'attente semblait longuette,  dans la vieille étable sombre où les autres bêtes s'agitaient de sentir cette ambiance inhabituelle. Nous faisions comme Fauvette, nous asseyant ici, faisant quelques pas par là, espérant une issue rapide pour pouvoir monter nous coucher après.

A minuit passé, une paire de sabots clairs faisait son apparition. Fauvette était couchée contre la barrière, poussait très mollement. Je la sentais fatiguée, sans qu'elle ait fait trop d'efforts.

Je décidai de ne pas trop attendre, pour éviter qu'elle ne s'épuise, et le petit avec. Je passai les lacets aux pattes dès que je le pus. Le veau se présentait tout à fait normalement, je sentais sa langue et son mufle juste au dessus des sabots apparents.
Avec Olivier, quand Fauvette se mit à pousser plus fort, nous extirpâmes le veau. Seule, je n'aurais jamais eu assez de force pour y arriver. Le petit animal roux glissa de tout son long sur le sol. Nous y étions arrivé !
Il était de bonne taille, roux, je l'ai dit, avec des tâches blanches sur le front et le ventre. Un petit mâle, là encore.

Très vite, je me rendis compte qu'il ne s'animait pas comme il le devait. Je mis cette apathie sur le compte de la fatigue au vêlage. Avec Olivier, nous lui remuâmes vigoureusement les pattes. Je vérifiai qu'il n'ait pas la trachée encombrée de débris placentaires. Le petit veau restait amorphe. 
Nous essayâmes quelques minutes encore de le ramener sur la bonne rive, lui, si près d'y prendre pied. Rien n'y fit. Il resta lourd et mou, sans vie.
Quelle déception... Fauvette relevait péniblement la tête, essayant de voir ce qui se passait. Nous lui présentâmes son veau. Elle le lécha avec des petits grognements satisfaits, puis, inquiets. Elle sentait bien que quelque chose n'allait pas.

Ce moment aurait du être plein de joie. Il devenait triste et poignant.
Cela arrive parfois. Les choses tournent mal. Cela fait partie du lot...

Fauvette ne se relevait pas comme elle aurait du le faire. Elle restait couchée de tout son long, la tête posée sur le sol de nouveau, son gros ventre arrondi contre la barrière.
Elle saignait beaucoup. Une large flaque sombre et épaisse s'agrandissait sous elle. Elle gardait cette posture tragique. Nous ne pouvions rien faire.

Nous écartâmes le veau mort-né. Il serait temps au petit matin de l'enlever. 
J'étais persuadée que Fauvette se mourait d'une hémorragie interne. J'ai déjà eu l'occasion de perdre des vaches dans ces tristes mêmes circonstances.
Là encore, ça fait partie du lot. Une grosse bête, si belle et si brave, allongée tragiquement dans l'étable sombre, est un spectacle toujours difficile. 
Même si l'on n'est pas particulièrement attaché à la bête en question. 
Pour moi bien-sûr, c'est ce que je crains le plus à chaque vêlage, pour l'avoir déjà connu. Mais bon, il  semblerait qu'il faille payer un tribu au mauvais sort, une manière de sacrifice, de temps à autres. Rarement, heureusement !

Nous ne pouvions pas faire grand chose. Un vétérinaire appelé en urgence n'aurait de toute façon pas pu enrayer l'hémorragie à ce stade. Je me résignai.

Nous ne nous parlions pas beaucoup. Il n'y avait pas grand chose à dire. Pas plus qu'à faire. Un silence, une vacuité résignée, à donner en offrande à ce sort mauvais.

La danse étroitement enlacée de la vie et de la mort.
Le veau était mort. La vache n'en avait plus pour longtemps, sûrement.
Nous la laissâmes là, perdant son sang, immobile maintenant.

Une fin différente pour la même histoire de départ.
Une arabesque tournée vers le noir...

Ces incontournables noirceurs ombrant l'aube claire où Pollita et son petit marchaient vers le jour avaient rattrapé Fauvette et le sien.

Ainsi va le destin des vaches, comme celui des hommes.

Je vous raconte plus tard la suite.