mercredi 29 avril 2015

VÊLAGES ET AGNELAGES




Une courte sieste et me revoilà en ces pages.

Je vous présente la petite Rubita roussette :





Bon, ici, elle n'est pas trop visible.

Vous connaissez maintenant la rengaine : vous la verrez mieux la prochaine fois !

Elle s'est ce matin familiarisée avec sa proche parentèle.
Comme sa demie-sœur, la semaine dernière.
Vous les voyez ici toutes les deux, la brune Galzerdi et la rousse Rubita.

Ces deux là sont sœurs par le père, conçues le même jour, et nées à une semaine d'intervalle.
Cette petite semaine d'aînesse autorise Galzerdi à introniser sa sœur dans le troupeau. Elles deviendront inséparables, sœurs de lait aussi sans doute, à se partager les pis de leurs mères respectives en allant au mieux garni.

J'ai déjà décidé de les garder toutes les deux, pour déposer les bases d'une nouvelle dynastie de vaches à Agorreta, de mères en filles.





Rubita se montre plus vive et aventurière que sa sœur.
Dès le jour de sa sortie, elle descend dans le champ, en avant-garde de sa mère et des suivantes.















Le patriarche d'Agorreta se poste en vigie.
Il est content de ces deux naissances, de ces deux petites vêles à Agorreta.
Maintenant, ses vaches, ce sont ses joies.
Toute sa vie, il a travaillé avec des bêtes.
Chacune de ses journées à Agorreta, il l'a partagée avec des vaches.

Notre petit cheptel d'aujourd'hui n'est évidemment plus notre activité vivrière.

Tout de même, la réalité économique ne se perd pas de vue.
Je dois nourrir mes bêtes, et engager quelques frais pour les soigner correctement. Une vache ne vit pas que d'herbe sauvage et d'air pur...
Si je ne compte pas sur mes vaches pour m'enrichir (je serais dans l'erreur, je pense !), je ne veux pas non plus y engloutir mes petits revenus salariés.

Pour équilibrer la balance économique, je dois vendre deux bêtes chaque année.
Mon étable n'est de toute façon pas extensible, et je n'ai pas plus de sept places dans cette première partie. La seconde, je la réserve à l'engrangement des récoltes de citrouilles ou autres betteraves, occasionnellement à l'isolement d'une bête, comme pour ces derniers vêlages, par exemple.
Ce barème correspond aussi au temps que je souhaite consacrer à mon élevage.

Là, avec Galzerdi et Rubita, j'en suis à huit bêtes. Les deux petites contiennent pour le moment facilement dans une place pour adulte.
Si tout va bien, cet été, Bigoudi et Pollita seront prêtes à être inséminées de nouveau, pour refaire deux veaux le printemps prochain.
Mes quatre génisses ont autour des deux ans. Celles-ci aussi, prêtes cet été pour être "remplies", comme on dit pour les vaches à féconder.

Si je gardais tout le monde, ça ferait quatorze bêtes pour l'été prochain !
A condition que tout aille bien, évidemment. Mais je ne vis pas dans l'idée que mes entreprises dérapent, en général. Je garde juste cette triste augure dans un coin de ma tête, un coin retiré où je vais rarement prospecter.

Mathématiquement, je dois sortir trois bêtes pour l'hiver prochain.
Bigoudi, Galzerdi, Pollita et Rubita restent à Agorreta.
Des quatre autres, je ne peux n'en garder qu'une.
C'est la dure loi de l'éleveur. La sélection implacable.

Ce n'est pas la partie la plus agréable du métier, mais elle lui est indispensable.
Je vais voir comment mes petites évoluent. Je ferai saillir mes deux mères quand elles seront prêtes pour une nouvelle maternité, d'ici trois mois environ.
Je pense garder Fauvette, ma belle fauve à tête blanche :


Si ces trois là "prennent", c'est-à-dire si elles acceptent l'insémination, la sélection sera toute faite.

Si l'une d'entre elles s'avère stérile, la chance sera laissée à une autre.

Mes bêtes ont la vie belle à Agorreta.
Pour certaines, elles y resteront de longues années.
Pour d'autres, le séjour sera plus court.
Ainsi va la vie de la vache à la ferme...


Je vous livre maintenant le récit d'autres naissances à Agorreta.
Ces histoires datent de plus de dix ans, voire peut-être quinze, je ne sais plus au juste.

Vous y retrouverez les mêmes émotions, inquiétudes, joies et peines que maintenant.
Et, si ce "bloc" perdure dans le temps, d'ici dix ans encore, ce seront encore toujours les mêmes...




Mes bêtes vivaient comme moi, de peu, mais sans se plaindre. Elles gagnaient en rusticité ce qu’elles perdaient en performances. Evidemment, à la moindre anicroche, c’était le trou assuré dans un bilan équilibré au plus juste.
Un simple appel au vétérinaire, le museau conquérant du long 4x4 avancé dans la cour de la ferme, signifiait immédiatement ponction douloureuse sur mon salaire. C’est dire si je ne l’appelais qu’en dernier recours, celui-là !
Mais bon, une bête souffrante, en dehors de l’affectif, même muselé par le portefeuille mince, c’est aussi une production diminuée. Alors, dans la droite ligne de mes cultures « bio-économiques », je pratiquais l’élevage « vigilance préventive ». 
Un suivi quotidien, une observation constante, me garantissaient l’optimisation de l’état sanitaire de mon cheptel. De petites interventions paramédicales de base, d’ailleurs assez controversées, quelques audaces parfois chèrement payées, cahin-caha, je me débrouillais.
Il y a eu évidemment quelques ratés notoires. Et notoirement retenus par des indélicats décidés à ternir ma réputation…
Un agnelage par exemple me revient de triste mémoire.
C’était une belle après-midi de fin d’hiver, je pense. J’approchais de la bergerie, mon petit seau de maïs et de vieux pain tranché sous le bras.
Les moutons adorent ce mélange. Il remplace avantageusement luzerne déshydratée et autres granulés sûrement de meilleure valeur alimentaire, mais tellement coûteux ces derniers temps qu’ils mériteraient d’être placés dans des vitrines barricadées sur des étagères tendues de velours pourpre, à l’égal des bijoux de luxe, chez les distributeurs dont le premier travail du matin est de changer les étiquettes tarifaires.
Autant il y a quelques années l’affichage prix s’empoussiérait tristement au coin des rangées de palettes de sacs, autant là, ce sont les sacs qui commencent à pâlir sous les écriteaux bien souvent renouvelés.
C’est devenu un luxe de nourrir quatre poules et une chèvre à l’aliment, de nos jours ! D’ailleurs, après la folie de la vache, la fièvre jaune de la volaille grippée  et la langue bleuie du mouton,  la flambée du prix de la céréale a fini de décimer les trois-quarts des petits élevages familiaux.
Et de ruiner les petits agriculteurs dans mon genre…
Bah ! L’amour du métier me tenait tant et si bien que l’évidence financière admise ne me décourageait pas. Je n’ambitionnais pas de m’enrichir sur mon exploitation. Ca tombait bien. Je me contentais de ne pas y laisser plus que ce que mon salaire ne me le permettait. Et j’y arrivais.
Sur ce point au moins, je n’ai pas à douter. Le sentiment de bien faire son travail est chose subjective. Le jugement de mes responsables me l’a démontré, si besoin en était. Mais le solde de mon compte en banque est une petite réalité dure et ferme. On peut s’y fier sans se poser cinquante questions. J’ai toujours pu payer ce que je devais. Ca me suffisait.
Cette digression m’éloigne de mon anecdote. J’y reviens.
C’était donc une belle après-midi froide et claire, un soleil pâle dans un ciel tendu sans faux-pli.
Je marchais d’un bon pas, les chiens trottinaient autour de mes jambes. La demi-douzaine de moutons que je qualifie avantageusement de troupeau m’avait repérée depuis le bout du champ où ils broutaient mollement une cime d’herbette aride.
Ils s’avançaient, au rythme irrégulier de leurs sabots chroniquement ulcérés. Là encore, je soignais comme je le pouvais, à coup de remèdes de grand-mère, là où un bon désinfectant aurait sûrement eu bien meilleur résultat. A vingt-quatre euros la bombe, je préférais la garder intacte sur l’étagère…
Une bête manquait à l’appel. Une vieille brebis éthique, mère et grand-mère de la moitié des autres, l’ancêtre vénérable et respectée. La veille, je l’avais regardée de près. Elle était pleine, et approchait de son terme. A son âge, c’était un défi osé, mais le bélier ne l’entendait pas de cette oreille.
Je suis d’avis qu’il faut laisser faire la nature. Et intervenir le moins possible quand il s’agit de décider de ce qu’un animal peut encore donner.
Ma vieille brebis se trouvait encore amoureuse à la fin de l’été. Le mâle, peu regardant sur l’allure de ses partenaires, l’avait honorée. Elle portait le fruit de ces amours. Jusque là, elle avait chaque année agnelé sans souci, et élevé très régulièrement une paire d’agneaux sans faire d’histoire. Je la respectais comme elle le méritait.
Ne pas la voir m’alertait. J’imaginais qu’elle était en travail dans la bergerie, puisque aucun bêlement ne me signalait un nouveau venu, ou deux, comme je l’espérais.
Je hâtais le pas, impatiente de savoir où en étaient les choses. Tout éleveur connaît cette émotion. Une naissance est toujours un évènement attendu avec un peu de crainte. Le miracle de la vie est naturel mais la mort l’est aussi. Et dans ces occasions, les deux s’entrelacent très vite.
Le portail grinçant, l’entrée étroite, la bergerie sombre après le grand soleil.
Je ne la vis pas immédiatement. Elle, me reconnut, et bêla un appel à l’aide. 
Les autres se présentaient déjà, attirés par la pitance annoncée. Pour les éloigner de ma bête en détresse, je distribuai dans la mangeoire du fond. Sans plus de manières, elles se mirent à l’œuvre, craquant les grains en contorsionnant leurs lèvres mobiles. Des grimaces de vieille femme qui a oublié de remettre son dentier.
Le monde animal ne connaît pas la pitié. Le besoin de manger passera toujours avant la curiosité, souvent avant la peur, et sans l’ombre d’un doute avant tout lien filial rompu par plus d’un cycle de procréation.
Mes brebis comme mes vaches surveillent leur petit et les défendent s’il le faut. Tant qu’elles n’en ont pas un autre. Le dernier-né reste le seul à protéger. Un agneau ou un veau de l’année précédente deviendra un ennemi s’il essaie de s’intercaler entre sa mère et le dernier petit. La bête ne reconnaît pas ses aînés, semblerait.
Je me demande d’où les humains tiennent cette mémoire de filiation. Des papiers d’enregistrement, peut-être…
Bref, je m’approchais de ma brebis parturiente. Son bêlement m’avait paru alarmant. Au-delà de la souffrance normale d’un agnelage sans problème.
Je m’accroupis. Elle roulait des yeux affolés. Le mouton est bête vite effarouchée. La panique monte immédiatement dans ces cervelles étroites. Mais là, il y avait de la peur, oui, mais surtout beaucoup de mal.
Je me suis souvent trouvée en empathie avec mes bêtes. Ce jour là, je sentis mes entrailles se crisper. J’adoucis la voix et le geste, tâchai de rassurer, d’apaiser. Le tableau se présentait mal. La brebis couchée sur le flanc haletait en grande difficulté. Elle se contorsionnait sans pourvoir se redresser. La litière malmenée autour d’elle témoignait de ses efforts avortés. Elle avait expulsé la matrice, et l’agneau à naître ne paraissait pas.
Il fallait vite intervenir.
J’avais déjà vu faire le vétérinaire, avec des vaches, dans le même cas. Mais ma vieille brebis ne valait pas le prix d’une visite de professionnel. Dans ces moments, le sentiment ne peut pas avoir sa place. Plus exactement, si l’on n’a pas les moyens de se le payer. C’était mon cas.
Mon neveu appelé au secours se présentait déjà,  le fusil à la main, pour abréger des souffrances inutiles.  
Dans l’urgence, et parce-que je ne pouvais pas me résoudre à cette triste extrémité, j’ai voulu essayer de faire quelque chose. Beaucoup de bergers le font. Avec succès souvent. Pas toujours évidemment.
Les augures ne m’étaient pas spécialement favorables. Une brebis vieille, fatiguée, un travail trop avancé. J’ai fait ce que j’ai pu.
J’ai remis la matrice en place, ou du moins, je l’ai réintroduite sans trop savoir où elle devait se loger. J’ai cherché ensuite l’agneau dans ce magma chaud et glissant. Je l’ai trouvé. Je l’ai tiré à grand peine avec l’assistance de mon neveu.
Le pauvre garçon a manqué vomir ses trois derniers repas. Mais il a tenu bon, s’est attelé à la tâche ingrate les yeux à demi fermés. Grâces lui soient rendues de cette valeureuse abnégation.
Au bout de quelques minutes intenses, nous avions sorti un petit agneau crème, vivant, de longues pâtes emmêlées autour d’une tête engluée. J’ai regardé tout de suite si c’était un mâle ou une femelle, comme le font tous les éleveurs-naisseurs, je pense. Une femelle induit souvent la promesse fructueuse d’une augmentation du cheptel, pour peu que la souche soit bonne. Et là, une petite de ma vieille et si méritante brebis, je l’aurais choyée en mémoire de sa génitrice.
La génitrice en question soufflait toujours, mais un peu moins fort. J’ai voulu prendre cette atténuation pour du soulagement.
Nous étions heureux, avec mon neveu. L’entreprise tournait bien. Nous revenions de loin.
Entre congratulations et émerveillement, nous avons pourtant  vite du déchanter. Le petit animal ne respirait pas correctement. Immédiatement, nous mîmes en œuvre les premiers gestes de survie préconisés dans ces situations. Soufflage dans le museau, petite coulée d’eau fraîche dans l’oreille, remuage synchronisé des membres. Malgré toute notre bonne volonté  et à notre grand désespoir, rien n’y fît.
La petite agnelle s’éteignait sous nos yeux avant même d’avoir ouvert les siens sur le monde.
Une déception aiguë, mais connue déjà. Je me tournai vers la brebis, lui caressai le chanfrein incurvé et soyeux. Elle releva la tête, ne parvint pas à se redresser davantage, et reposa lourdement son museau dans la paume de ma main. Son souffle pénible présageait mal de la suite. Je savais à quoi m’attendre alors.
Mon neveu reparti, je m’assis dans la fougère souillée, soutenant la tête de ma vieille mourante. Elle aussi avait compris.  Sa respiration s’apaisa, sa tête s’alourdit encore, elle étendit ses pattes, et exhala un dernier souffle résigné. Enfin libérée de tant de douleur inutile. La fin difficile d’une vie bien remplie.
Je me souviens de cet instant de peine, mais de peine douce, presque de sérénité. Des larmes tièdes me coulaient sur les joues. Je ne sanglotais pas. Je laissais aller la tension de la lutte contre la mort. Il faut savoir reconnaître le moment où l’on a perdu, pour le vivre au mieux.
A chaque fois, j’ai essayé d’accompagner mes bêtes dans la mort. On partage des années avec un animal, on l’élève, on le nourrit, on le soigne. On apprend à le connaître au fil du temps. On vit chaque jour dans la même odeur lourde et chaude.
En principe, un éleveur voit naître plus qu’il ne voit mourir. Les bêtes en fin de carrière quittent la ferme sur pied. C’est une réalité économique rude sans doute, mais incontournable.
Même après une honorable carrière, l’animal sera encore appelé à payer sa tête, au prix du kilo, aussi maigre soit-il. Pour les vaches, c’est la règle. Celles qui meurent à l’étable le font par accident ou euthanasie à la suite d’une maladie  qui rend leur viande impropre à la consommation. C’est toujours un moment pénible. Mais il fait partie du métier.
Les brebis, chez moi du moins, meurent de leur belle mort, si elles ont été destinées à la procréation.  Dans les fermes alentours, certaines finissent dans la marmite à « tripox » des fêtes de Biriatou.
Pour ceux qui ne connaîtraient pas, s’il s’en trouve, le « tripox » est un boudin confectionné à base de viande de mouton de réforme. C’est le plat traditionnel et réputé des fêtes locales du petit village de Biriatou, autour de la Saint Martin du mois de novembre.
Le bélier est sacrifié au bout de quelques années, au profit d’un plus jeune, plus vigoureux. Là encore, c’est la dure loi de la jungle. Dans une cour de ferme, il fait meilleur être une femelle bien bâtie pour donner la vie. Le mâle, quel qu’il soit, ne fait jamais longue carrière.
Dans nos sociétés humaines, nous nous sommes éloignés de ces primaires naturels. J’imagine que beaucoup y trouvent leur compte… Moi la première d’ailleurs, vieille femelle stérile et improductive !
L’attitude face à la mort est différente, quand on côtoie régulièrement le monde animal. Pas seulement du fait de l’évidence de la relation vie-mort. Mais plutôt par l’observation de l’indifférence de la bête vivante pour la bête morte.
Une vache privée de son veau mené loin d’elle va l’appeler, plusieurs jours durant parfois. Elle le cherchera, le réclamera, à longs meuglements désespérés qui la laissent enrouée.
Cette même vache, si elle flaire le cadavre refroidi de son petit, s’en détournera très vite et ne se plaindra pas de son manque. Je tiens ça de mes fines observations sur plusieurs décennies tout de même et quelques têtes de bétail.
Je ne prétends à aucune connaissance scientifique de la psychologie animale. Simplement à une observation attentive et confirmée par une expérience suivie.
Cette cohabitation avec la bête et ses usages modifie la perception humaine de la mort, plus précisément, du mort. Autant le vivant jusqu’à son dernier souffle reste l’homme ou la femme connu, estimé, respecté, ou alors  haï, méprisé.
Il représente, véhicule, nourrit tout un flot d’émotions, d’images, de souvenirs. Et suscite, au moment de la séparation définitive, après la terreur du gouffre noir et béant ouvert si près, la sérénité de la résignation, du renoncement final et fatal.
C’est ce moment par définition unique, le relâchement après la lutte, l’acceptation après le refus et la révolte. J’ai toujours essayé de le partager, de l’accompagner. L’occasion m’en a été donnée parfois. Et j’en ai toujours été reconnaissante au destin.
Quand mon heure sera venue, j’espère me souvenir de ces instants et en retirer la sagesse de ne pas essayer de me dresser  contre l’inéluctable, par effroi. Mais je laisse venir ce moment sans impatience. La curiosité de la vérification ne me tenaille pas à ce point là !
Pour en finir avec ma démonstration un peu perdue de vue dans ces méandres flous, je disais que ma perception du mort est différente après ces années passées auprès des bêtes.
Maintenant, le mort devient dans l’instant du trépas un cadavre. Inanimé et complètement détaché du défunt. Je respecte une mémoire, une histoire. Je n’ai pas de sentiment particulier pour un gisant.
Le culte autour d’un corps froid et raide ne me touche pas. Il me dérange presque. Mais je m’abstiens en général de faire des commentaires en ces occasions.
Chacun cherche à apaiser la douleur  du manque et la peur de sa propre mort, je suppose. Et il le fait comme il le peut.




Je me rends compte que je deviens très funéraire, à défaut d’être funèbre. Ce n’était pourtant pas mon terrain de jeu de départ. Les théories n’ont jamais été mon fort.
J’aime ce qui se touche, ce qui se sent. Le cérébral me plaît peu. Encore le  symptôme d’une trop longue relation à la bête. Instinctive et sensitive, je réfléchis peu, et, bien souvent, en pure perte.
Pour ne pas rester sur cette touche sombre, j’ai quand même des histoires plus gaies que celle de ma vieille brebis défunte.
Il me revient par exemple cette nuit de Saint-Valentin.
Sur le coup de minuit, mon frère vient toquer à la porte de ma chambre. Mal réveillée, pensant immédiatement à ma mère, je me précipite en bataille. Le temps de traverser la grange, je comprends qu’il est question de la naissance d’un petit veau.
Rentré tard, mon frère l’a trouvé dans la fougère, encore prisonnier de sa poche placentaire. Il a eu la bonne idée de la percer avant de venir me chercher. Bien.
Et puis, je calcule que le prochain vêlage n’est pas prévu avant deux bons mois. J’avais bien noté une petite congestion du pis de ma grande normande, mais je ne m’attendais pas à un prématuré de sept mois, au lieu des neufs usuels.
Je descends à l’étable. La faible ampoule éclaire à peine les bêtes couchées. Elles tournent des têtes intriguées par cette intrusion au milieu de la nuit. Les rassurant de la voix, je m’avance.
La normande est allongée, tranquille. Elle a bien vêlé, tout paraît normal de son côté. Entre ses pattes, une petite chose rousse gît, toute emmêlée dans la membrane gluante maternelle.
Ca remue, assez vigoureusement.
Je suis ahurie de voir un veau aussi petit, et vivant. J’écarte doucement les viscosités bistrées, je soulève une tête qui ne remplit même pas ma main. Les sabots et les poils ne ressemblent pas à ceux d’un animal né à terme. C’est un pelage de petit rat que je dégage. Et un corps à peine plus gros.
Le petit, ou plutôt la petite, est pourtant bien vivante et s’agite. La mère la flaire, la lèche, l’essuie, et la pousse du museau vers le pis gonflé dont le lait coule déjà. La vêle est tellement menue qu’elle ne peut pas téter. Le trayon est presque aussi gros que sa tête entière !
Je l’écarte pour traire à la main, sans mal. Et je fais couler le lait tiède sur la langue de ma petite miraculée à travers un biberon pour agneau. Elle a du mal à déglutir, il faut y aller tout doucement. Mais, gorgée après gorgée, elle boit un peu. Je la laisse près de sa mère attentive, persuadée de ne pas la retrouver vivante au matin. Recouverte de foin, calée contre la normande, elle est minuscule et parait tellement vulnérable ! Au moins elle repose calmement. Je ne peux rien faire de mieux. Je monte me recoucher.
Je me lève quelques heures plus tard, impatiente quand même de voir si par extraordinaire je ne la retrouverais pas vivante.
Sans trop oser y croire, j’allume et je m’approche.
Et là, les larmes me montent aux yeux instantanément.
Ma petite vêle redresse sa tête miniature ! On dirait un petit chien ! Elle ouvre des yeux encore voilés, bleutés d’un monde intérieur trop tôt quitté. Mais elle s’accroche, la toute  petite, et se met très vite à sucer mon doigt tendu. Emue de la voir si courageuse, je la nourris comme la première fois.
Je ne sais même pas au juste combien elle a besoin de boire. Je ne voudrais pas risquer de la suralimenter, et  de la perdre. Je dois aller travailler. Je laisse la consigne à mon père de lui redonner à boire toutes les trois heures, un décilitre à la fois.
Au soir, la bête a bu, est debout, fièrement campée sur des pattes stratégiquement écartées. Toujours aussi petite et fragile. Elle attendrit tout le monde. Je lui passe un vieux pull-over de ma mère qu’elle gardera quelques semaines, le temps que son poil se fournisse. La vache la couve en grande délicatesse, avec des petits murmures sourds de gorge.
Quelques mois plus tard, notre « Titulette » ingrate nous bouscule sans ménagement. Elle est devenue une bête massive et ébouriffée. Son caractère craintif et brutal la perdra. Je pensais la garder, ma petite prématurée miraculée. Il a fallu la tuer.
Je sais, j’avais dit que c’était une histoire plus gaie, au départ. Mais les choses vont ainsi. La vie est dure, et, à la fin on meurt, comme disent les anglais. 
Ma « Titulette » a eu une jolie vie, choyée et caressée par tout le monde. Et je la garderai en tête longtemps, même si elle n’en fait pas grand profit.  Elle restera un joli moment, la preuve de la force de vie têtue et inattendue. De quoi espérer même quand tout semble pousser à ne plus y croire. Ca peut aider, à l’occasion,  d’engranger de tels instants, dans une vie.






Tiens, pour finir sur une note philosophale encore, mon navet follet.

Après avoir démarré à contre-saison, essuyé les assauts et les frimas, le voici en perdition maintenant.
Les pétales de ces fleurs jaunes arrogantes envolées, il exhibe les cosses à graines.
A son pied, le bulbe est tout petit. Il n'a pas eu le temps de se former.
Je vais le laisser terminer sa carrière disloquée. 
Qui sait, peut-être ces graines donneront-elles de beaux plants de navet opulents ?

Les erreurs se rattrapent, parfois. Et, d'une expérience avortée, peut venir un enseignement précieux.
Je ne manquerai pas de vous faire suivre cette évolution là, aussi.

Nous avons tant de choses encore à regarder ensemble...

Je termine ici la saison III  des nouvelles d'Agorreta.

Avec ce cycle en recommencement, ces naissances, ces cultures à peine démarrées.
J'accompagnerai ce temps là aussi. Et, si vous faites la route avec moi, j'en serais ravie.

J'ai pris tellement goût à nos rendez-vous !

Suivez votre chemin en regardant bien les bas-côtés. Ne perdez pas l'idée de votre destination, mais sachez apprécier le trajet.

A bientôt, amis suiveurs de ce blog, et encore merci pour votre compagnie.





ET DE DEUX !



Bonjour à tous !






Ce mercredi matin inaugure la nouvelle ère de renouveau à Agorreta.
Avec le vêlage, enfin !, de Pollita, lundi soir, nous sommes définitivement sortis de ce temps d'attente hivernal.
Temps incontournable et nécessaire, gestation incompressible (oh combien!), mouvement lent d'une construction menée à bon terme.

Lundi soir, après une journée de surveillance dans l'étable pour cause de mauvais temps ambiant, enfin, ma belle et grande Pollita s'est sentie prête à libérer son petit dans notre monde.



Depuis plusieurs jours, nous attendions cette conclusion.
Bigoudi, inséminée le même jour que Pollita, avait vêlé la semaine dernière.
Cette attente longuette aiguisait une légitime inquiétude.
Un premier veau, trop gros, est une difficulté parfois fatale pour sa mère.
Mon père et moi, nous étions à l'affût, pas trop tranquilles, sans trop vouloir se l'avouer...




Lundi en fin d'après-midi, Pollita donnait les signes du début de travail. Mâchonnement bruyant, trahissant quelques douleurs internes.
Vers les 17 heures, elle se couchait, en position.
J'étais aux aguets.


Puis, la bête se relevait, tirant quelques bouchées de foin du râtelier,   pas plus décidée que ça.

Ca n'était donc pas imminent.
J'aurais préféré, pourtant.
Un vêlage en journée, avec des bras à disposition si besoin, et le vétérinaire en activité au cas où...

Mais non, Pollita faisait fi de tout ça, et annonçait une nuit de veille, encore une !
Voyez Galzerdi auprès de Bigoudi, la petite tâche blanche sur la tête noire.









20 heures : apparition de la poche des eaux.
Bien.
Un délai d'attente probable entre trois et six heures, en principe.
Dans l'étable, les autres se couchent pour la nuit.
Moi, j'oublie.










Une demie-heure plus tard, heureuse surprise :
deux petits sabots annoncent une précipitation dans le déroulement de l'action.

Ca va plus vite que prévu, tant mieux !
Les pattes sont celles de devant. Elles sont petites. Le veau ne sera pas gros.
Je palpe doucement : le museau se présente, avec une petite langue mobile.
Tout est parfaitement normal, très rapide et facile.



Mon filleul hélé pour l'occasion m'assiste.
Je pose les lacets pour tirer et aider à la manœuvre d'expulsion.
La vache et son petit se fatigueront moins.
Il faut attendre l'impulsion naturelle, et l'accompagner en douceur.
Pollita pousse deux ou trois fois.
La tête arrive, nous tirons juste ce qu'il faut pour amener la suite au jour.
Et voilà la petite, oui, c'est une femelle, roussette, toute engluée mais relevant déjà la tête.

Les choses se sont déroulées au mieux.
Olivier n'a même pas eu le temps d'arriver depuis ses Landes.

Mais il est là pour installer la mère et son nouveau-né pour la nuit.



J'ai détaché Pollita pour qu'elle puisse à son aise s'occuper de sa petite.
Elle la lèche, mangeant au fur et à mesure les restes de placenta collés au pelage fauve.
La vêle est nettoyée, entièrement, et Pollita grogne gentiment de satisfaction.
Je ne vais pas laisser cet équipage là.
La vêle va vouloir bouger, elle risque d'aller se mettre dans les pattes des autres vaches.
Je vais installer tout ce petit monde au fond de l'étable, en isolé, pour qu'elles y passent entre elles une nuit tranquille.
Et nous aussi...



Notre roussette s'allonge dans la litière propre.
Pollita veille.
















Moins d'une heure se passe.
Rubita la roussette, (du coup je l'ai bâptisée), se tient déjà sur ses pattes et cherche le pis pour se nourrir.

Quelle rapidité !
Premiers essais infructueux.
Chutes, avec les pattes désarticulées.
Mais Rubita ne se décourage pas.
Elle tente encore...










Et trouve !

Il n'est même pas 9h30.
Ca a été rapide, facile, idéal !

Nous montons les uns et les autres nous coucher.
Ces deux là n'ont plus besoin de nous.
D'ailleurs, elles n'en n'ont pas eu besoin du tout !

Pollita devenue mère est égale à elle-même : sereine et royale.


Le lendemain, hier donc, ces deux-là sont restées dans l'étable.
Et ce matin, j'ai sorti tout le monde.

Je vous montre, très vite.
Quelle belle chose que la nature quand rien ne vient se mettre en travers...

lundi 27 avril 2015

ET D'INCONGRU A CONGRUENCE



Cantonnée en intérieur par le mauvais temps, me revoici ici.


Mon père monte la garde dans l'étable, derrière Pollita. Je ne sais pas si c'est cette surveillance pesante qui la dérange, ou alors si vraiment son comportement trahit l'inconfort du début de travail.
Nous finirons bien par être fixés, un jour...

En repartant de cet "incongru" de ce matin, si fiable opposé du "congru", j'en viens à "congruence".

Vous le savez maintenant, j'aime les mots. J'aime leur musique et leur cadence, leur danse dans les phrases ou chacun trouve sa juste place en un ballet harmonieux.
Je ne suis pas érudite. Et trop fainéante pour me donner la peine de chercher leur juste sens à ces mots moins courants. Du moins, à ceux là que moi, j'utilise moins souvent.

Ce n'est d'ailleurs pas uniquement de la fainéantise. Non, non, non...
La recherche, maintenant, avec ce bon vieux Gegel, c'est de la gnognotte ! Fini le temps où il fallait extraire le gros dictionnaire du fin fond de l'étagère poussiéreuse où il était remisé, et presque oublié.
Trois touches sollicitées et hop ! la vérité vous saute au visage. Quelle facilité, presque trop ! la connaissance galvaudée, comme de la pâtée pour animaux, distribuée sans mesure.

Il n'y a à plus à chercher, juste à tapoter. Du coup, moi, je ne le fais pas ! Une logique assez obscure, je vous l'accorde. 
Qu'ai-je besoin d'éprouver de la difficulté à m'approprier une connaissance pour la savourer ?
Ne puis-je pas tout bonnement prendre ce qui m'est donné ?

Et bien, sans pouvoir vous éclaircir la chose, c'est ainsi. La trop grande facilité ne me séduit pas. Elle me serait presque, suspecte !
Une vieille méfiance atavique, un ressort du mérite jamais en repos, sans doute.

Tout ça pour vous expliquer que, quand le sens d'un mot ne m'est pas complètement connu, je ne me précipite pas pour le connaître, précisément.
Si le mot me plaît, par sa sonorité, les courbes de ses syllabes ou le dessin de ses lettres, j'aime l'apprivoiser.
J'ai toujours aimé lire. J'ai du vocabulaire. Ces mots mal connus, j'ai souvent une idée, même imparfaite, de leur sens. Une approximation de leur champ d'action, de leur domaine.

Remarquez, il arrive que je prête une signification complètement erronée à un mot. Là, je n'ai pas d'exemple à vous donner. 

Mais, dans la même mode opératoire, je situe souvent un pays un peu exotique aux antipodes de sa véritable localisation. 
La géographie, c'est pour moi tout un poème. Les îles tout particulièrement. Les Seychelles et autres Antilles, je vous les place ici ou là, sur un globe imaginé. Et suis toute désappointée et presque déçue quand on me les situe correctement.

- Tiens donc, dis-je souvent, c'est là que ça se tient, ça !

La vérité précise me paraît manquer de fantaisie. Je préfère garder le mystère de ces contrées lointaines, le flou de leur emplacement sur une planète vaste et inconnue. De moi, vieille sédentaire indécrottable.
Le monde et ses continents  me restent à découvrir. Et cette découverte à faire me plaît en elle même. Je ne voyage pas. Je n'en ai ni le goût, ni l'envie. Le monde  restera pour moi en grande partie imaginaire. Et cet imaginaire ne s'engonce pas dans une réalité plate de mappemonde.

Cet aparté géographique était sensé vous faire toucher du doigt mon attachement à un voile léger posé sur la signification des mots un peu exotiques.
Je ne suis pas sûre d'avoir été bien claire.
Je suis même persuadée d'avoir embrouillé les choses. Ca m'arrive souvent.

Un concept immatériel frémit dans ma tête, un mouvement s'anime. J'ai l'impression de pouvoir l'appréhender. Je tente de le mettre en mots.  Et, d'une phrase à l'autre, je me retrouve en terre inconnue...


L'idée s'agite à la lisière de ma compréhension, comme une ombre furtive au détour d'un buisson. Je l'ai perçue, elle est là, et derrière l'ombre, il y a bien la proie.
Mais cette proie taquine glisse derrière la futaie et m'échappe, ne me laissant que l'ombre de son ombre, et la sensation un peu frustrante qu'il y avait là quelque chose, aperçu mais perdu déjà.
Je ne m'acharne pas à courir derrière elle. Je n'ai pas le goût de la traque.
Cette fainéantise dont je vous parlais, elle serait là. Dans ce respect pour la proie qui ne veut pas se laisser trop facilement attraper. Se montre et s'éclipse. Attise une convoitise et ne la nourrit pas.

J'aime cette faim non assouvie, cet appétit maintenu, cette curiosité affûtée. Le chemin pour le chemin et pas pour sa fin.
J'accepte, et même, j'aime, l'idée de ne pas tenir, d'avoir été initiée à un secret qui ne se laissera pas dévoiler.

La part d'irraisonnable, l'opportunité d'imaginer, ce qui ne peut pas se savoir.

J'en reviens à mes incongrus congru-congruence.
Je m'en étais un peu éloignée, n'est-ce pas ?
Une ombre encore m'avait attirée hors du chemin clair et droit, vers des bosquets plus sombres et moins visités.
Congru, je n'en connais pas l'exacte définition, mais je vois un genre de : qui se doit, juste, équitable.
Par le fait, incongru : inattendu, mal-venu, par extension étrange,  bizarre.
Quelque chose dans ces eaux là.
Voyez, je pourrais très facilement demander à Gegel. mais je n'en ai pas envie. Je préfère rester dans mon petit monde, quitte à m'éloigner d'une réalité dont je n'ai pas forcément l'utilité.

Le "congruence" tiré par la main comme un enfant boudeur par les deux premiers titille ma curiosité. Cette ombre me paraît séduisante, et j'écarte volontiers les deux adultes congru-incongru, pour m’agenouiller devant cette enfant plus secrète.
Ce "congruence" s'habille de sa tante "congrue", mais aussi de convergence. Il dessine un faisceau irisé pointé dans une direction élevée.

Tenez, regardez cette photo de l'automne dernier :




Vous distinguez à droite ce rideau de rais lumineux ? 
C'est un peu l'idée que je me fais de cette "congruence".
Une base large de plusieurs éléments associés, fondus dans un même mouvement, un élan en totale synergie, vers un but commun.
Une empathie, une visée, un tracé sans heurts ni écueils vers une aspiration admise et recherchée.
Un ensemble de choses différentes réunies, réunifiées, rassemblées, pour atteindre un objectif élevé.

Je ne me souviens pas bien des circonstances dans lesquelles j'ai entendu ce mot. Mais j'ai adhéré totalement à ce que j'en ai deviné, imaginé, et retenu.
L'ombre de cette proie là m'a parue extrêmement avenante.
Et la tentation de mettre mes pas dans ce sillage là m'a depuis longtemps guidée.

J'ai cette envie de vivre en paix, avec moi-même et les autres, en accord, sans soumission mais sans révolte.
Garder cette place où je me sens bien, la partager, et la fleurir comme on embellit son jardin.

Le mystère entretenu autour de ce mot me convient. Ma sensation n'est pas du domaine du tangible, du seul réel matériel et palpable.
Il s'enrichit de cette part diffuse, de cette silhouette entraperçue, de cette part d'ombre voulue.

Je ne veux pas d'une connaissance pointue et ciselée. Elle habille d'un costume trop étroit une perception diaphane et évanescente. 
En voilà deux autres, tiens, "diaphane" et "évanescente". Qui parlent d'un flou difficile à contenir dans un cadre rigide. Je les aime bien, aussi.

J'ai longtemps cherché le nom d'une plante herbacée fleurissant la cour de la ferme. Une vivace haute, fragile, dont les cosses de graines explosent à la moindre pression en une multitude de minuscules perles noires.
Je ne résiste pas à ce petit plaisir, à la saison. Je frôle ces cosses renflées. Elles se rétractent en un mouvement fugitif, et libèrent les graines qui bondissent de tous côtés, tels de petits diables lancés à la conquête du monde.
Ma collègue de la jardinerie, Martine, m'a dévoilé dernièrement son nom : la balsamine.
Je crois, que c'est son nom, tellement je suis restée attachée à l'idée de ne pas le connaître. De côtoyer cette fleur et son mystère, qui n'en est plus un quand on la nomme.

Et bien, ce nom, pas vilain au demeurant, m'a paru bien commun pour une petite légende locale. L'ombre était plus inspirante que la proie...
Ma "balsamine", n'inspirait pas comme la "salamandre", ou la "mandragore". Celles-ci aussi, si on me les montre, je vais les trouver communes. Mais l'aura de leur légende les rend autrement plus envoûtantes, non ?

Je ne suis pas sûre de m'être bien faite comprendre. Je suis même sûre de ne pas avoir voulu le faire, de ne pas être capable de le faire, puisque je ne comprends pas tout moi-même.
Et que cette part non comprise m'est indispensable.


Ma "congruence" mène à ma maîtresse "sérénité", lumière parfaite et inaccessible.
Point d'appel et objectif en visée de ma trajectoire irisée.




La lumière n'est pas toujours aussi limpide au bout d'un chemin droit et ombragé.


Les sentiers parallèles ne manquent pas de charme, eux on plus.

Et les errances doivent se concevoir sans peur quand on garde la lueur en mire.













A une prochaine fois, mes amis. Portez-vous bien et pardonnez mes errances...

L'INCONGRU



Amis suiveurs d'Agorreta, bonjour !








Ca, c'était hier. La petite troupe au complet. Bigoudi et Galzerdi en deux pièces, et Pollita et son petit toujours unifiés.
Aujourd'hui, peut-être ?
Mon père voit des signes avant-coureurs tous les jours. Je suis sur les dents !
Presque dix mois de gestation, c'est long...
Tout semble pourtant aller bien. Je descends plusieurs fois par nuit, surveiller ma belle. Elle me regarde, tranquillement couchée dans la fougère, s'étire en enroulant sa queue sur son dos, et retourne à ses rêves. Et moi aux miens, un peu inquiète, quand elle paraît si paisible.









Ca aussi, c'était hier.
Mon vieux pommier joliment couvert de fleurs opulentes.


















Et là, le même, ce matin.
La tempête est passée par là, emportant les deux tiers des pétales délicats.

En principe, les fleurs ont eu le temps d'être pollinisées sur les jours précédents, entre la grêle du samedi et le vent de cette nuit.

Gageons que nous aurons des pommes, en fin d'été...







Mes vaches à l'étable, fin avril, comme au plein cœur de l'hiver.

Une incongruité, un rappel de l'aléatoire, météorologique ou autre.
Rien n'est acquis, tout arrive, n'importe quand, ou presque.

La grêle s'invite, ravageuse et signe de la toute puissance du sort. Un rappel à l'humilité. Un encouragement à s'incliner devant la fatalité. Une résignation à cultiver, sans tomber dans la passivité, évidemment.

Se donner les chances de la réussite ne garantit pas son avènement. 
Mais l'espérer sans se donner la peine d'y participer, là, pour le coup, c'est tout laisser entre d'autres mains. Et ces réussites là, après tout possibles aussi, par le fait du hasard parfois amical, doivent avoir une saveur plus fade, je crois.

Le mérite, la gratification gagnée à la force du poignet, voilà des bases solides, à mon avis.
Pourtant pas toujours suffisantes.

L'incongru est partout.
Dans ces tentatives molles et sans peine couronnées d'un franc et total succès.
Ou dans ces entreprises méticuleusement échafaudées, qui capotent pourtant lamentablement.

La part de chance est comme la grêle : elle s'invite quand et là ou bon lui semble.
Et la malchance, aussi. Avec en plus son lot de désolation et d'incompréhension inhérentes.
Toujours, notre désir de rationaliser nous masque  cet incongru, perçu comme injuste quand le sort se montre défavorable.
Nous intégrons un faisceau d'éléments, nous calculons des probabilités, nous anticipons des enchaînements.
Et tout nos échafaudages s'écroulent parfois, sans que nous comprenions où nous avons failli, et pourquoi.

Tout simplement, parce-que, parfois, il n'y a pas eu de faille, ni de cause. Un effet, gratuit, injustifié, et injustifiable.
L'horreur du sort affreux de ces petites filles, enlevées, tuées, ou relâchées, selon le caprice d'un fou.
L'absence de raison dans tout ça. Et notre impossibilité d'admettre cet incongru terrible.
Des vies entières à chercher à comprendre, à justifier.

Quand rien ne justifie, ni n'explique.
Cette raison qui fait faux bond. Cette horreur surgie de nulle part et repartie dans sa tanière.

L'hébétude nous paralyse. Nous n'apprivoiserons jamais le sort, bon ou mauvais.
Notre seule liberté est de ne pas nous perdre dans la recherche d'une raison, là où il n'y en a pas.
La fatalité existe. Elle ne doit pas nous exonérer de participer activement à notre destin.

J'essaie de garder toujours en tête que tout ne se mérite pas. Que parfois, je n'ai pas mérité, justement, ce qui m'arrive, en bien ou en mal.
Le sort a été amical jusqu'ici avec moi. Il peut me montrer une autre face. Et là, toutes mes théories voleront sûrement en éclats brisés.
Mais bon, à défaut de bien savoir de quoi je parle, j'ai toujours la légitimité de tenter d'apprivoiser les circonstances.
Et de leur accorder une juste part d'effort.

J'ai intégré l'incongru. Je ne me débats pas contre la part irraisonnable des choses de la vie.
Je m'incline, en accompagnant cette courbure sans y laisser trop de forces.

La sagesse ne nous est peut-être pas accessible. Mais j'essaie de la garder en point de mire.
Et d'inclure l'incongru comme on mettait une assiette supplémentaire pour le vagabond.

Le vent et la pluie de ce matin sont comme une petite remarque acerbe d'un ami. On ne s'y attend pas. Elle pince un peu désagréablement.
Mais nous fera mieux apprécier le soleil revenu, n'est-ce pas ?

Et cet ami désobligeant, remettez-le à sa place, de temps en temps, vous lui rendrez service...
Ne donnez pas à ses sautes d'humeur plus d'importance qu'elles n'en n'ont. Lui même a oublié sa remarque acide sitôt l'avoir proférée, ou presque.


A bientôt, sous des cieux plus cléments, quand le sort se fera souriant, comme il sait si bien l'être aussi,  parfois.

vendredi 24 avril 2015

SEMAILLES A AGORRETA TRANCHE II



Bonjour les amis !








En ce vendredi matin, les augures sont amicales.
En cette dernière semaine d'Avril, il est temps de passer à la deuxième phase de nos semailles.

Il y a quinze jours, nous inaugurions la saison, avec la plantation de la pomme-de-terre, et le semis de la betterave fourragère :


 La valeureuse patate pointe déjà.
Ce plant particulièrement s'élance avec vigueur, vert profond, feuilles trapues étalées à ras du sol.

C'est le premier levé de la planche.
Les autres ne doivent pas être bien loin.
Deux semaines, c'est tout à fait honorable comme délai de levée.

Dès que les tiges se hausseront, je butterai de la terre meuble autour, pour accompagner le mouvement.



Plus loin,  ce sont les rangs de betterave.

En y regardant bien, truffe au sol et à quatre pattes dans les cailloux durs, on en distingue quelques unes.

Quoi, vous ne voyez pas ?
Regardez mieux, à gauche de l'ombre de ma main, juste en dessous du long fétu d'herbe sèche.
Alors ? Ca y est ? Vous la distinguez, ma fragile plantule bifide, tendre et vulnérable ?

C'est bien elle, ma betterave ! 
Je n'en ai aperçu que quelques unes. d'autres viendront compléter les rangs les jours prochains.
Enfin, c'est ce que j'espère, quoi...

Je suis toujours émue, de voir les premières levées de la saison. Ces petites pointes de vie, parfois presque imperceptibles. Les promesses de futures récoltes. Tout un temps de surveillance, de lutte, contre la mauvaise herbe, les pucerons, les chenilles, contre encore les rouilles, les mildious, les anthracnoses et autres joyeusetés adverses à la bonne réussite.
Je ne vous refais pas mon plan des ambivalences, des élans contrariés et des victoires arrachées au mauvais sort.
Mais bon, là encore, tout y est !




Le restant de la parcelle labourée s'enherbe salement. Sur les sillons dressés, malgré la dureté des mottes agglomérées,  l'adventice fait son affaire des conditions les plus agressives.





Je vous parlais plus haut de cette grande oseille, ce maudit rumex, conquérant en diable.

Il surgit de partout, déployé avec arrogance, et déjà en épis emplis de graines à essaimer plus loin encore.
Un conquérant tenace et pratiquement invincible.
Je vous ai parlé, je crois, de ses 150 années de réserve.
Cette graine, si elle ne trouve pas les conditions adéquates pour germer, est capable de garder sa ressource pendant plus d'un siècle, et de se remettre à germer après tout ce temps de dormance, si elle se retrouve dans un environnement propice à la pousse. 
J'avais été saisie à l'époque où cette information m'était parvenue !
Au point de vouloir la vérifier. Sur 150 ans, ça paraît difficile... Je pourrai léguer cette tâche aux générations suivantes, remarquez, mais bon, je ne suis pas sûre de pouvoir être en état d'en tirer les conclusions, le moment venu.
Alors, plus modestement, j'ai fait l'expérience sur une période de trois ans.
J'ai gardé sur une murette bétonnée exposé à tous les vents, aux frimas de l'hiver et aux canicules estivales, un tronçon de racine de rumex.
Ce tubercule tortueux s'est desséché, rétréci, a pris la couleur du béton sur lequel il gisait.
Nous avons ici une expression un peu triviale, mais tout à fait appropriée à l'image de cette racine exposée ainsi, "comme une merde au soleil".
Exactement ça, sauf qu'il y a eu du soleil, de la pluie, et du froid en plus.
La chose devenait minérale, dure au toucher et misérable à l’œil.

Après trois longues années de ce traitement de mauvaise faveur, je remis la racine en terre.
Même pas en bonne terre bien travaillée. Non. Je la laissai juste choir (encore une fois, comme une...).
Je ne la recouvris pas, histoire de la garder en vue.
Et bien, croyez-moi si vous le voulez : en l'espace de trois semaines, la racine minérale émit de petites racines bien végétales, elles. Elles allèrent se ficher en terre, entre les herbes hautes.
Le mois suivant déjà, les feuilles larges déployaient leurs nervures à mes yeux ébahis.
Je vous le dis, si ce sale rumex n'était pas aussi envahissant, il mériterait le plus grand respect.

Sur ma parcelle à cultiver, je ne veux pas le voir.
Pas plus que la petite véronique sournoise, aussi jolie soit-elle :





Elle tapisse discrètement, ne se montre pas, travaille en silence, et, si possible, dans l'ombre.

Ici, à ciel ouvert, elle ne peut pas se cacher, évidemment.

Tiens, je vous la montre mieux, plus bas, là :














C'est vrai qu'elle est mignonne, cette rouée petite bougresse...














Le laiteron, masquant mal sous ses feuilles à l'allure piquante agressive sa vulnérabilité de tige creuse pleine d'une laitance presque animale .

Regardez ici dessous ce liquide blanc épais, issu de la blessure de la partie coupée:











Encore une qui veut se donner des airs de dure à cuire quand elle éclate en sanglots blancs à la moindre écorchure !
















A cette saison déjà, et longtemps encore durant l'été, le mouron, parentèle assez proche de la véronique.

D'une nature fourbe, elle aussi, au ras du sol, les épaules courbées et le regard torve.
Une autre saleté à enlever avec précaution, si on ne veut pas arracher la plante cultivée en même temps.




Je vous le dit, le monde est plein d'envie et de convoitise. Toutes ces herbettes ne demandent qu'à faire leur vie à l'ombre de mes cultures. A profiter des soins prodigués à mes fourragères pour se faire la part belle !
mais je suis là, je veille, avec mon "antxur" fidèle :






Ce matin, près de ce champ, mon frère Beñat charge de la terre. Avec encore une fois, un outil de sa fabrication. Une pelle coquette, emmanchée loin, imaginée et créée pour cet office.
Mon père admire, avec une pointe d'ironie quand-même : on ne le refera pas !



Ces deux là adorent se chamailler, et ne s'en privent pas...






Moi, assistée de l'inspectrice de la protection des végétaux locale, je rassemble les graines à semer :

les graines de citrouilles, collectées des plus belles pièces de l'année dernière, séchées au feu de bois dans la cuisine.
Le haricot rouge à faire grimper sur le maïs.
Et, le maïs lui-même.

Je vais confier tout ce petit monde à la terre-mère.



Pas plus tard que cet après-midi, puisque le vendredi, à Agorreta, c'est jour de travaux ruraux.





Ttiki-Haundi et Rotavator sont prêts à reprendre du service.





Mes belles, elles, paissent au pré.

Vous voyez la petite tâche noire au beau milieu ?

C'est Galzerdi, ma dernière née.

Je me demande si pour Pollita, le moment n'est pas venu.
Elle paraissait un peu nerveuse, tout à l'heure.
Affaire à suivre, donc...







Là, il faut que je vous laisse ; les festivités ont commencé !

A bientôt, et passez une agréable fin de semaine.