lundi 1 mai 2023

JANVIER A AVRIL 2023

 


Lundi 2 janvier 2023  18h15


J'ai fermé les volets sur la nuit rafraîchie.

Tout le monde est en intérieur. Les agapes de fin d'année demandent réparation. La dolence d'après-fêtes ralentit l'activité. Ca sent pourtant déjà la reprise. 

J'aime moyennement ce moment où il faut redémarrer. C'est toujours un peu déstabilisant, pour moi, ce petit coup de reins à donner pour repartir. J'aime tant l'idée de finir un cycle, de pouvoir laisser aller en se disant que les dés en sont jetés et qu'il n'y a rien de plus à faire... Je manque sérieusement de courage, pour me vautrer ainsi dans les situations de finitude. Et plus encore de fantaisie, pour me caler aussi rigidement dans un calendrier arbitraire. La nature ne repart pas comme l'année civile. Elle rentre au contraire maintenant en pleine dormance. C'est peut-être ce décalage qui me chiffonne.

 Les jours rallongent déjà, pourtant, et parlent ainsi de redémarrage. Si la nature elle-même s'emmêle les pinceaux, c'est à n'y rien comprendre. Sinon le mouvement furtif et sans bruit de courants souterrains, aux cours parfois contraires, où les apparences sont souvent trompeuses.

Je suis allée quérir le gui, le laurier et le houx pour confectionner mes bouquets-gris-gris traditionnels. J'ai marché dans le chemin creux où des vergnes déchirés saignaient encore de leurs moignons sauvagement arrachés. J'ai été affligée de cette insensibilité aux arbres. J'imagine bien qu'il fallait ouvrir un passage pour une ou autre grosse machine. Ca aurait pu se faire autrement, en faisant des coupes propres, pas du carnage. 

Je m'étonne à peine. J'ai vu dans ces parages une immense touffe de houx multi-centenaire, cousin de celui où j'ai fait ma cueillette aujourd'hui, renversée, et roulée au bas de la pente comme un andain de broussailles à brûler. L'opération n'avait pas du prendre plus d'une paire d'heures. Tout le monde ne sent pas pareil...


Mercredi 4 janvier 2023 18h10


Une bande orangée dessine la crête du Jaïzkibel en ombre chinoise limpide. Le frais revenu cisèle les crépuscules, et fait les aubes cristallines. En journée, le soleil fait monter la température. Ce sont des journées hivernales parfaites.

J'ai été faire un tour à la montagne. Ca faisait longtemps que je n'y été pas allée. En descendant dans la prairie, avant d'entrer dans le bois, j'ai pris un moment pour apprécier le grand silence, (du moins ce que j'en connais maintenant). Les chevelus des ramilles grises dénudées contre le ciel pâle, le disque lunaire évanescent plaqué plus haut, une aile volante languide. Du gris léger, à peine bleuté, l'or timide du soleil dans les bois blanchis. Pas de mouvement, pas de bruit. Le grand calme.

Dans le bois, de grands arbres sont tombés, enchevêtrés dans la végétation écrasée. Ils ont dans leur chute libéré de larges trouées où la lumière affole les plantules enivrées de cet afflux de clarté. Les bourgeons gonflent déjà. Pas de dormance, alors ? La vitalité de la jeunesse supportera ces pas de danse à contretemps. Pour les vieux sujets, ils auront plus de mal à suivre le mouvement contrasté. Devenus vulnérables de toute cette fatigue accumulée, ils s'effondreront, avant d'avoir vieilli comme ils l'auraient pu sans tous ces dérèglements.

Le bois rajeunira. Les vieux arbres tomberont. Les cycles longs raccourciront. Notre frénésie gagnerait la nature ? Ou la sienne commandera-t-elle la notre...

Je lui fais confiance pour donner un bon coup d'arrêt, quand elle en sentira le besoin pressant.

TtonytaPetra se couchent. J'entends leurs cornes cogner l'abreuvoir, quand elles s'installent, bien allongées dans la fougère. Les chiens eux aussi se reposent de la promenade. 

Lola hier soir m'a fait une grande frayeur. Elle remontait l'escalier depuis l'étable. Il est passablement raide. Elle arrivait sur les dernières marches, quand elle a glissé. Elle est retombée durement en arrière, a buté de l'échine contre une arête, est repartie encore une fois en roulade, jusque sur le béton, par dessus le palier tournant. Je la voyais essayer de se redresser, donnant des coups de reins, sa tête heurtant le bois, puis le ciment. Son ventre clair, son dos noir, ses pauvres petites pattes raidies, ses pupilles écarquillées.

Je ne pouvais rien faire, consternée, en haut de l'escalier, que de la regarder chuter et rebondir brutalement de marche en marche. 

Elle finit par s'immobiliser, en bas. Je voyais sa tête redressée. Elle ne s'était pas brisée le cou. Je la pensais très sérieusement blessée. Tous ces chocs sur sa vieille carcasse fragile devaient avoir fait du dégât. Avant que je ne descende, elle se remit debout, se secoua comme après un bain, et remonta, d'un bon pas ! Je l'accueillis en haut, la prenant avec précaution, persuadée que, si elle ne s'était pas rompu un membre, elle devait au moins s'être fêlé ou cassé quelques côtes. Elle serait douloureuse. Au mieux. Je pensai à une blessure interne plus insidieuse, une viscère perforée, une hémorragie en son début. Comme toujours, je sautai aux conclusions extrêmes. La propension au tragique ne me lâchera pas.

Ma Lola se secoua encore une fois. Elle se coula contre moi, s'appuyant sans manifester la moindre douleur. Sa queue fièrement dressée en panache, elle rentra ensuite dans l'appartement, faisant claquer la trappe. Je n'en revenais pas : non seulement ma chienne paraissait indemne, mais elle n'était même pas tracassée, sans dire choquée, par sa chute rocambolesque.

Je la surveillai la soirée. Elle montait et descendait sur et de son fauteuil, tout à fait normalement, sans aucune altération de son agilité coutumière. Dans la nuit, elle monta me voir dans la chambre, comme à l'ordinaire. L'escalier ne lui posait aucun problème. Non, vraiment, son expérience passablement brutale ne l'avait nullement éprouvée, ma veille cascadeuse !

Je suis bien sûre que, dans la même situation, Txief se serait ouvert le crâne à la première marche cognée. Bullou, elle, serait morte aussi, mais de peur.

Ma troupe canine vieillit. Et la plus vieille semble la plus résistante. A part une patte légèrement écrasée dans sa prime jeunesse, Lola n'a jamais connu aucune avanie. Cette petite vieille est encore une guerrière !


Vendredi 6 janvier 2023  17h50


La fraîcheur tombe dans les combes en brume bleu-gris.

Je ferme maintenant l'imposte, en bas. TtonytaPetra  sont à l'abri du filet d'air froid nocturne. La journée assure suffisamment la ventilation. 

Au potager, les fèves et les pois soulèvent la terre en s'arrondissant des épaules. L'ail s'élance de plusieurs centimètres, déjà. L'oignon, plus timoré, ouvre sa fourche tendre aux tiges fragiles. Seules, les échalotes paraissent retardataires. Mes carrés s'ornent en lignes animées. Je n'ai pas trop prévu de sentes de circulation, cette année. J'ai la foi en mon paillage, pour ne pas avoir à désherber les rangs. En fond, la jachère fleurie s'est ressemée. De larges hampes fleurissent en grappes bleues. Quelques cosmos encore élèvent haut leurs corolles blanches. J'ai fait un rapide tour de nettoyage à la binette sur le pourtour. Il n'est pas temps encore de sortir la débroussailleuse.

Dans ma pépinière, le chantier réorganisation a été rondement mené. J'ai laissé aux garçons la jauge des cactus. Ce n'est pas la meilleure ! 

J'aime ces journées où l'activité fait défiler les heures à peine plus vite qu'on ne le voudrait. Je me fixe un premier plan d'action le matin. Je le révise à midi, selon l'avancée. Je ne me laisse que très rarement surprendre, à la fermeture, à n'avoir pas fini ce que j'avais commencé. 

Je fais une belle guerre à mes collègues, en leur répétant que, avant la 19ème heure, celle de la fermeture, il y en a eu 18, que ce terme ne tombe pas du ciel comme une météorite imprévisible. Je leur serine qu'à la quittée, ils doivent laisser le chantier en cours, propre, s'il ne peut être terminé dans la journée. Trop souvent, je retrouve à l'embauche des plantes éparpillées dans les allées, des outils abandonnés là. J'imagine bien qu'ils ne le font pas intentionnellement. Ca  n'en reste pas moins passablement horripilant.

J'inspire et souffle un bon coup, range le plus gros, et passe sur le reste, dans l'espoir que, dans le courant de la journée, quelqu'un s'occupera de ça. Comme l'agacement s'aiguise de mes impatiences, je finis par le faire moi-même, dans la foulée. Et c'est alors que le collègue, surpris, désolé, presque, s'écrie : mais, j'allais le faire, justement ! Et oui, justement...

La marchandise commence à arriver en prévision du printemps.  Les rayons prennent du ventre. Pour nous, dans la pépinière, ces jauges parfaitement rangées, nettoyées, alignées le long d'allées dégagées, n'en n'ont plus pour longtemps non plus. 

Les camions vont débouler, avec leurs lots de plantes. Ce qui était espacé sera plutôt entassé. Je prie pour une rotation améliorée. Les jauges se rempliraient au fur et à mesure qu'elles se vident, et pas au delà. Malheureusement, être fin gestionnaire ne suffit pas, il faudrait aussi être devin en météorologie, pour faire par anticipation des réservations, plusieurs mois à l'avance, et des commandes au plus juste, sans savoir comment sera la saison. 

Tout tourne chez nous autour de la nature. Et de ses caprices.

L'année redémarre. J'ai déjà oublié mon petit marasme, secoué par ces projections.

Un dernier petit dossier me nargue. Un dossier au long cours, ce cours si long pour ceux-là qui, comme moi, n'aiment pas sursoir. Là aussi, j'inspire et je souffle...


Lundi 09 janvier 2023  17h


La nuit dernière et la journée ont été tempêtueuses.

Nous avons quand même été avec Olivier prendre l'air, à grande goulées vivifiantes. Nous avons fait mer et montagne, comme dit dans les prospectus. Le gris métal de la mer sous le gris plomb du ciel à la tombée de la nuit, était magnifique, ourlé de bandes écumeuses portées par les vagues lourdes, puissantes. Je pratique depuis peu ces promenades de début de nuit, le long du front de mer. C'est ma foi bien agréable. Ma fin de semaine fut donc de toute détente.

Une petite virée aux urgences, ce petit matin, pour un familier en souffrance. Rien de grave, au final, mais, dans ces cas là, la vérification soulage la moitié du mal.

Là, j'ai fait la connaissance d'une merveille de médecin, attentif, prévenant, patient. C'est la première fois que l'on me propose un café, pendant que je suis sagement dans la salle d'attente des familles. Grand gaillard roux à la peau saupoudrée de son, cette perle à l'accent nordique a pris le temps pour moi, le temps pour mon frère, comme s'il en avait, du temps, alors que non, sûrement, d'après ce qu'on nous dit partout.

Là comme ailleurs, tout dépend de sur qui on tombe...


Mercredi 11 janvier 2023  18h20


Bonnes pluies encore ces derniers jours. La flaque dans le creux de la prairie voisine garde son miroir. Entre deux, de très belles éclaircies tirent en extérieur. Hier encore, à la jardinerie, j'ai œuvré très plaisamment, sous le soleil presque chaud, par moments.

Aujourd'hui, je me suis réattelée à mon combat des dix prochaines années : la traque aux fuites d'eau dans ma porcherie-remise. J'ai complété le dispositif par d'autres plaques encore, d'Aquilux, cette fois. Je fais avec le matériel de récupération, au fur et à mesure qu'il se présente. Le pan de mur est pratiquement recouvert dans son entier. Pour chapeauter tout ça, j'ai collé des lés goudronnés sur le faîte aux tuiles probablement poreuses. Là encore, je n'avais pas de matière première en suffisance. Je comblerai lors d'un prochain arrivage. 

Sur un édifice neuf, tous ces rafistolages seraient une catastrophe, chiffonnerie et compagnie. Ici, dilués dans l'environnement campagnard, rustique et improvisé, ils se fondent parfaitement. La prochaine pluie sera l'occasion de mesurer l'amélioration. Et de continuer sur cette voie si plaisante. 

Une pleine après-midi de bricolage, au vent vif, au soleil intermittent, avec l'abri tout à côté, me réussit tout à fait bien. Les allers-retours vers l'atelier-porcherie-remise me donnent l'occasion de flatter TtonytaPetra restées à l'étable aujourd'hui. Ttony, de par sa position près de la murette, serait privilégiée. Pour ne pas attiser la potentielle jalousie de ma bonne Petra, je prends le balai posé juste là contre la rambarde de l'escalier, le passe sur le dos de Ttony, et frotte aussi le chanfrein de Petra. Elle avance sa grosse tête un peu ahurie, roulant ses yeux blancs et avançant le mufle par dessus le cou de Ttony. Elle essaie de laper les pailles du balai, pendant que Ttony me souffle au visage en palpitant des naseaux.

Les chiens vont et viennent entre les étages, contents de me savoir là. La pause du goûter fraternel marque la fin du chantier, pour cette fois.

J'ai écourté ma virée aujourd'hui. Un tour dans le potager, le circuit minimum dans le champ, et je suis rentrée pour la soirée. Il est temps maintenant de fermer les volets, de terminer la journée, au calme et sans presse.

J'ai pour projet 2023 une autre œuvre majeure : ma pote bipole à deux balles. Ce sera mon fil rouge pour l'année, quand mes chroniques au jour le jour en sont les petits galets.



Jeudi 19 janvier 2023  9h20


Je suis inhabituellement à la maison aujourd'hui. 

J'ai repris mon rôle de St Bernard. Je m'y suis toujours accomplie. J'essaie de ne pas m'y laisser trop prendre, de bien me dissocier moi, du demandeur d'aide. Ca toujours été un écueil pour moi, au point d'y engouffrer plus d'énergie que je n'en avais. Je sais mon capital bien entamé. Je le sais aussi pas mal restauré, ces derniers temps. 

Jamais je n'aurais pensé évoquer certains sujets passablement intimes, ainsi, à la table familiale. Ma foi, nous n'avons jamais trop eu de ces délicatesses, par ici, et je trouve ça très bénéfique, pour tous. Ca donne l'occasion d'échanges divertis et amusants, quand la douleur ne mord pas trop fort le principal intéressé. Rien de grave, un nerf mesquinement pincé. Douloureux en aigu, d'après ce qu'il paraît.

Nous consultons ce matin une énième spécialiste. Plus exactement, la spécialiste dédiée, puisque nous avons fait le tour de toute la carcasse, sans rien déceler de probant. La révision a été complète, le dernier rouage concerné est le plus bénin, mais pas le moins mordant.

Il fait un temps exécrable depuis dimanche soir. Le cumul des précipitations frise les records. Le vent souffle en tempête. Les gelées matinales sont annoncées. Ma porcherie-remise s'auréole, de ci de là, discrètement, mais sûrement. Je n'avais pas eu le temps de terminer mon calfeutrage. 

Pour arranger les choses, TtonytaPetra, bien à l'abri dans l'étable, m'ont boudé la balle de foin mise en service. Pour les contenter, j'ai du ouvrir les deux autres, remisées dans la porcherie, pour mélanger les brins de façon à leur diluer les refus. Résultat des courses, j'ai trois balles ouvertes, lamentablement vautrées, répandues sous les gouttes impertinentes. Je prends les fourchées humides au fur et à mesure. Le stock reste préservé.

Dimanche, au retour d'un repérage sur Biarritz, nous avons longé la corniche. A un moment, le ciel bleu pur s'ouvrait au dessus des montagnes, quand, sur la mer, une barre gris bien sombre s'ourlait sur la mer métallisée. C'était magnifique. Des arcs en ciel somptueux enjambaient l'horizon en courbes parallèles.

Depuis lundi à nouveau, après la semaine dernière et les visites nocturnes aux urgences, nous sommes médicalement mobilisés. Entre deux, je réorganise la maison en position garde-malade. J'aime assez, ça me fait quelques changements, et je joins ainsi l'utile à l'agréable.

Avec ce temps de chien, de toute manière, je n'aurais pas fait grand chose de mieux.

Allez, il est temps de reprendre du service.


Lundi 23 janvier 2023  19h


Je me pause une demie-minute. Ces jours-ci, nous écumons en famille toute l'imagerie de la Côte Basque et de Navarre. Non, Navarre, quand-même pas.

Pour finir, semblerait, par trouver le seul préposé médical efficace à Urrugne, 7 minutes et demie à peine. Un homme sec, fluet, discret, terriblement attentif, et perspicace. Un genre de rebouteux de Juxue. En plus citadin, fantaisie, un peu poète. Avec tout ça, diablement expert dans sa partie, pédagogue, sans prétention mais suffisamment d'assurance pour susciter la confiance.

Pas de place de village bondée au petit matin, ici. L'homme doit intriguer, et nos bons vieux autochtones le flairer avec méfiance. Ca a bien fait notre affaire, puisque nous avons pu être reçus dans la journée. J'ai observé les manipulations musclées, profondes, étonnée de la puissance des doigts de cet homme à la charpente frêle. Quelques jours nous diront si notre foi était méritée.

Le froid vif et mordant a pincé la joue, aujourd'hui. J'ai écourté mes extérieurs. Finalement, toutes ces visites dans les salles d'attente chauffées, dans les cabinets feutrés, se calent parfaitement dans la période.


Mercredi 25 janvier 2023  18h45


La maison est fermée sur la bonne chaleur. Les températures ne dépassent pas les 5 degrés, ces jours-ci. Le ciel reste uniformément gris, à peine animé de quelques voiles brumeux plus clair. J'aime bien ce froid vivifiant, quand je sais retrouver mon intérieur douillet au soir. Je pense à ces malheureux transis dans les coins de rue. Celui qui dort dans l'alcôve au dépôt de livres de la bibliothèque, par exemple. Et je savoure mon bien-être, égoïstement, avec à peine une pointe de culpabilité.

Notre journée fut encore médicale. Les choses tournent vers le mieux, dirait-on. Il est encore un peu tôt pour crier victoire. Jamais trop pour se détendre de gratitude.

La petite Raquel mi sari-indien mi poncho péruvien suit tout ça de près. Quelques jours encore de médication, pour mâter une éventuelle reprise de morsure de ce maudit mec Pudental. Pas très commode non plus, celui-ci, comme voisin. Quelques jours encore donc d'une cohabitation fraternelle, tranquille.

J'irai vendredi quérir un canapé-lit. Histoire de mieux installer une future potentielle prochaine avanie du genre.


Mardi 31 janvier 2023  10h50


Je suis à la maison, en veille malade. L'imagerie nous requiert cette après-midi. Demain encore deux visites spécialisées, et nous devrions en être quittes pour ces cadences médicales infernales.  Un petit suivi ensuite du traitement antalgique, en espérant sa redescente, au fil de l'amélioration de la fluidité de ce maudit nerf survolté.

J'essaie de prendre garde à la dissociation. N'y parviens pas bien. Trop souvent, le "nous" prend la place du "il". C'est difficile pour moi de ne pas trop m'impliquer. Ca l'a toujours été, ma passion de tempérament me menant trop souvent à embrasser les causes à bras le corps, corps défendant, corps perdu et corps perclus. 

Pour le moment, les phases de crise et celles de récupération alternent à une cadence raisonnable. Je suis mieux installée, sur ma banquette. J'ai redisposé le mobilier, à savoir la grande table et ses quatre chaises, de manière à dégager de l'espace autour de ce nouvel occupant. J'y ai perdu en espace libre, évidemment. Gagné en confort, indéniablement, quand les chiens s'allongent de tout leur long près de moi, pendant mes séances télé, ou lecture. Ce mur mal crépi dès le départ gagne en plus à être habillé.

Les journées blanc-gris se suivent, trop rarement éclairées d'un soleil avare. Une petite éclaircie hier en fin d'après-midi nous a menés Chemin des Crêtes, au retour de notre spécialiste manipulations musclées. Le résultat des dites manipulations a évidemment été un sérieux retour de flammes du mec Pudendal. Le mécanisme est maintenant parfaitement rôdé : désordres de miction par compression de la viscère impactée, durant plusieurs heures, puis, transfert rapide de la compression vers l'extrémité passablement sensible, douleur fulgurante. Les antalgiques associés ou alternés selon les conseils du dernier urgentiste consulté paraissent fonctionner. Une petite heure de souffrance encore, avant le reflux de la vague furieuse, et le retour à une onde plus supportable. 

Connaître le cheminement de la bête ne la neutralise pas. Mais laisse voir venir. Le début du commencement de la prise de contrôle, dont je parlais pour le Ménière. Pas encore le bout du tunnel, loin s'en faut, mais une vague lumière, tout au fond.

Je me distrais de quelques promenades dans l'air bien vif. Au potager, les plantules vulnérables se piquètent des cicatrices blanchies des impacts de la dernière averse de grêle. Rien de méchant, un petit coup cinglant tout de même. Ca les aguerrira. En cette saison, les champignons et les viroses sont eux aussi en dormance, ankylosés par le froid. Ils ne viendront pas profiter de toutes ces entrées tendues dans les feuilles tendres.

Je programme la parution de mes articles à un horizon du semestre, maintenant, si ce n'est pas de l'année. Je suis moins assujettie à cette exigence du "paraître". Un sevrage bénéfique, indolore. Je n'ai jamais été addicte perdue. Bien accrochée, à une époque, pourtant. 

J'écris toujours avec autant de plaisir. La perspective de pouvoir revisiter cette période bousculée, quand tout ça sera derrière nous, (encore ce "nous", mais difficile de faire autrement, puisque mon quotidien baigne là dedans), me plaît. J'essaie de représenter cet avenir bien plus clair au frérot. Il se laisse séduire, quand la douleur se calme. Plonge dans le marasme, quand elle revient planter ses crocs acérés dans son nerf écorché. Une courbe sinusoïdale bien compréhensible. Passé demain, et la dernière salve de consultations spécialisées, les jours reprendront un cours plus calme. Tout se détendra, les rythmes, les inquiétudes, les nerfs.

J'en suis persuadée. J'essaie de l'en persuader aussi. Je, et il, serons tout de même bien mieux, quand nous l'aurons vérifié, au fil du temps trop long de celui qui s'en voit.


Dimanche 5 février 2023 10h50.


Le repas dominical cuit à côté. TtonytaPetra sont sorties, mais reviennent souvent dans l'étable plus chaude. Je vais aller vérifier la clôture au fond du champ. A chaque chaleur de mes belles, je les vois donner de la corne au travers de lignes de barbelé. Une petite surveillance assidue s'impose.

A la jardinerie, nous avons à temps perdu entrepris avec Jean-Michel un déréférencement des articles à bloquer pour les commandes. Une épuration, dit-il.

J'aime ces tâches de gestion. J'ai les formules. Je n'ai pas l'expertise des tableaux Excel. Là aussi, j'apprends, vite, quand j'aime. Jean-Michel me semble parfois alambiqué dans ses recherches, entêté à plier la logique informatique à ses volontés. Moi, je plie plutôt mes volontés à la logique perçue. Nos méthodes comparées nous donnent l'occasion d'œuvrer au chaud, dans le bureau. C'est tout à fait bienvenu, en ces journées où le froid pince vif. J'en aime pourtant le côté vivifiant, en séquences pas trop longues. Une nouvelle recrue rebelle à la discipline alentie de la morte-saison donne du fil à retordre aux décideurs. Je me tiens loin de leurs circonspections. J'ai assez des miennes. Une petite pointe sadique me tient quand-même, à relever les joies et peines de l'encadrement. Je m'y suis suffisamment fatiguée pour goûter le confort d'un petit poste plus modeste, certes, mais plus tranquille, aussi.

Je garde mes énergies pour ici. J'essaie de ne pas en être trop dispendieuse. J'essaie de ne pas être trop dispendieuse tout court, même si la période et ses remous perturbent mes lignes budgétaires. Un peu de souplesse ne nuit pas. La courbe globale est tenue, sur la distance. Je me suis bien rassurée, de ce point de vue là, aussi. C'est tout à fait agréable, quand je vois les affres du frérot, presque aussi inquiet pour ses comptes bousculés par les dépassements d'honoraires, que par son nerf replacé, mais encore effiloché. Quand la filoche révoltée ne prime pas.

Une mauvaise nuit, la dernière. L'effet peut-être de la pleine lune pour celle-ci.

Ou tout autre chose. Nous tâtonnons, dans l'enseignement de cette neuropathie bien peu sympathique. Là, la population locale repose, récupère. Moi, je compte sur la sieste, si un importun ne vient pas nous en réveiller. Pour la téléphonie, je vais museler tout ça. Le public-relation de quatorze heures, sera neutralisé par une bonne vieille mise en veille de ces maudits portables aux sonneries fracassantes.

Les jours prochains seront de trêve, suivant une courbe maintenant plus ou moins établie. Combien, de jours, ça, suspense.

Il est tôt encore. J'ai le temps de descendre dans le pré.


Vendredi 17 février 2023  18h50


Le calendrier tyrannique des publications spontanées ne me tenant plus, je reviens au clavier, de loin en loin. Je garde la visée de fixer l'écume des jours, celle-là qui se perd facilement dans la durée. 

L'ère de l'immédiateté prime. Je prends garde de m'en émanciper, autant que cela se peut dans un monde où tout est banalisé en quelques jours, semi-scoop people comme tragédie insondable. La guerre perdure en Ukraine, le monde s'effondre en Turquie. Quelques images saisissent, à leurs premières diffusions, captent une terminaison émotive ou autre, puis la blasent à une vitesse vertigineuse. 

Notre intérêt papillonne. D'une chose à l'autre. De sujets futiles en drames affreux. Nous sommes ainsi faits, maintenant, formatés pour l'instantané, sa nouveauté. Le passé et l'avenir, l'ailleurs, l'autre, ma foi...

Si c'était pour vivre pleinement l'instant présent, l'ici et maintenant, ce pourrait être un bien. Là, j'ai l'impression que c'est pour vivre sur un autre plan, sur cet univers virtuel où la réalité s'affadit en ombre perdue. Une manière de fuite nous mène, vers quoi, je ne sais pas. Comme si la vie réelle nous décevait profondément. Comme si nous avions définitivement renoncé à l'idée de la changer, en mieux.

Tout ça me dépasse un peu. Me désole, sans plus. Je n'ai pas de solution, pas de meilleure perspective à donner. Ca tombe bien : on ne m'en demande pas !

Ici, la situation a très favorablement évolué. Le frérot est rentré chez lui en début de semaine, après sa villégiature de convalescence. Les choses rentrent dans l'ordre, dans ces contrées délicates.

En parallèle, montant au fur et à mesure que pour l'un la crise redescendait, la nécessité impérieuse d'aller quérir une vieille mécanique tenaillait l'autre.

A grands coups de kilomètres, (six et huit heures de conduite entre vendredi et mercredi), de compulsions frénétiques des petites annonces dédiées, nous avons fini par dénicher la perle rare. Un petit bijou bleu va bientôt avancer son museau carré, ou peut-être bien rond, je ne sais plus, tant nous en avons vus, aux gros yeux effarés, dans les parages.

Ca fait deux satisfaits, et une grande soulagée.

Je reprends mes occupations bucoliques. Le potager a fière allure. Je me contente de butter le substrat léger autour des plantules encore timorées. Bientôt, je vais reprendre mes tournées débroussailleuse. Le grand soleil tire dehors. Le jardinier frétille. L'activité est encore calme pourtant, à la jardinerie. Je m'en intrigue, sans soulever l'interrogation des collègues. La plupart pensent plutôt vacances. Les clients aussi, peut-être, alors.

Je vais de mon côté prendre le bon air sur cette fin de semaine. Je ne travaille pas jusqu'à mardi. Olivier s'annonce. Je vais faire riper mon pivot d'attention. Pas toujours facile de trouver le bon axe...


Lundi 20 février 2023 17h40


La brume en laitance diffuse floute le flanc bleu du Jaïzkibel.

Je redécouvre la suavité des jours où le programme se cale sans presse ni urgence. Après toutes nos tribulations médicales et prospectives, le secteur retrouve son rythme relâché. J'ai pu reprendre mes autours en profondeur, quand je les survolais, ces dernières semaines.

Je retourne demain à la jardinerie. Il ne se passe que quelques jours, et, déjà, j'ai l'impression d'un long temps d'absence. 

Cette fin de semaine, particulièrement, où, avec Olivier, nous avons parcouru les itinéraires touristiques mer et montagne, m'a donné comme une impression de dépaysement. J'ai beaucoup aimé longer la corniche, samedi après-midi. Les haltes panoramiques au dessus des roches en strates fracassées en leur pied par  les lames qu'on imagine violentes, à respirer le grand air, le regard empli de lumière ocre, m'ont tenue sur le parcours protocolaire de l'estivant type. Samedi, le temps était parfaitement calme. L'écume  immaculée des vagues gentillettes, éblouissante,  clapote amicalement sur les pointes émergées des rochers. Dans les criques abritées de pans verticaux lapés de soleil, l'eau, de bleu, vire verte, comme dans les lagons exotiques. La végétation serrée des bruyères autorise quelques chevelus d'aubépines, à peine.

Nous sommes rentrés à la tombée du soleil. Les chiens et TtonytaPetra nous attendaient, dans la maison et dans le pré.

Une telle journée est pour moi la journée idéale de vacance. Quelques menues tâches le matin, une bonne sieste d'après-repas, puis, quartier libre pour une détente complète, jusqu'au soir. Je n'ai pas besoin de plus.

Dimanche, nous sommes partis dès le matin. Certes, le col d'Otxondota est toujours aussi majestueux, et la promenade le long du flanc rocheux, à couvert du vent frais, toujours aussi agréable. Les haltes au soleil, adossés à une grosse pierre à la mousse séchée par ces semaines sans pluie, sur l'herbe rase et poussiéreuse, restent des moments de détente parfaite. Le paysage large déroulé dans la vallée, adouci d'un voile brumeux, s'étend sous nous en creux des montagnes enneigées. Un flanc a brûlé, dernièrement. Une ou autre flammèche danse encore dans le souffle du vent. Tout ça était une merveille.

Pour autant, le repas trop copieux, dans la véranda bruyante des convives attablés tout près, la sieste au rabais dans la voiture malcommode, cette dépense, finalement, pour un plaisir moyen, me laissent un sentiment mitigé.

Je suis indécrottable. Hors d'ici, pour moi, point de salut. Tout ce qui m'éloigne de la ferme me prive. Quelques heures, très bien. Une journée entre amis, par ci par là, parfait. Plus, ça commence vite à tirer. 

En dehors de ces considérations pas nouvelles, j'ai ce matin encore éprouvé la pesanteur des ces administrations auxquelles je reviens me cogner, épisodiquement, comme le papillon persiste à voleter autour de la lampe. 

Je ne m'y brûle pas d'ailes. Au contraire, mes rendez-vous successifs sont l'occasion de rencontres globalement charmantes. Mis à part un regard oblique filtré au travers de deux paupières lourdement entrouvertes, je garde le souvenir d'interlocuteurs tout à fait sympathiques. L'ennui, c'est la diversité de ces interlocuteurs, et la difficulté dans ces figures fuyantes de garder une stratégie bien conduite. D'une fois à l'autre, il faut tout réexpliquer, argumenter. L'écoute est plus ou moins attentive. Objectivement, de moins en moins, d'ailleurs, je dirais. Ou alors, je me fais désabusée.

Chacun de ces intervenants semble avoir des centres d'intérêts tout différents. Les conversations s'étoilent, s'écartèlent, et les visées s'émietteraient vite. Je garde à peu près le cap, à grands coups de barre. La navigation est déconcertante.

J'ai l'impression de parler avec tous de la même chose, et d'entendre pourtant en retour des discours qui n'ont rien en commun entre eux. Si ce n'est qu'ils n'ont tous pas grand chose à voir avec ce que je demande. C'est ennuyeux, désolant... amusant, aussi, quand comme maintenant, l'enjeu pour moi est minime. Ca me fait un petit train d'affaires, histoire de garder la main.

Le soleil a été happé dans la brume, ses couleurs pâlies délavées dans la grisaille uniforme. Les ramures échevelées s'y plaquent, en graphiques noirs immobiles. C'est un paysage d'hiver, aux couleurs fondues, où les reliefs paraissent lointains, et les sons étouffés.

Une petit râpe écorche mon fond de gorge. Je vais tirer le vantail de l'étable sur le soir tombé.


Mercredi 22 février 2023  18h30


La journée grise plonge dans l'obscurité. Nous espérions la pluie : elle n'est pas venue. Les gens s'alarment, les prairies ne verdissent pas. Dans le potager, l'épaisse couche de paillage organique maintient l'humidité. La fève est opulente. Le pois dru. L'ail, l'oignon et l'échalotte, après un petit jaunissement de froid, reprennent du rose aux joues. Mes nouvelles méthodes culturales sont dans la parfaite trajectoire d'une évolution climatique inexorable.

Ma petite râpe est devenu bouchon de ouate dans le nez. Je fleure bon le "bicks baporoub". Je pensais passer la nuit à chercher l'air, la bouche asséchée de rester entrouverte. Pas du tout ! Les effluves menthe et eucalyptus ont suffisamment dégagé le naseau pour m'autoriser une bonne nuit de récupération. La longue sieste, tout à l'heure, à regarder paresseusement la ramure du carolin entre deux assoupissements, a parachevé le travail. Je suis à cette heure certes encore passablement nasillarde. J'ai été quérir ce matin moult paquets de mouchoirs "lotionnés". Je suis ainsi au meilleur confort dans la situation donnée.

Dans l'idée d'entamer la construction de la trame de mon œuvre majeure de l'année,  j'ai cherché dans ce fatras des Nouvelles quelques articles consacrés à ma pote bipole. Je suis tombée sur l'épisode de fin octobre 2020, où je parlais entre autres de Manuel Carrère et de son "Yoga", où il était en effet question du trouble bipolaire, en filigrane. J'avais alors fait un court séjour à Rivière, à l'occasion d'une suspicion de Covid. Relisant mes lignes d'alors, j'ai retrouvé la saveur intacte de ces jours. Je les avais oubliés, fondus dans ma villégiature de cet hiver là. 

C'est là que je légitime mes babillages. J'ai ré-éprouvé le plaisir d'une écriture futile, la facilité d'associer les mots pour leur mélodie, sans chercher plus loin. J'ai re-ressenti mon authentique état d'esprit d'alors. Mes circonspections, mes doutes, mes espoirs, du moment. 

Je suis contente d'avoir laissé tout ça derrière moi. Contente d'avoir tenté l'expérience, même si ma "tentative" n'était sans doute pas tout à fait sincère. Mes alambics intimes ne sont ni plus ni moins encrassés que ceux de la plupart. Ils sont peut-être juste plus "alambiqués"... ou moi moins capable de les démêler.

Je jette un œil par la fenêtre, en vérifiant la chaleur du radiateur. Dans le champ, je vois deux petits veaux couchés côte à côte. Les mères tiennent salon un peu plus loin en les surveillant. Ils n'ont que quelques jours d'écart. Je les ai vus tout à l'heure jouer comme des petits fous à se poursuivre sur la pente, queues dressées, vivantes figures de la joie de vivre et de l'insouciance. Ce volet me manque.

TtonytaPetra ne seront pas mères. C'est plus raisonnable ainsi, pour moi. On ne peut pas tout avoir. La tranquillité d'un élevage improductif, et les joies de petits veaux nouveaux nés.  Les chiens soupirent sur le canapé. Ils l'ont investi d'entrée, quand il commence seulement à me devenir familier dans la pièce. 

La semaine prochaine, je suis en "vacaaaannnces". Je vais me faire quelques virées amicales. Un peu de charcuterie. Un peu de jardinage. Un peu de lecture, d'écriture.

Je vais savourer les jours sans horaire. M'y tenir tout de même, à la seule latitude d'une petite heure de battement dans les réveils du matin et les siestes. Pour moi, un large champ de liberté. L'aventure, presque.


Vendredi 24 février 2023 18h20


Le soleil entre à flots dans la pièce. Il pose ici et là un large pinceau d'or. Je me souviens bien combien, quand j'étais en bas, je regardais par la porte vitrée, avec envie, cette lumière qui enluminait mon arbre rupestre, en face, sur le mur du garage à la Clio. Là, j'en profite à plein.

Txief dort sur le canapé, recroquevillé, le museau dans les pattes repliées. Ce petit s'en voit avec ses problèmes urinaires. Il se libère en catastrophe, là où il le peut. Pour le moment, il arrive à sortir de l'appartement. Après, ma foi, l'urgence le saisit et ne lui laisse pas toujours le temps de pousser la deuxième trappe vers l'extérieur. Il se soulage, contre un pied de chaise ou le poteau de la rambarde-râtelier. La proximité de l'écuelle d'eau toute proche débloque une connexion neuronale quelque part dans son cerveau de petit chien vite perturbé. La transmission se fait jusqu'à la terminaison nerveuse commandant le sphincter vésical. Et là, perte des eaux, sur place et sur le moment. Jamais je n'ai autant lavé la pièce à côté. 

Pour le moment, mon petit chien trop nerveux vit encore des jours plaisants. Comme je ne le semonce plus pour ses fuites malheureusement incontrôlables, il a compris que je compatis à ses malheurs. Ca allège son tourment. Il prend tournure de petit vieux, ne vient que rarement en promenade avec moi. Lola reste aussi volontiers à la maison, ici dans son grand fauteuil, ou alors dans la cour, adossée à la porte métallique toute chaude de soleil. Seule Bullou m'accompagne. Je la sens plus calme d'être seule, même quand nous croisons d'autres chiens. Son frère devait lui propager des ondes de stress.

Aujourd'hui, une mienne nièce avec ses deux chiens est venue avec nous. Tout s'est bien passé, pas d'algarades, ni entre eux ni avec les autres de passage. Nous avons cheminé dans le paysage lavé de la bonne pluie d'hier, rutilant du grand soleil. Quelques conversations générales nous distraient ainsi parfois. Au retour, pendant le goûter, une sienne amie nous a menées sur le sujet du "véganisme", de l'écologie, et autres considérations du moment. 

Rien de très nouveau dans son discours, du bon sens, et des outrances. Pour moi, je confonds facilement les genres, animal, végétal, et, pour peu de plus, minéral. Je conçois la facilité à s'émouvoir en voyant une bête sauvagement brutalisée avant d'être égorgée, pendue, éventrée, écorchée, éviscérée. La violence de ces réalités là me heurte aussi. 

Par contre, je ne conçois pas qu'on puisse s'en tenir au présupposé de l'absence de "sensibilité" dans les autres genres vivants. D'où sait-on ce que ressent le règne végétal, quand l'homme intervient dans ses cycles ? Pourquoi un plant de pois-chiche surexploité dans la visée de rendements supérieurs, serait-il moins "émouvant" qu'une poule cloîtrée dans une cage de quelques centimètres carrés, condamnée à pondre jour et nuit ? Est-on sûr de l'inertie émotive d'un champ de féverolles enfouies sous terre en pleine floraison ? Comment sait-on ce que que hurle peut-être la carotte juvénile, démembrée, arrachée à sa terre-mère, écartelée jusqu'au déchirement de ses pauvres racines atrocement mutilées ? Que sait-on de tout cela que l'on ne comprend pas, de tout cela qui est loin de notre mode de fonctionnement, de tout cela dont les manifestations nous restent illisibles ?  N'y aurait-il de souffrance à prendre en compte que celle qui nous est audible ?

Que dire des pans de carrière éventrés pour l'extraction de la roche, d'un quelconque minerai ? Des montagnes fouaillées, minées par des galeries serpentines, effondrées à grands coups d'explosif ?

Nous nous plaçons au centre de l'univers, et jaugeons tout à l'aune de notre seule perception. Qui sait comment les choses évolueront ? Qui sait, si, dans des millénaires, nous ne serons pas rendus à l'état de substrat vivant pour des lianes végétales qui nous pousseront sous les aisselles, plantant leurs stolons dans les creux de nos plis corporels ? Nous colonisant, nous phagocytant, se nourrissant de nous, se déplaçant par nous, jusqu'à ce que nous tombions, épuisés, vidés de substance, vivants encore juste assez pour faire lever une ou autre graine dans nos chairs déjà grouillantes de putréfaction ? Ce règne végétal devenu supérieur nous clonerait à grande échelle, pour ne pas manquer de matière, comme nous pratiquons la bouture...

Suis-je tant dans la science fiction ? Les mycoses ne sont-elles pas déjà des manières de prémisses ? N'y aurait-il pas quelque part dans un laboratoire des essais susceptibles de déborder leurs périmètres ? Je suppute...

Je sais bien mon propos outré. Je sais me tirer une balle dans le pied par cette outrance. Là où on me suivrait en début, on me laisse avancer seule, sur une piste inexplorée, trop farfelue. Si loin n'est pourtant pas le temps où l'on pensait l'homme de couleur dénué de sensibilité. Trop près celui où on l'assimilait à une bête de somme, corvéable à merci. On découvre à peine la capacité des plantes à communiquer entre elles, à interagir avec leur environnement, de façon stratégique. Notre système de "pensée" de "conscience", n'est peut-être pas l'exclusivité du seul vivant animé, animal. D'autres formes peuvent exister. 

Je suis persuadée qu'elles existent. Persuadée que vivre, exister, c'est forcément lutter pour sa survie, au détriment d'autres espèces, genres, règnes, qui luttent aussi pour la leur. Les symbioses, les synergies, sont d'intérêt. Exister, c'est forcément asservir, avilir, dénaturer l'autour. 

Ne plus manger de viande ou de produits issus d'animaux, très bien. Mais alors, pourquoi manger des plantes ? Parce-qu'on ne peut pas vivre sans manger ? Et oui, parce-que pour que les uns vivent, d'autres doivent mourir.  

Nous avons évolué : nous ne nous mangeons que très exceptionnellement. Nous intégrons maintenant dans notre philosophie culturelle la réticence à manger de la bête. D'accord. Nous nous y prenons un peu tard pour nous inquiéter des équilibres naturels, du respect de notre environnement et de ses fonctionnements. Nous nous y prenons naïvement. Quand le cynisme est de seul droit.

La nature est cruelle. Elle est dure. Elle tolère ce qui ne la menace pas. Elle saura nous remettre à notre juste place. 

Mon Dieu, comme je m'égare. Comme j'erre, perdue et inutile. Il sera toujours temps de supprimer ce passage. Mais, je me connais, je ne le ferai sûrement pas. Ces errements sont moi. Et moi aussi, j'existe, même en marge de la compréhension commune...

Le soleil est tombé derrière le Jaïzkibel. L'oiseau dans la salle de bains s'est terni, jusqu'au prochain crépuscule de beau temps, où il s'enluminera du soleil couchant. Je vais fermer les volets sur la nuit, sur mes errances et mes erreurs.


Lundi 27 février 2023  18h40


La journée  a été froide. Samedi et hier, déjà, j'ai cherché les coins abrités, à la jardinerie. Je me suis utilement occupée, entre hautes palettes de mobiliers de jardin à pointer, et larges tablettes hier à installer sous le marché aux fleurs. Les premiers anthémis innocents et les plants de laitue frais craquants m'ont fait frissonner. J'espère que le voile que nous avons avec Louloutte étendu sur eux n'a pas été écarté par le vent.

J'entame ma semaine d'oisiveté. J'ai programmé une visite à Hélène, jeudi. J'irai voir sa plantation de myrtilles. J'avais vu son terrain quand elle venait de l'acheter. La contrée, échine longue entre les monts pyrénéens et la vallée chalossaise, ne manque pas de charme. Nous avons dernièrement, à l'occasion de notre recherche au tracteur perdu, sillonné ces parages. Par beau temps, le paysage est plaisant.

J'ai aussi commandé la viande pour confectionner quelques charcutailles, vendredi. "Les boyaux ont beaucoup augmenté" m'a prévenu le boucher. Dieu seul sait pourquoi. Le cochon ne se fragmente pas. Il s'élève avec son boyau à l'intérieur. Alors, pourquoi le seul boyau coûterait-il plus cher ? Parce-qu'on vient de se rendre compte qu'il était bien fastidieux à nettoyer ? Je ne sais pas. Je me contente de noter.

Pour aujourd'hui, je me suis consacrée à la décoration de ma salle de bains. Depuis mon installation ici, j'étais un peu chiffonnée par la configuration du lavabo. Certes, la couleur "grège", mi-gris, mi-beige, du meuble sous la vasque, s'harmonise parfaitement avec le carreau de sol et celui des murs. Depuis mon intervention peinture de l'automne, l'ensemble s'est réchauffé des tons bruns et verts du plafond et des accessoires. (Souvenons-nous de l'abattant des toilettes : vert-mousse). Pour autant, le lavabo, sobrement carré, d'une profondeur agréable, paraissait engoncé sous la tablette du miroir. Quand, pour me rincer la bouche,  par exemple, je me penchais sous le robinet, j'avais comme une impression insatisfaisante de plongée. 

Ca laissait un goût de difficulté, de malaise, de mouvement entravé. Comme si ce lavabo était trop bas, trop loin, trop quelque chose, ou alors, pas assez.

Dimanche matin m'est venue la pulsion de changer cette pièce sanitaire. La dépense induite a modéré mes ardeurs. En considérant l'ensemble, je me suis demandée si la seule tablette sous le miroir n'était pas la fautive. C'est une tablette tout à fait classique, d'une élégance grège, elle aussi. Pas de fioriture, un plan parfaitement lisse, de largeur académique. Je tenais là quelque chose, à mi chemin entre une opération brutale et drastique, et la non-intervention impensable à ce stade.

J'en ai parlé avec Olivier au téléphone, lors de notre échange pause-café du dimanche matin. Il a abondé ma thèse. L'ennui avec cet homme, c'est qu'il est trop partisan : quoi que je projette, il est pour. De deux choses l'une : soit il s'en fout,... ! ...ou alors, je n'ai que de bonnes idées. La vérité comme souvent étant sans doute à mi-chemin entre les deux propositions. Je suis injuste : il est arrivé qu'Olivier me dissuade. Mais je lui ai opposé tant d'arguments et de contre-arguments, pour défendre mon projet initial, que je peux comprendre qu'il préfère ne pas se retrouver pris dans un tel assaut, quitte à avaliser à l'emporte-pièce.

Dimanche matin, donc, hier, j'ai étudié de plus près ladite tablette. Plus exactement, sa fixation. Deux petites têtes de vis innocentes l'arrimaient sous le miroir. Des têtes classiquement cruciformes, faciles d'accès, très bonhommes. Sitôt dit sitôt fait, j'ai désolidarisé la tablette du miroir, sans aucune difficulté. Immédiatement, la lumière jusque là entravée par la planchette grège s'est déversée depuis la glace dans la faïence. Dans la milliseconde, la vasque est sortie de l'ombre, comme remontée de fonds marins. Mon reflet au mur s'est allongé des quelques centimètres libérés dans le bas. La tablette enlevée emporte avec elle son maléfice. 

Je n'ai pas beaucoup de pots d'onguents et de tubes de produits de beauté à disposer autour de mon lavabo. Ma salle de bains est monastique en ses accessoires : un verre pour la brosse à dent et le dentifrice, le flacon de savon liquide, et le pot de crème hydratante. Point. Tout ça tient très bien sur le rebord, de chaque côté du robinet. Décidemment, la tablette ne manquera à personne.

Cet afflux de lumière, s'il réhabilite le lavabo et le miroir, rameute un petit côté blafard. C'est lui que j'avais muselé par mes applications de couleur, cet automne. Je devais couper ce pan devenu trop blanc. Qu'à cela ne tienne : l'apposition d'une ou autre œuvre majeure, dans les tons végétaux du moment, palliera ce début de froideur. Ca a été l'affaire de mon lundi. Je n'ai pas tout à fait terminé. Je poursuivrai demain. 

J'aime ainsi ces petits ouvrages légers, faciles, au résultat immédiat. Je m'y amuse. L'effet n'est pas du tout professionnel, sûrement pas abouti, et très certainement assez déconcertant.

Ca fait belle lurette que j'ai admis cette "déconcertitude", "déconcertive" attitude.


Mardi 28 février 2023  17h50


La journée est décidemment froide. Sans vent, ce matin, ça allait. Là, une petite bise nordique pince méchamment la joue. Je suis sortie prendre un bol d'air bien vif, avec Bullou, et Lola. Txief s'est vite rapatrié à la maison sitôt le potager passé. C'est bien agréable de rentrer après ça dans un intérieur douillet. 

Je pense à mes collègues de la pépinière, engoncés sous les couches de vêtements. Pour ma part, je ne crains pas trop le froid, quand je travaille. Je peux monter me réchauffer dans notre salle de vie, où des radiateurs première génération avalent du kilowatt en quantité, pour me faire une tisane bouillante, quand j'en ai besoin. Je sais trouver le bon chaud à la rentrée, aussi, le soir. Je préfère ces conditions à une pleine journée de bureau, tout tiède soit-il. Les intérieurs en continu ne me réussissent pas. Tant pis pour la couperose et les gerçures.

J'ai peaufiné mon décor salle de bains. Créé des touches de couleur dans les tons exacts de la pièce. Pour un tel effet, il n'y a pas cinquante manières de faire : le seul faire soi-même garantit ce résultat impeccable. Il me restait du vert mousse. J'ai déniché dans une mallette quelques tubes de peinture. J'ai mélangé tout ça avec art. Ondoyé des feuilles ovales et sinueuses. Bordé de vieil or ces méandres végétaux. Un premier jet de toiles carrées paraissait surdimensionné. J'ai rattrapé le coup, en ajustant des cadres plus étroits. Les premiers trouveront leur place dans mon intérieur résolument typé vert.

Il me revient la visite d'une amie citadine d'Hélène. Je l'ai narrée par là, je crois, à l'époque. Elle me racontait qu'elle était tombée en arrêt devant un tableau, dans je ne sais quelle galerie huppée. Le truc lui avait vraiment plu. Elle s'apprêtait à l'acheter, quand elle s'était avisée que l'œuvre n'était pas unique. L'artiste l'avait dupliqué, en différents tons de couleurs, je crois. Ma Misses s'en trouva toute déconfite : elle voulait une création exclusive, qu'elle serait donc seule à posséder. Il fallait que la chose lui plaise, mais aussi qu'elle soit la seule à l'avoir. D'autres pouvaient la contempler, mais chez elle, pas ailleurs. 

Cet instinct de possession primaire adjoint à un plaisir sensuel éthéré m'avait paru incongru. Puisqu'elle jouirait du tableau, que lui importait que d'autres en jouissent aussi, pour leur propre compte ? Le partage du plaisir le gâchait, donc. C'était le fait qu'elle soit la seule à posséder l'ouvrage qui l'attisait. Je n'avais pas creusé plus loin. Je sentais bien combien mon inculture en la matière navrait la madame : on ne pouvait pas discuter de ce que je ne connaissais pas.

Je ne connais rien à l'art pictural, en effet. Je ne fais pas la différence entre l'œuvre originelle, et une copie, même mauvaise. Je ne comprends d'ailleurs pas en quoi une copie ne pourrait pas être "meilleure" que son modèle. Pour ce que j'en ai vus, les thèmes classiques ne sont pas très innovants : un paysage, une scène, un portrait. Ce n'est donc pas le sujet qui fait la qualité de l'œuvre. La technique, peut-être, le regard, sûrement ? Comme en littérature, l'important n'est souvent pas "ce" que l'on écrit, mais bien plutôt "comment", on l'écrit.

Pour les tableaux, je me contente de regarder, et de laisser ce que je vois résonner en moi. Si ce que je regarde me plaît, si ça m'évoque quelque chose d'agréable, si mon imaginaire s'en nourrit pour me happer vers des contrées plaisantes, alors, j'aime. Si ce que je contemple, avec la meilleure volonté du monde, n'éveille rien en moi, je n'aime pas. Je suis vierge de toute pollution d'un enseignement inexistant. Totalement inculte, terre en friche où n'importe quoi peut lever, comme la graine la plus précieuse pourrir. Je n'ai pas spécialement envie de savoir, de connaître le créateur, son œuvre, son histoire. Je comprends bien combien cette connaissance orienterait ma perception, ma compréhension. Mais je persiste à vouloir "voir", en ignare, et laisser la sensation brute prendre toute la place.

La science de l'art est comme celle de la dégustation culinaire. On explore sûrement très différemment ce qui se présente à vous, quand on y détecte la maîtrise. Moi, je ne détecte rien du tout. Je ressens. Et ça me va comme ça. Les tableaux que j'ai l'occasion de voir ne sont sûrement pas de grande qualité. Peu m'importe, puisque cette qualité, je ne saurais pas la différencier d'une croûte. Ainsi, pendant longtemps, j'ai trouvé beaucoup d'agrément dans la contemplation d'une peinture naïve, qui aurait fait tordre de dégoût et de mépris le nez de ma Misses. C'était un peuplier près d'une maison basse, dans un paysage de campagne. Le cadre de belles dimensions voisinait avec une pile de meubles en tous genres, que ma mère récupérait à tours de bras. Je ne sais pas ce qu'il est devenu. Je l'ai longtemps regretté. J'ai eu beaucoup de plaisir à le contempler. J'y entrais comme dans une chambre ensoleillée.

J'ai toujours eu du goût pour des choses que la plupart mésestiment. Je trouve ce penchant plutôt opportun : je n'aurai que peu d'occasion de regarder des œuvres magistrales, et, si mon plaisir tenait à cette "majesté", je n'aurais pas souvent l'heur d'une contemplation agréable.

Finalement mon inculture me prive, peut-être. Mais elle me rend quand-même bien service.


Mercredi 1er mars 2023  18h26


Je me suis attardée au goûter avec une mienne nièce. C'était bien divertissant.

Avant, j'ai arpenté ma campagne, poussant sur un flanc haut où j'ai conversé avec June. J'étais toute contente qu'elle m'ait reconnue. A moins qu'elle ne bavarde ainsi avec le premier passant venu longer sa clôture.

Lola suit toujours. Nous avons marché une paire d'heures, nous attardant dans les coins abrités, chauds d'un soleil encore blanc. Les talus se piquètent là de violettes, et les premières lances des bulbilles printanières dardent leur vitalité. Nous avons fait une longue pause dans le bois de l'anglais espagnol. Là, les trois dômes en couronne dominent le paysage bleu et gris d'une journée d'hiver froide. Les arbres renversés, enchevêtrés, se couvrent des lianes de chèvrefeuilles. Entre leurs branches pâles, le décor s'encadre par fragments, comme plusieurs tableaux enchâssés en désordre.

J'aime toujours autant ces endroits. J'y trouve toujours l'apaisement, quand, comme aujourd'hui, rien ne me requiert. 

Ces jours de vacances sont de total repos. Je m'attarde volontiers au lit, le matin, quand je sens les chiens revenir tout froids du dehors, après leur virée du petit jour. Quand je faisais la tournée du lait, en hiver, avec ma mère, petite fille, je regardais avec envie ces gens qui ouvraient leurs volets, au jour juste levé, en pyjama, quand moi j'étais sur le quai depuis une bonne paire d'heures. Je me promettais le plaisir d'être à leur place, un jour ! J'y suis. Et je salue souvent la petite fille d'alors, et ses aspirations maintenant comblées.

J'admire mes images aux dorures animées. C'est sûrement du plus parfait mauvais goût. Mais, je le disais hier, pour moi, le goût, bon ou mauvais, c'est ce que je ressens en poids de plaisir. Si encore il y avait une constante dans ces histoires : mais non ! Ce qui aujourd'hui est à la pointe du beau sera demain affreux. Sur les seules associations de couleurs, on rapproche maintenant par exemple le rose et le rouge, quand, jusqu'à il y a peu, c'était paraît-il une horreur. Même chose pour le vert et le bleu. Dans ces fluctuations, bien malin qui peut dire où est le bon goût. La mode, oui, ses tendances fugaces dépassées le temps d'une saison, ça, je vois à peu près. On l'aura compris, je ne m'y intéresse pas du tout. Pour mon habillement, mon ameublement, je reste constante, plus attachée à la commodité qu'à toute autre chose. Pour mon décor, je m'y amuse. Je donne libre cours à ma fantaisie. Ne recherche d'autre approbation que la mienne.

Demain, je vais voir Hélène, dans le Pays Basque intérieur. Une journée de grand air, de bavardages légers, fera dans ma semaine une halte parfaite. Vendredi, charcuterie. Je dois remplir les réserves. Mon fond paysan s'affole vite des placards vides.

Le froid fige la végétation. Le potager sommeille. La prairie ne verdit pas. TtonytaPetra sont au foin. La sécheresse inquiète. Toujours, le spectre du manque plane sur les gens de la terre. Ce printemps, je vais tâcher de renflouer ma grange à foin en suffisance. Les génisses ont passé leur pic de croissance. Elles vont maintenant grandir en vitesse de croisière. Une petite cinquantaine de balles de foin devrait suffire. Si la pluie veut bien tomber, ça ira.


Samedi 4 mars 2023 18h48


Le soleil vient de se coucher dans un léger halo rose de brume. Il fait toujours froid, même si la température tiédit bien dans les coins abrités du vent. J'ai fait une courte séance lecture dans la cour. Il y fallait tout.

Je termine ma semaine de vacances. Tout est en ordre, la maison proprette, le congélateur rempli, les administratifs bouclés, et la patronne visité en ses coins et recoins.

Je peux reprendre mon rythme travaillé en paix.

Jeudi, comme prévu, j'ai passé la journée avec Hélène. Le temps nous a filé comme une flamme. Je suis rentrée à la nuit.








Les hauts d'Itxassou, avec leurs monts enneigés, étaient magnifiques, sous le ciel gris. Peu de couleurs en cette saison, hormis la mousse sur les troncs et les talus empierrés.

Saisies par le froid, nous sommes redescendues, et avons fait halte près d'une cascade encore bien nourrie d'eau vive. Sur le bord de la route, un très vieil arbre s'accroche des ses racines noueuses, tentaculaires, à un rocher. Pierre, bois et mousses mêlés s'enchevêtrent en une figure presque animée, magique, entre monstre et fée des contes.

Nous avons marché le long des flancs abrités, sur des sentiers à Pottoks. Les petits chevaux bicolores nous ont regardées passer. Le poulain s'est à peine intéressé. A un moment, Hélène s'est avisée que nous longions un précipice très escarpé, quand j'ai fait rouler des pierres en trébuchant. Nous étions à mi chemin, et ne pouvions que continuer, ou rebrousser. Pas de bifurcation possible. Confiantes, nous avons poursuivi notre promenade, entre les versants ronds des fougeraies grises. 

Nous avons beaucoup ri, beaucoup parlé, partagé cette complicité précieuse. Je suis rentrée au soir de cette belle journée comme on revient de voyage, apaisée.

Pour hier, la journée aurait été toute aussi réussie, si ce maudit hache-viande ne m'avait pas lâchée. Une quelconque bague en plastique, complètement ignorée jusque là, enfournée dans le cône en fonte d'aluminium du corps de la machine, m'a pourri le travail. A un énième démontage et nettoyage pour remontage, elle s'est laissée choir sur la table, coupable surprise en plein délit. La vis sans fin, orpheline de ce maintien invisible, n'entraînait plus la viande, l'agglomérait en une masse filandreuse bien peu ragoûtante. Le matériel déclarait forfait. Mince !

J'ai rameuté en suppléant la machine de Nikolas. Il s'est avéré que celle-ci avait pris l'eau à l'occasion d'une malencontreuse fuite dans son garage. Le moteur électrique ne voulait rien savoir, faisant disjoncter le compteur à la moindre tentative de mise en marche. Embrouille sur os. Finalement, mon moteur couplé à son corps de travail, j'ai pu hacher et enfiler mes saucisses. Entre essais, contre-essais, diagnostics d'experts et rafistolages, ça m'a pris la journée, quand ç'aurait du être l'affaire de deux heures. Ca a fait un petit accroc à ma semaine idyllique de repos. Mais bon, juste de quoi mieux faire apprécier le reste, autour.

Bien. Je vais me faire un "samedi soir popopopom, qu'on atteeend, plein d'espoir", en juif. J'ai envoyé un message à mon pilier délicat. Je l'avais laissée sans réponse depuis plusieurs semaines. Cette incivilité me crissait dans la tête, comme un grain de sable dans un rouage.


Dimanche 5 mars 2023  10h 






TtonytaPetra grapillent quelques "quimes" d'herbettes maigres. La prairie ne bouge pas. Quelques pluies annoncées dans la semaine devraient la reverdir.
Les génisses restent dans le périmètre du tas de fumier, à la sortie du matin. Là autour, le travail de décomposition fait monter la température de quelques degrés. Mon œuvre prend de la hauteur, jour après jour, brouette après brouette. Pour cet été, je pense avoir érigé un tas harmonieux. TtonytaPetra descendront ensuite dans le pré, saluer les voisines, cantonnées en bas pour laisser pousser le pré avant la sortie du restant du troupeau.


18h20










La journée a été magnifique. A peine une laitance diffuse embrumait-elle le paysage  d'hiver.

TtonytaPetra ne se font pas prier pour rentrer à l'étable. Elles savent y trouver la luzerne craquante et le bon foin. Elles grandissent gentiment, sans à coups. Les flancs s'arrondissent, s'allongent. Elles forment une jolie paire, bien assortie.




L'encornement de Ttony ne se dédie pas. Il s'arque en courbe parfaite, bien symétrique des deux côtés de sa bonne grosse tête de curieuse. Ses tours d'yeux, son museau, son ventre et ses pattes, blancs, soulignent sa blondeur tirant sur le roux, si on veut à tout prix la démarquer des "blondes classiques". Elle est bien plantée, plus cambrée que Petra avec un poitrail et des hanches mieux évasés.

Petra a des reflets roux, plus résolument, elle. Son ascendance limousine transparaît dans ses touffes fauves éclairées par le soleil. Ses oreilles poilues, et la touffe centrale éparpillée en soleil sur son échine, chatoient particulièrement. Son ventre est joliment tacheté, comme j'aurais tant voulu qu'elles le soient entièrement toutes les deux. Vue de dessous, elle est magnifique ! 

Sa posture par contre est bien moins gracieuse que celle de Ttony. Elle est entre oblongue et ovale, avec un dos plat et une fuite dans la chute de reins. Sa démarche s'en ressent : elle avance en écartant les pattes, se dandine, comme si elle assurait mal ses appuis. Ses cornes si mal parties se sont redressées. Elles tendent vers une horizontale plus académique, avec même un semblant d'arrondi qui rattraperait bien le tout, s'il se confirme.

TtonytaPetra ont 22 mois. Chaque jour me les rend plus attachantes. Nous avons maintenant nos rites : le moment de l'étrillage, particulièrement, nous baigne comme en communion. Elles adorent le passage de la râpe sur leurs joues larges et plates. J'allège l'appui, veille à ne pas toucher l'œil. Elles allongent alors la tête, s'arrêtent de croquer leur foin, l'instant de la caresse. Je psalmodie des mots doux à leur oreille. Elles ferment un peu les yeux. C'est un moment presque intime, entre mes bêtes et moi.

La suite du brossage leur plaît aussi, évidemment. Elles tendent la croupe, creusent l'échine. Je dessine sur leur pelage des centaines de stries parfaitement parallèles. La robe de Ttony, surtout, avec ses poils plus longs, ressemble à un tapis moelleux bien peigné. Pour Petra, ce sont des moirés d'un lissé aux lueurs changeantes.

Elles finissent de manger quand je finis de les toiletter. Elles se couchent ensuite, exhalant un gros soupir d'aise. Une méditation rapide, et c'est le moment de la rumination. Pour moi, celui de la contemplation du bien-être de mes bêtes, celui-là si bon nourricier du mien.


Lundi 13 mars 2023  18h30


La pluie a fini par tomber, samedi, toute la journée et une partie de la nuit. Une pluie douce, pénétrante, idéale. J'avais en prévision planté mes patates et semé les carottes, poireaux et laitues. Histoire de booster tout ça, j'avais aussi épandu le bon vieil engrais bleu, 100% chimique. Je m'arrange ainsi des méthodes traditionnelles et modernes, prenant partout ce que j'y trouve de bien. Le résultat ne s'est pas fait attendre : les fèves ont doublé en trois jours, et l'ail et l'échalotte ont foncé de quatre tons de vert. J'en ai profité pour refaire un épandage de paillis de bois. Les plants de fraisiers, libérés de l'amas de quelques bourdaines affaissées, revivent au soleil. Quelques fleurs s'ouvrent déjà. Je vais finalement être juste, en place. L'automne prochain, en principe, si nos administratifs suivent leurs cours, je ferai labourer le carré restant. Ce potager nouveau, avec son paillage anti-herbes, est un petit bonheur facile. De ceux que je goûte avec gratitude.

J'ai ouvert la saison débroussaillage cette après-midi. Il faisait chaud, avec un vent du sud parfois assez brutal pour me déséquilibrer. J'ai bien amélioré ma technique, principalement en prenant les bonnes mesures pour assurer un meilleur confort. J'ai maintenant une combinaison à ma taille. Elle me dispense de chausser les bottes hautes, et lourdes, d'étable, sous peine de marcher sur les jambes trop longues. Je renonce à porter mes lunettes, derrière la visière. Le casque anti-bruit couplé au cerclage de la protection grillagée enserrait douloureusement leurs branches autour de mes oreilles. Ainsi, je travaille bien plus légèrement, plus facilement. J'ai nettoyé toute la partie haute, autour du potager et sous le poirier, derrière le hangar. C'est un tout autre coup d'œil ! Je m'occuperai ensuite des clôtures autour du champ. Je me tâte à employer a bonne vieille chimie, encore une fois. Je verrai sur le moment.

La pluie est revenue. Elle estompe le paysage derrière les arbres. Quand tout à l'heure, pendant ma sortie avec les chiennes (Txief reste décidemment casanier), j'étais émue de voir les tapis de délicates fritillaires et les coulées de violettes dans la fougeraie coupée, on retombe là en hiver. Dix degrés perdus en trois heures. Ca donne l'impression de voyager.

J'ai remarqué sur le sentier où des arbres avaient été sauvagement déchirés, des fleurs de merisier, sur les branches démembrées. Un pont ténu de sève les alimente, se frayant un chemin le long du tronc  atrocement écartelé. Quelques fruits viendront peut-être, et d'eux renaîtra un arbrisseau. Avec un peu de chance, il survivra de plusieurs décennies à la stupidité de celui qui a écorché sa souche originelle.

Je vais bientôt refaire le tour de mes châtaigniers. Ouvrir les tubes, et voir comment les plants redémarrent. La pluie leur est précieuse. Ils ont déjà raciné en profondeur, sans doute, pour les premiers. Mon bosquet balbutie encore. TtonytaPetra restent leur plus grand danger. A chacun de mes retours d'"en ville" ou de la jardinerie, à chacun de mes passages en vue de la prairie, je répertorie mes tuteurs, et les troncs gainés des tubes pâles. Les génisses tournent pour le moment autour, sans les bousculer. S'il leur en prend l'envie, en manière de jeu, malheur à mes châtaigniers ! Et tant pis pour elles, que je cantonnerais alors plus haut.

Allez, à l'heure où j'écris ces lignes, tout va bien. Le ciel s'ocre en souffre au dessus du Jaïzkibel. Je viens d'entendre gronder le tonnerre. Bullou lève la tête et dresse les oreilles. De la bonne eau coule dans la gouttière. Tout va pour le mieux, dans le meilleur des mondes.


Mercredi 15 mars 2023  18h44


Une journée parfaite de début de printemps : du bon chaud au soleil dans les caches abritées, et un air vif ailleurs. Les dernières pluies ont ressourcé la végétation.

J'ai travaillé autour du potager. En manière de remblai le long de la murette derrière les garages, j'ai éparpillé une bonne couche de sciure. La matière première ne manque pas, elle se travaille sans peine. Je pense tenter une petite expérience, autour de ce grand tas prometteur. Je vais faire épandre les restes de mon tas de fumier de l'année dernière sur l'herbe que je viens de couper ras. Par là dessus, je poursuivrai mon paillage au bois haché. Un bon griffage mélangera tout ça. Je compte sur la décomposition fumante de ces deux éléments conjugués, pour ameublir la semelle dessous, et rendre ainsi la terre parfaitement arable. Je ne suis pas du tout sûre du coup. En vue de vérification, je sèmerai en mai des graines de melon et de citrouille dans ce substrat léger, mais plutôt mince, je le crains. Je n'ai de toute manière pas suffisamment de place dans mon potager en service pour le faire. Tout ce que je risque, c'est de réussir.

L'après-midi de jardinage aurait été parfaite, s'il n'y avait eu dans les parages un chantier de débardage de ces pauvres arbres déchiquetés sujets de mes lamentations récentes. Les tronçonneuses vrombissaient leurs hurlements stridents. En accompagnement, une mienne nièce, pour couvrir ce tapage, sans doute, a instauré une ambiance dancing depuis sa terrasse. Les deux bruits ne s'annulaient pas, ils aggravaient même par leur simultanéité l'addition des tourments de chacun. La mienne nièce a compris mon désagrément, le silence est revenu de ce côté. Pour le chantier, il a fallu attendre la quittée. Le soir apaisé m'a rendu ma campagne.

Le goûter fraternel a lui aussi été bruyant, d'une discussion passionnée autour de notre administratif au long cours.

Beaucoup d'agressions pour mes pauvres oreilles. Une petite pointe de nervosité, aussi, comme il en survient sans cause, parfois, dans nos tempéraments labiles.

Finalement, je retrouve ici la paix, le silence. TtonytaPetra ont beaucoup participé à la redescente dans des eaux tranquilles de mon humeur. Je les habitue à l'encordement, en prévision de la prophylaxie annoncée. D'un arche "senpertar",  on m'a refilée à une joyeuseté d'Espelette. Je ne suis évidemment pas une éleveuse bien intéressante, avec mes deux seules génisses exilées sur la côte. Le contrôle sanitaire de notre cheptel bovin le demande, alors, il n'y a pas à barguigner. 

A l'occasion du salon de l'agriculture, plusieurs documentaires sur le monde agricole, particulièrement sur les élevages bovins, ont été diffusés. J'ai regardé la gorge serrée un éleveur dont le troupeau, avec un cas de tuberculose, a du être abattu. Ca m'a ramenée en 1997. A cette même scène de chargement des bêtes, les nôtres, cette fois, bien difficile. Plus près dans le temps, mon étable vide pour les quelques mois des travaux me serrait le cœur. La perspective de l'arrivée des futures TtonytaPetra levait cette ombre, heureusement.

L'éleveur sait qu'il destine ses vaches à la boucherie. Tout de même, les mères restent plusieurs années, une bonne décennie. Et l'attachement se renforce, pendant tout ce temps. L'homme à qui le journaliste demande comment il se sent, répond : "vide, comme mon étable". Il soupire, pour ne pas pleurer. Et c'est vrai que cette impression de vacuité ouvre une sacré faille dans un parcours de paysan.

Le reportage termine à peine mieux, avec l'arrivée de nouvelles bêtes après les trois mois réglementaires de quarantaine. Pourtant, l'homme ne retrouve pas la relation aux "siennes". Il y faudra des années, avec, à chaque prophylaxie, l'impression d'une épée de Damoclès sur sa tête, et celle de son troupeau. 

A ma toute petite échelle, je connais cette appréhension. Je serai mieux, quand je recevrai mon quitus pour l'année.

Tout ça n'engendre pas la sérénité dans le monde paysan.

Voilà, comme ça au moins, tout à l'heure j'étais agacée, et maintenant, je suis inquiète, et triste. Non, vraiment, aujourd'hui, j'ai bien fait de prendre l'énergie solaire !


Vendredi 17 mars 2023  18h35


Une journée très agréablement chaude, aujourd'hui encore. Je continue mon chantier de paillage. J'aurais terminé à la troisième étape, dimanche, si le temps ne vire pas trop à la pluie. Ce serait d'ailleurs bien bénéfique !

Hier, à la jardinerie, nous recevions coup sur coup des camions entiers de plantes. Nous avons œuvré avec Antoine. Jean-Michel est venu en pointes accélérer la mise en place. Pour le soir, mon jeune collègue s'apprêtait à laisser la dernière cargaison "pour demain". J'étais dans une journée de grande forme. Me voyant prête à en découdre avec le dernier lot de palettes chargées d'arbustes, il m'a quand-même prêté main forte, et nous avons pu boucler, à la va-vite, notre ouvrage. 

J'aime ces journées bien remplies. La tâche n'est pas trop ardue : je veille à distribuer le travail pénible à la ronde.

J'ai plus ou moins gardé en tête mon rendez-vous annuel de printemps. Le rituel est maintenant installé : chaque année à la même époque, je me fais une rétrospective ponctuelle. Là aussi, j'aime revisiter un cheminement au fil rouge constant : la recherche de ce qui se rapproche le plus pour moi de "la paix". Je le disais en fin d'année, je la cherche moins, parce-que je crois bien que je l'ai trouvée. 

Plus exactement, j'ai conquis un état psychologique propice à l'accueillir au mieux, quand elle se présente. Et un état d'esprit affûté à repérer les moindres opportunités de la rameuter vers moi. J'ai encore l'espoir de m'améliorer. De compenser la perte de compétitivité de l'âge, par une tournure de pensée plus efficace, et une attitude plus disponible à l'approche de la sérénité. Je me fais encore prendre dans quelques pièges. Je me laisse détourner de mon objectif. La marge de progrès existe, et la fenêtre de tir s'élargit. 

Maintenant, retour en arrière, pour mieux repartir de l'avant.



Mercredi 23 mars 2022



J'écris dans cette pièce avec vue sur l'étable, avec mon miroir-mirador, et la cour-jardin, juste devant. C'est très agréable.

Nous arrivons à cette date prise en visée l'année dernière, avec mes frères, au moment où les flux migratoires débutaient dans la ferme.
Nous nous sentions un tantinet ballotés, et avions besoin de nous projeter dans un avenir plus posé.

 Début avril 2021, j'écrivais :

"Nous avons pris date avec Antton et Beñat pour le 24 mars 2022. 

A ce jour là, si Dieu, ou ce qui nous tient lieu de Providence, nous prêtent vie, toutes les perturbations inhérentes à notre nouvelle organisation seront aplanies.

Nous devrions avoir retrouvé stabilité et harmonie. Celles-ci ou d'autres hirondelles nicheront dans la nouvelle étable. De nouvelles génisses, ou alors, deux vieilles vaches éthiques, paîtront, paisibles, dans le soir calme. 

Je les hélerai depuis la rampe : "Anttony ! Petra ! Zatozte onea !". Elles s'avanceront... ou j'irai les chercher, pestant contre leur indiscipline.

Lola restera sur le ciment, dans une tâche du soleil chaud. Txief et Bullou s'avanceront dans l'herbe, furetant pour dénicher les mulots.

Mes châtaignes auront moins de mal à feuiller. Leurs racines seront plus profondes.

Remontée du champ, je refermerai la grande porte métallique, panserai mes bêtes.

Je monterai ensuite à l'étage, pour faire le tour de mes bacs à fleurs autour de la cour tiédie au grand soleil de tout le jour.

Je saluerai pour la nuit mes familiers et m'apprêterai à appeler Olivier. Si Dieu, ou ce qui nous tient lieu de Providence,  nous prêtent vie, à tous.

Je rentrerai, m'installerai à cette même grande table ronde. Et je raconterai ma journée d'alors.

Si je me souviens de celle d'aujourd'hui. Ou alors, si je puise ce jour là dans la mémoire de ce "bloc", et y retrouve par hasard cet instant de maintenant.

Notre mémoire humaine est faillible et indulgente. Elle s'arrange du temps passé et redessine l'histoire pour nous la rendre plus jolie. Mon "bloc" remet les pendules à l'heure.

C'est pourtant dans cette brume entre l'oubli et le pardon qu'est notre salut.

Oubli de nos manquements et pardon pour nos fautes.

Je me plais à cette romance en une fiction avenante.

Je me plais à ces retours où ma bienveillance m'exempte.

Si cet avenir là m'est laissé, je tâcherai d'y graver la course légère d'un temps aussi filant que le vol de mes hirondelles égarées.

Et, s'il ne l'est pas, au moins aurais-je eu la douce illusion de l'avoir à portée."


Comme je suis romanesque ! Je ne me dédie pas. Si je ne peux pas déverser ici mes coulées sirupeuses, où le ferai-je ?

Je retrouve à la lecture exactement mon état d'esprit d'alors. J'étais un peu bousculée, pas trop sereine, à l'idée de ce petit bouleversement dans ma vie. 

Mon père allait mourir, l'année précédente, en 2020. Je repensais en avril 2021 beaucoup à cette période, et relisais souvent mes mots d'alors. Je soufflais d'être libérée de cette veille épuisante. Je me sentais reconnaissante au sort ami qui m'avait prêté main forte, incroyablement, avec ce Covid qui me laissait à la ferme, pour pouvoir tenir mes serments passés dans les meilleures conditions.

Pour l'année à venir, je me souhaitais de conquérir enfin cette congruence recherchée depuis les tout débuts de ce "bloc". Depuis toujours, en réalité.

Installée dans une situation bien établie, retombée sur mes pieds plus ou moins comme je l'avais toujours envisagé, je serais enfin quiète, enfin en paix, avec le monde et moi-même. Ce serait la plénitude.

Aujourd'hui, mes prévisions d'alors se sont parfaitement réalisées. Tous mes vœux sont exhaussés. Je devrais être béate, chaque jour et à tout instant. D'après ce que j'en pensais à une époque où cette béatitude me faisait signe de loin, pour plus tard, en des augures enfin quiètes. 

Dans ce passé lointain, puis, plus proche, seules les circonstances de la vie, les atermoiements, les obstacles inévitables à surmonter, faisaient écran, et m'empêchaient d'atteindre enfin mon Graal. Tout ça s'écarterait, je, l'écarterais, et j'y serais. C'était ma perspective d'un avenir chantant.

En effet, j'ai réussi à surmonter les embûches. Je suis là où je voulais être, et comme je le voulais. Je me sens globalement bien, parfois, même, en pointes fugaces, trop fugaces à mon goût, très bien.

Pour autant, je n'ai pas atteint la plénitude, comme je me la représentais. J'imaginais un état constant de contentement. De bonheur me paraît emphatique. J'imaginais un horizon clair sous un ciel léger.

Et puis non, toujours pas !

Ma pote bipole veille au grain. Ca n'est pas pour rien que Gérard Garrouste a intitulé son livre "l'intranquille". Pour les gens comme moi, la recherche de la tranquillité est un leurre. Nous y avons droit, sporadiquement, mais elle ne nous est pas compagne de route.

Une faille en frisson, tapie au creux du plexus, ouvre au petit matin en moi une béance, un vide, implacable, qui m'aspirerait vite. J'ouvre les yeux, la lumière filtre jusqu'à moi, les chiens, percevant mon mouvement, touchent mes mains de leurs museaux tièdes. La faille se referme.

Cette faille en frisson ressemble à celle qui froisse les chairs, flétrit le galbe, creuse sur la peau les ornières profondes. Celle-ci au moins s'annonce, et se voit venir, jour après jour, même si elle surprend encore, sournoise, désagréable, au détour d'un miroir intransigeant ou d'un regard qui glisse sans s'attarder.

Celle-ci me déplaît, évidemment. Elle ne m'inquiète pas.

L'autre m'empêche de goûter pleinement le plaisir simple d'un quotidien pourtant si attendu.

Je navigue entre excitations passagères, petites envolées follettes vite fatiguées, un fond de tension jamais tout à fait assagi, et une mélancolie dolente. Je ne me rappelle plus trop de mes exaltations passées. Le mieux à faire, c'est d'ailleurs de les oublier, pour ne plus les regretter. J'ai du mal à imaginer mes désespoirs d'il y a quelques années. Là aussi, le mieux est de les laisser dans leurs gouffres profonds. 

Ainsi va ma vie ordinaire.

La plénitude ne se conquiert jamais, ai-je entendu il y a peu dans une de ces émissions de radio philosophiques. Le propre de l'humain serait sa recherche, justement. Toujours, l'homme désirerait quelque chose qu'il n'a pas, ou regretterait ce qu'il n'a plus : la puissance, l'amour, la gloire, la jeunesse perdue, les promesses manquées.

Même les plus grands sages, les ascètes libérés de toute contingence matérielle, les purs esprits, aspireraient à s'améliorer, tendraient à devenir meilleurs encore, plus libres, plus détachés et sereins. Parce-qu'ils ne se sentiraient pas l'être tout à fait.

Le jour où l'homme réussirait sa réunification complète, le jour où il atteindrait la complétude, ne viendrait jamais. Vivant, il cheminerait, en mouvement vers un but toujours hors de sa portée. Seule, la mort marquerait la fin de sa course, en son arrivée. En figeant la recherche dans une immobilité implacable.

Je trouvais cette vision bien décourageante, moi qui pensais au contraire ma recherche sur le point d'aboutir ! Pour autant, j'ai grande foi en ces gens qui ont beaucoup étudié la nature humaine. Et ces mots ont résonné en moi en un écho de défaite annoncée.

J'expérimente maintenant cette théorie.

Mes moments de vif contentement me portent encore haut. Mais ils ne durent pas. Pas assez, évidemment. Une morosité diffuse vient trop souvent atténuer ces pointes si plaisantes. Entre les deux, une indifférence terne louvoie, bonne fille, pas très pétillante, mais, ma foi, assez reposante.

Cette neutralité d'un tempérament jusque là bouillonnant m'est étrangère, et fade. La molécule fait sûrement son travail. Elle me ramène dans des contrées moins accidentées. Si elle m'interdit ces envolées grisantes, regrettées, elle atténue aussi la profondeur des gouffres noirs où je me suis parfois enterrée vivante. 

L'âge aussi sans doute fatigue mes ardeurs, et les lisse dans un créneau plus étroit. Pour qui a vécu si intensément, les jours ordinaires semblent gris.

Quand j'en discute avec mes amis, ils paraissent perplexes, et ne me comprennent pas. Ils n'ont jamais connu mieux. Pour la plupart, et heureusement, pas pire non plus. Leur satisfaction loge parfaitement dans cet entre-deux confortable, à défaut d'être palpitant.

Je me souviens encore trop bien de ces moments perdus. J'en regrette les couleurs vives, presque aveuglantes. Pour contrebalancer ces regrets, je me souviens aussi  des ces affres horribles, injustifiables et inexplicables.

Ma recherche raisonnable sera donc celle d'une gratitude sincère pour avoir trouvé un équilibre. Je vais tâcher d'oublier la griserie des acrobaties périlleuses, renoncer à atteindre jamais une paix constante et durable, et m'en tenir au plancher de mes vaches. Dans ma tournure de femme vieillissante, c'est plus prudent.

C'est là d'ailleurs, dans le souffle chaud de mes bêtes paisibles, dans les odeurs puissantes de l'étable empoussiérée, que le sentiment le plus proche de la sérénité me visite. 

Là, et aussi dans les sous-bois silencieux, au bord des rivières calmes ou des lacs tranquilles. 

Assise sur une souche ou sur une pierre plate encore chaude de soleil, les chiens autour de moi.

Ici, dans ma cour-jardin, à ma table ronde, dans le soir tiède du jour finissant.

Dans la lecture d'un livre captivant.

Dans ces moments d'écriture où je laisse aller mes vagabondages.

Au soir d'une bonne journée de travail, à la jardinerie, quand le soleil bas se couche sous la galerie. Ou, à l'hiver, quand le halo du projecteur me veille, travaillant seule à mes plantes.

Dans tant d'autres circonstances encore, qu'il me paraît finalement bien indécent de bêler après mieux.

 Mes acouphènes s'estompent dans ces moments au point que je croie possible de ne plus les entendre, un jour. Je suis au plus près de la plénitude.

Si j'y pense alors, je reprendrai dans un an ce texte, en un rendez-vous sur le futur, en pariant sur la chance de m'en trouver aussi bien que de mon présent.

Le monde bousculé me hurle au visage l'indignité d'une inconséquence stupide.

Dans un an peut-être, aura-t-il retrouvé un peu de paix. 

Je n'y crois pas. Il y a toujours eu des guerres. Celle-ci est seulement plus près de nous. Le bruit des bombes nous inquiète. Les performances de la technologie de guerre nous visent en potentielles victimes directes.

C'est sans doute la nature profonde des hommes de n'être jamais en paix. La philosophe de la radio disait vrai.

Je ne suis pas seule dans mes tourments. Je suis seulement étrécie dans leur étroitesse.

Pendant deux ans, nous avons eu le Covid. Maintenant, nous avons la guerre. Notre civilisation serait-elle sur le déclin ? La conquête de la technologie nous asservit. Nous maîtrisons mal ce qui était prévu pour nous servir. Les recherches bactériologiques s'échappent des laboratoires. La technologie poussée dépasse le plus grand nombre, et le rend dépendant de spécialistes pointus, mais rares.

J'ai l'impression que notre pouvoir d'adaptation s'essouffle. Que nous ne reprendrons pas la main. Que notre destin court plus vite que nous, et vers sa perte.

C'est sans doute un effet de l'âge. Toujours, j'ai entendu les mâtures se désoler d'une jeunesse d'après eux incapable. Et, toujours, j'ai entendu les jeunes croire en leur avenir. Même si j'ai l'impression de les entendre moins enthousiastes, maintenant...

Décidemment, mes pensées tournent grises...

Je vais immédiatement fermer ce portable, et m'en aller vers mes châtaigniers. Je vais desserrer les liens des protections. Ils commencent à feuiller, et le tube trop étroit les contraint.

Un peu d'air leur fera du bien, comme à moi !


Retour 2023

La période pré-printanière me bouscule donc avec constance. La molécule est là, et son effet me maintient dans une marge confortable.

Le monde, lui, gronde. La guerre est toujours d'actualité. 

L'économie trébuche. Les faillites bancaires américaines ne gagneront pas l'Europe... jusqu'au lendemain ! La Suisse que je pensais sûre comme un coffre-fort blindé serait paraît-il fragile dans son système bancaire. Tiens donc ! Comme je n'ai pas de comptes secrets là-bas, ça ne m'affecte pas trop. Je suis de ces petits épargnants prudents. Inquiète de ces rumeurs d'effondrement, je me résigne à subir : si les rouages s'affolent, épargnes, biens, pierres, terres, tout ça périclitera. Le système prendra là où il y a, et les petites gens besogneux se feront peler proprement, quoi qu'ils essaient de faire pour se préserver. Je n'ai pas les liquidités suffisantes, de toute façon, pour investir dans l'or, acheter un diamant pure eau ou acquérir une œuvre d'art. Je me ferais sans doute blouser dans les grandes largeurs. Même, si je me retrouvais avec ça dans les mains, je suis bien sûre que je me rendrais malade, ne sachant pas où le mettre en sécurité. Alors, je me résigne, et j'essaie de ne pas prendre peur. 

Le gouvernement édicte à grands coups de 49-3. Je ne vois là-dedans rien de plus que la publication au grand jour de ce qui s'est toujours fait : les décideurs décident, les autres s'agitent, mais finissent par plier, bon gré mal gré. Si les dirigeants dirigent  maintenant de façon plus péremptoire, plus arrogante, ça ne change pas grand chose à l'affaire. La comédie d'une démocratie populaire, d'un suffrage universel, laisse tomber les masques

Depuis le Covid, les gouvernants ont bien compris qu'on muselait très facilement la population, la vindicte. Ils ont même du s'étonner les premiers de notre discipline appliquée ! Enjeu de santé publique, alors. Enjeu de la pérennité de notre système social, maintenant. Allez, allez, le pli est pris. Les simulacres sont terminés. Le plus dur est fait : nous sommes mûrs pour un régime autoritaire. Ca nous épargnera la fatigue d'une lutte perdue d'avance.

Je suis d'une coupable passivité politique, citoyenne, civile. Ca n'est pas avec des gens comme moi qu'on fera bouger les lignes. Pour ce que j'en vois, dans nos politiques furibonds, mais déjà vaincus, il n'y a pas grand meneur de révolte non plus...

Ceux de la rue fustigent les passifs dans mon genre : ils prennent les risques, s'échinent au combat, et nous, les lâches, attendons, en arrière ligne, des fois qu'ils arrivent à quelque chose, ma foi... Honte à nous !



Lundi 20 mars 2023  18h20


C'est aujourd'hui paraît-il que se décide le renversement du gouvernement, ou sa continuation dans une ligne offensive. Je n'ai pas écouté les actualités, mais je gage sur un feu de broussailles vite éteint. Tout ce petit monde s'agite. La critique, véhémente, théâtrale, c'est bien joli. Se retrouver en première ligne dans les affaires, par les temps qui courent, c'est un peu risqué quand-même. J'écouterai tout ça à la radio demain matin, en allant gentiment travailler à la jardinerie.

Je ferai la connaissance d'une nouvelle collègue, pépiniériste aguerrie, aux portes de la cinquantaine. J'ai dans l'idée une relation professionnelle agréable, et plus, si affinités. Je n'ai jamais retrouvé ma complicité d'avec Hélène. Des pistes, oui, mais vite perdues, quand le ou la collègue concerné repartait comme il ou elle, (tiens, je pourrais introniser le "iel", ça lui ferait une sortie, à cet hybride étrange), était venu.

Je me fie bien à ces pressentiments. Par le passé, j'en ai vérifié les bons fondements.

Là encore, j'en saurai plus dans les jours qui viennent.

Ce dimanche, je me suis amusée dans ma cour jardin. J'ai redisposé les bacs, installé près du banc la bignone persistante. Mon dispositif étanchéité gagne à être habillé. Le jasmin n'est vraiment pas conquérant, pour le moment. Un adjoint en face l'aidera bien. C'était très agréable, dans le calme du quartier très tranquille.

Aujourd'hui, fin de l'épandage de mes copeaux. La couche est mince. Pour mes semis de citrouilles et de melons, je vais utiliser un reste de vieux fumier, mélangé à de la terre. Les fèves sont en fleurs. 







La fleur de fève est un petit bijou, délicate, élégante, sophistiquée, très discrète en ses débuts sous les feuilles épaisses et drues. Il me revient un surnom attribué à un local, "Babalore" : fleur de fève. C'était joli, comme évocation. Pourtant, à la traduction, on transposait par : "fleur de fumier". Nettement moins mignon. Je n'ai jamais creusé. A l'heure qu'il est, fleur de fève ou de fumier repose sous terre, et ses contemporains aussi.

Pendant la promenade, j'ai retrouvé la fougeraie toute piquetée de violettes parmes, de lithodores couleur gentiane, et des fleurs blanches des fraisiers sauvages. Comme c'était "jeueuli". Là, c'est aussi un peu vieux : une cliente passablement pédante, avec son "rose hortensia", dont nous nous moquions, avec Hélène, justement.

Le changement d'heure en fin de semaine fera les soirées longues. Je vais retrouver le plaisir de vadrouiller avec les chiens, après la jardinerie, en faisant le tour du potager, et des environs.

J'attends toujours le coup de fil des vétérinaires pour la prophylaxie. Là aussi, quand, avant, je trépignais, je ne m'impatiente plus. TtonytaPetra sont deux belles masses placides, en principe.

Là aussi, les jours à venir diront si j'ai raison ou tort.

Petites questions sans grandes conséquences, pour la plupart. Mon ordinaire.


Mercredi  23 mars 2023  9h20


La logistique du matin, bouclée il y a encore peu pour les 8 heures, me mène maintenant jusqu'au milieu de matinée.

Je savoure ces matins où le temps s'étire comme un gros chat au soleil, quand je me réveille sans presse, bien loin de mes sauts de lit d'antan. Les chiens me sentent bouger, étirer les membres voluptueusement. Ils rampent sur moi, déversent comme d'une jarre, depuis leur bon regard, un amour plein, profond, pur et sain, en un rai lumineux de prunelle à pupille.

De mes pronostics existentiels, le volet politique s'est docilement coulé dans la travée avancée. Pas de remaniement, à 9 voix près, tout de même ! Pas facile de gouverner un bateau aussi tanguant... Je laisse ces préoccupations à Emmanuel.

Pour la collègue fraîchement débarquée, je pense aussi tenir quelque chose. Nous avons bien accroché, toutes les deux. Son arrivée devrait rebattre quelques cartes. Ces glissements tectoniques ne sont pas pour me déplaire. Elle parle beaucoup. Elle est vive, directe. Voyons comment tout ça émulsionne, dans notre petite équipe.

Cette après-midi, nous irons avec Meriem sur les hauts de la falaise.

Ces amitiés légères me semblent être les échanges humanoïdes les plus sains. L'amour intra-humain, avec sa connotation charnelle, exige trop, et demande autant qu'il ne donne. Il n'arrive pas à la cheville de l'amour de la bête pour son maître, je l'ai déjà dit et le répète. L'amour de l'homme soupèse, évalue, inquiète. 

Dans le serment d'amour il y a le questionnement : je t'aime, oui, ...mais, m'aimes-tu, toi aussi ? Et m'aimes-tu autant que je t'aime ? M'aimeras-tu toujours, quoi que je fasse, puisque telle je suis ? Me désireras-tu encore, quand le temps aura flétri ma chair et fatigué mon sang ?

J'ai connu l'amour dans ses passions. Je l'ai connu rebelle comme une pouliche enfiévrée. Maintenant, les ans et la molécule me l'ont assagi, évidemment. De cette baudruche mal dégonflée, je n'aime pas l'enveloppe vide. 

L'amour sans la passion ardente, l'amour sans ses désirs impérieux, l'amour sans la souffrance vive d'une jalousie mordante, même, cet amour là n'est plus l'amour. Et son simulacre lui fait insulte.

Au mieux, il mue en amitié, quand le ressentiment, la culpabilité de l'avoir perdu, ou laissé perdre, s'éreintent à mordre, et s'adoucissent en tendre nostalgie.

Je faufile dans la trame illisible de mon "bloc" trop touffu ces propos sibyllins. Je m'y retrouverai, puisque j'ai les codes de ma grille de lecture, forcément. Pour les lecteurs égarés dans les parages, ils y glaneront sûrement tout autre chose que ce que j'y ai mis. Ainsi, entre confusion et résonnance, je livre ce que je sais savoir retrouver, ce que sais de nature à égarer les autres, ou à les éclairer, qui sait. 

Mes Nouvelles maintenant à distance se détachent d'une quotidienneté exigeante. Le temps passe sur elles, et patine les reliefs. Je ne perds pas en authenticité, puisque je ne retouche jamais mes articles. 

J'y gagne le secret de mes confessions impudiques, consciemment publiques. J'entrouvre mon cabinet, à ceux-là seuls qui sont à même de comprendre, qui s'intéressent vraiment, et ne se fatiguent pas à suivre. De moins en moins, sûrement. Ne serais-je que la seule, ça me suffira. Je me demande même si ça ne m'ira pas mieux. La lecture par ceux-là seulement attachés à un petit quotidien de quartier, maintenant devenu plat comme une mer calme, ne m'apporte pas plus qu'elle ne les enrichissait. 

Et bien, moi qui me targue de franchise : la voie directe, efficace et percutante, serait celle du salut. Quand, énonçant mes devises, poing levé telle la Sabine des barricades, je me vautre dans le sous-entendu et le flou, comme une truie à la bauge.



Vendredi 24 mars 2023  17h30.




J'ai récupéré du merisier renversé cette demi-rondelle. Je l'ai placée près de mes cailloux striés récupérés dans le remblai. Pierres et bois, pareillement veinés, marqués en cercles par le temps long de la nature en marche.

L'évolution ne revient jamais en arrière, selon les scientifiques, paraît-il. On ne retrouverait jamais un état antérieur. La régression biologique n'existerait pas. C'est le pivot de la trame de "Erectus", (de l'homme, erectus, pas d'une quelconque grivoiserie bien loin de mes intérêts), ma lecture du moment. Qui finit d'ailleurs par la controverse, puisqu'il est maintenant paraît-il avéré qu'il y a eu des "retours-arrière" fascinants, dans notre longue évolution d'espèces terrestres.

Pourtant, moi, je tiens plutôt pour les cycles, les recommencements, les cercles, justement. Evoluer, c'est changer, pour mieux. Et pourquoi mieux ne serait-il pas derrière, si on s'est fourvoyé ? La recherche constante d'une évolution positive n'est-elle pas justement vouée à ces régressions, quand on cherche où l'on a manqué le bon croisement ? Et pourquoi, plutôt que la ligne droite, celle de fuite en avant, ne pourrait-il y avoir une trajectoire plus courbe, infléchie, inverse, même, à l'extrême ? (Comme les courbes de croissances bovines que je consultais tout à l'heure. Histoire de vérifier quel genre de gabarit auront TtonytaPetra. A la lecture, petit.) Digression rejetée, votre honneur.

Encore une de ces questions profondes qui me viennent en ce moment à la pensée, comme des bulles remontées à la surface. Faut-il que je sois vacante !

Tiens, TtonytaPetra sont rentrées. Je les entends craquer le foin au râtelier. La prophylaxie est prévue pour vendredi prochain. Avec la tuberculinisation, même s'il me semble qu'il y a une histoire de 24 mois là dedans. Les génisses n'en ont que 22, et pourraient être "non éligibles" au test. J'aimerais autant : je ne garde pas un bon souvenir de l'affaire.


Lundi 27 mars 2023  11h30


Un créneau libre m'a permis de faire le tour complet de mes administratifs.
Le temps frais et plutôt venté m'a fait préférer l'intérieur. Cette après-midi peut-être, j'irai aux châtaignes. Fin de semaine, je me demande si je ne vais pas me faire une petite virée changement d'air, peut-être même toute seule, pourquoi pas. J'ai des envies de solitude, comme ça, parfois, de retrouvailles fantasmées avec moi-même, en introspections sereines. Et puis, bien souvent, je m'y ennuie un peu...



Vendredi 31 mars 2023  18h35


Le gris du ciel apaise les ferveurs vertes qui boursouflent les ramures des arbres en début de feuillaison. (Synonyme de "canopée", dans un second sens que "couvert végétal d'un ensemble d'arbres". Je l'ai appris il y a peu, grâce à notre petite Emma, de la jardinerie).  Au premier plan, la pente de la prairie s'émaille des pâquerettes et pissenlits en nombre.
J'ai eu une journée comme je les aime : juste assez occupée pour avancer quelques tâches, pas trop pour autoriser des pauses sans presse.
A midi, la vétérinaire a prélevé le sang des génisses. Ca a été un peu acrobatique. Ttony a nécessité l'"encordellement". Mufle serré, tête ramenée contre l'épaule, moi bien calée à son garrot, elle a fini par ne plus bouger. Petra aussi a manifesté sa contrariété, mais moins. Ou alors, la vétérinaire a été plus adroite avec elle. La question de la tuberculinisation s'est posée. Le test a finalement été repoussé à quand TtonytaPetra auront dépassé les deux ans. J'aime autant. 
J'ai dans l'idée la permanence d'une souche de germe, enkystée, sournoisement latente. Les génisses sont en pleine forme, et ne risquent pas grand chose, sans doute. Je persiste à croire que cette saleté sommeille, par là, prête à fondre au premier signe de faiblesse. Comme je persiste à croire que c'est elle, toujours, qui a fini par planter ses sales crocs dans la cuisse de mon père, pour finir ce qu'elle avait commencé quatre décennies plus tôt.

Je sais être dans une passe grisouillette. Je vois la vie en un peu gris. L'activité en pépinière, frénétique, certains jours, sape mes résistances au bruit, à l'agitation. Je sens mon seuil de tolérance abaissé. La fatigue purement physique, les lourds conteneurs à déplacer, les chariots hauts à vider, malmènent la carcasse. 

Je dois prendre garde à ne pas entreprendre ici des travaux trop demandeurs de force ou de résistance musculaire. La séance désherbage, mercredi matin, avec ce maudit pulvérisateur infoutu de maintenir sa pression, n'était pas la meilleure indication du moment. Je n'avais pas fait le quart du chantier, que l'épaule et le bras me tiraient déjà. Qu'importe, j'ai mené au bout mon ouvrage, au prix de lancements et de tiraillements lancinants dans la zone cervicale. Trrrès mauvais pour moi, ça...

Cette après-midi, après une excellente sieste de presque deux heures, (le soulagement de la prophylaxie passée), j'ai rempoté les deux lantanas étouffés par la vigueur saisissante de l'anisodontea. Celui-là, crevard quand je l'avais planté au potager, ne s'est plus senti, ici, à l'abri, dans le terreau léger. Les lantanas installés dans des pots individuels se trouveront mieux. Ils fleuriront tout l'été, mauves, orangés et blancs, en ombelles caméléon. 
Je leur ai mis pour compagnie une jardinière de géraniums "ville de Berne", pimpants d'un rose profond, mat et élégamment sobre. Une autre jardinière de cyclamens, ramenée du cimetière après la forte chaleur du milieu de semaine, finira sa carrière hivernale, juste à côté. 
Dans la lancée, j'ai rapatrié aussi les fuchsias de la murette. Une sale gale me les froisse. Encore une histoire de petite araignée enkystée, qui attend sournoisement son heure, à peine enfouie autour du collet, en hiver, pour aspirer la sève des jeunes pousses, dès le printemps. C'est une lutte, entre la poussée vitale de la plante, et l'attaque souterraine, du prédateur. Si je vois que mes fuchsias marquent le pas, une bonne taille drastique les aidera. Ou les finira. On verra.

On attend toujours la pluie. Encore annoncée pour la fin de semaine, et encore ajournée, je le crains.
Allez, la soirée avance. Je vais me mettre en position pré-nuit.


Samedi 1er avril 2023  18h50


Quelques bonnes averses ont finalement rincé la cour. Guère plus. La température a bien baissé : moins des dix degrés aujourd'hui. Le vent en rafales agite les arbres. Une journée météorologiquement agitée.
Dans la porcherie remise, seule une minuscule auréole persiste. Et signe la nécessaire poursuite de mon ouvrage au long cours.

Je me suis fait ma journée en juif, comme je l'avais prévu. Curieuse expression, d'ailleurs, ce "en juif". Serait-ce à dire que les juifs sont dissimulateurs ? Qu'ils agiraient dans l'ombre, à quelque œuvre honteuse ? Encore un de ces raccourcis blessants, dont le fondement se perd dans des tréfonds obscurs. Sans grande explication non plus, nous avons "fort comme un Turc", "saoul comme un polonais", "travailler comme un nègre", (sans doute allusif au "nègre" qui travaille pour un autre, particulièrement en écriture, ça, ça me parle). Ou encore la blague belge, pas très fine, le travail de portugais, fait à la va vite et sans maîtrise, (quand les portugais sont réputés pour leur adresse, notamment dans les métiers de maçonnerie). J'en passe et des meilleures, curieuses expressions entrées dans le langage commun, utilisées sans se poser de questions, quand, actuellement, on fait la chasse à toutes les discriminations, et autres comportements ou discours licencieux. 
Je m'égare, comme souvent, quand les petits chevaux dans ma tête accélèrent en un petit trot guilleret. 

Pour ce samedi clandestin, je pensais initialement à une virée dans la campagne. Finalement, je suis restée là, paisiblement. Mon matin de "jour de vacance" a ressemblé à tous mes autres matins ici. 
C'est ensuite, après le repas, que j'ai expérimenté la sensation grisante d'une plage de totale liberté devant moi. Je cultive toujours un fond de culpabilité, quand je ne fais rien, en pleine semaine. "Astelen gorrian", disait-on dans la famille. En plein lundi rouge. Ne me demandez pas en quoi le lundi serait "rouge". Je n'en sais fichtrement rien. On disait aussi "negu gorrian", en hiver rouge, pour dire plein hiver, au plus dur de l'hiver. Comme "gorriak ikusi", en voir des rouges, toujours, pour "en voir de toutes les couleurs". Remarquez, en français aussi, cela sonne bizarre : pourquoi une épreuve particulièrement difficile nous en ferait-elle voir de "toutes les couleurs" ? Pourquoi ce "voir rouge". Encore que, rouge de colère, s'explique par l'afflux de sang au visage. Le rapprochement sang colère, sang souffrance, sang versé, sans doute, se tient quand-même, finalement. Alors qu'on pourrait aussi penser sang-sève, sang-vie, sang chaud-vitalité.
Nos expressions viennent bien de quelque part, même si nous avons perdu leur origine. J'aime assez la sémantique. Mais suis trop fainéante pour aller creuser bien loin dans ses racines.

Bref, (petit coup de rennes), je me suis autorisée une après-midi oisive, programme libre. Ce n'est pas une première. L'inédit vient de ce petit côté caché, secret, comme péché, presque. Ce samedi de repos dans le mois est en principe dédié à la sortie couple. Là, je l'ai détourné, pour moi seule. Je l'ai un peu "volé". J'ai l'impression d'une aventure, peut-être pas sans lendemain, sans autre amant que moi-même. C'est très étrange, exotique, sulfureux serait quand-même exagéré, allez ! 

J'ai beaucoup aimé. J'appréhendais une pointe d'ennui. Et bien, pas du tout ! Outre le fait que la plage temporelle était réduite à quelques petites heures, je me suis trouvée très confortable..., à faire du shopping. Et oui ! Tout arrive : moi, dans les magasins, flânant dans les rayons, sans liste de courses à suivre, juste pour le plaisir de voir ce qui se fait.
Au départ, "de base", comme il se dit maintenant, ma seconde sortie de la journée était tout de même motivée par un oubli du matin, dans ma sortie courses hebdomadaire. Une pièce manquait à mes sacs : le papier toilette. Difficile de faire l'impasse là dessus. 
J'avais aussi en tête d'acheter un magazine de mots fléchés, histoire de me plonger dedans, dans mes pauses, à la jardinerie. Dans la foulée, j'envisageais l'achat d'une paire de mules d'intérieur. L'effondrement de celles-ci présage d'une rupture de semelle imminente. Il n'y avait pas à barguigner : ma liste à trois têtes requérait trois points d'approvisionnement, je devais partir en expédition. 

Pour ce genre d'achat, je considère la chose comme étant d'agrément. Ce que j'achète est nécessité, d'accord, mais la démarche peut s'inscrire dans une perspective au delà du juste utilitaire. Les magasins annexes au pur alimentaire me paraissent plus lieux de détente. Je flâne plus facilement, quand j'en ai le temps, si j'entre dans un de ces temples consommatoires, en vue d'une acquisition "plaisir". C'est-à-dire pour moi, dans le cercle juste après le "vital". L'exemple d'aujourd'hui est moyennement choisi : l'achat de papier-toilette s'entend difficilement comme une quête distrayante. Pour les mots-fléchés et les mules, nous sommes par contre en plein dedans. Deux sur trois, ça n'est déjà pas si mal.

Dans le Lidl local (Dieu seul sait comment ça s'écrit au juste), j'ai pour la première fois fait le tour des rayons bazar. Il était en plein réaménagement. Et portait bien son nom, avec ses marchandises entassées en un foutoir artistique. La clientèle piochait là dedans comme une volée de vautours s'acharnerait sur une charogne, avec concupiscence et voracité. Je regardais tout ça d'un œil distant, intéressée tout de même par ces babioles dont j'ignorais parfois l'utilisation. Ca fait un moment que je ne me suis pas penchée sur l'offre des accessoires domestiques en tout genres.

Moi, quand je décide d'aller chercher quelque chose en magasin, c'est parce-que j'ai un besoin. Là, je voyais plutôt des gens prendre en main des objets, attirés par je ne sais quel charme, et se demander ce qu'ils pourraient bien en faire. 
A force de triturer le manufacturé séduisant, il lui trouvait une fonction, une utilité, pour une réalisation dont ils s'étaient parfaitement bien passés jusque là. Oui, mais là, avec cette tentation dans les mains, ils se rendaient compte qu'ils étaient passés à côté de quelque chose, qu'ils vivaient jusque là dans l'ignorance, dans le manque, dans le danger, presque, de ne pas posséder et jouir de cet accessoire innovant. L'accessoire devenait indispensable.
Ethnologiquement, c'était édifiant. (Je cherchais le bon mot, attrapais au passage "constructif", pas loin de la cible, puisque toujours dans le bâtiment).
Je me consacrais un moment à ces fines observations anthropologiques. Dans les trois magasins visités, je fis les mêmes constatations : les clients soupesaient des articles, dont, manifestement, ils n'avaient pas prévu l'achat. Ils les palpaient, les humaient, pour certains, et l'impulsion du désir prenait le contrôle : ils achetaient. 
J'ai bien trouvé mon magazine de mots fléchés. Les mules me sont restées en devenir. Les chaussures estivales ne sont pas encore de sortie, sans doute.

Je me suis vite lassée de ces flâneries commerciales. Je veux bien sortir de ma zone de confort, pas tout de même errer en contrée trop lointaine.
Puisque je n'avais rien qui me requérait avant la rentrée de TtonytaPetra en soirée, j'ai été sur le port, longer la Bidassoa grise, où les bateaux à l'amarre tanguaient sur le clapotis, créant dans mon système nerveux un début de roulis. Il faisait assez froid, une averse cinglait, le vent agitait l'eau. Il n'y avait pas de promeneurs le long du quai. J'étais parfaitement bien, poussée dans le dos par des rafales musclées. Les chiens étaient restés dans la voiture. Je me sentais toute guillerette, et en même temps confortablement lestée d'une plénitude solide.
Je luttais contre la tentation de surveiller l'heure, en pensant au goûter fraternel que nous partageons volontiers quand je suis à la maison. Non, aujourd'hui, je n'y serais pour personne. Au passage, je notais cette curiosité de devoir presque prendre la fuite, au moins de me cacher, pour profiter d'un moment de solitude. Il y avait là matière à revoir certaines mauvaises pratiques.

Je suis enchantée de mon après-midi. Je crois même à un début du relèvement de mon seuil de culpabilité. Mon écart d'aujourd'hui frôle bien-sûr le plafond de verre maison, mais reste quand-même objectivement dans la zone autorisée. Par moi-même, grande fille disciplinée que je suis.

Avec tout ça, arrive l'heure où je reviens de la jardinerie. Je rentre dans le droit chemin, à partir de cette limite. Je suis là où je suis censée être.
Comme quoi, les carcans les plus lourds sont bien ceux que l'on se passe à soi-même...


Mercredi 5 avril 2023  11h10


Le repas cuit. Le grand soleil parle de chaleur, pour cette après-midi. Là, les chiens ne sortent pas encore se réchauffer dans la cour, allongés contre le plastique chaud des pots de fleurs. La température reste fraîche.
La première hirondelle est arrivée dans la nuit de lundi à mardi. Je l'ai trouvée au matin dans l'étable, un peu arquée sous le plafond. Elle était rentrée par l'imposte de la porcherie-remise. La grand porte métallique était fermée sur la nuit froide.
Cette arrivée cette année est allégée du suspense de la saison dernière. Je n'étais pas sûre alors de retrouver mes petits elfes ailés. Ils n'avaient pas encore  inauguré les changements dans la ferme. Les perturbations d'aménagement risquaient de me les avoir détournés.
Là, je surveillais, mais j'étais moins inquiète. Le décalage de fin mars à début avril se confirme. A ce matin, une deuxième hirondelle accompagnait la première. Elles virevoltent en couple, gracieuses, véloces, incroyablement adroites dans leurs figures en plein ciel.
D'autres suivront sans doute. Je ferai mes recensements, histoire de voir où en est le baromètre de l'habitabilité des parages.

Je vois cette après-midi Hélène et "Too much", son amie Nicole.
Nous irons prendre l'air sur les hauts de la falaise, ou alors le long des berges de la Bidassoa, si ce n'est sur le monts de Biriatou. J'ai maintenant des trajectoires de promenade plus au large que mes contours immédiats. La traversée du remblai est maintenant plus acrobatique, et j'imagine mal Miss Too-Much patauger sur les couches de glaise molle ou se frayer une sente dans les herbes hautes...
Je cultive avec plaisir ces rencontres plus fréquentes. Elles aèrent la tête, agréablement.
Je vais maintenant sortir, avant le repas, histoire de m'aérer tout court. Je suis une travailleuse de l'extérieur. Rester enfermée par un si beau soleil m'est sacrilège.


Mercredi 12 avril 2023  15h25


Je fais une courte incursion par le clavier, avant de sortir prendre l'air. Avec ces rafales musclées, ça va être vite fait ! 
Il semblerait que la pluie ne sache plus tomber sans vent. Je ne me souviens même plus de la dernière journée où l'eau nous serait arrivée du ciel toute droite, de son bon poids de gouttes nourricières d'une terre en demande. Là, quelques séquences d'à peine plus que bruines calment l'ambiance, entre deux volées où les rais d'eau sont poussés en oblique. Il faudra s'en contenter, et s'estimer bienheureux de ne pas subir les trombes dévastatrices.
L'actualité du moment est paisible. Mon désherbage des clôtures a parfaitement fonctionné. Les bandes hâves ne sont pas bien jolies, mais bon. Je me débarrasse ainsi de la corvée de débroussaillage entre les piquets. Je garde les zones ouvertes et planes, pour le plaisir.
L'engrais épandu dans le potager va se dissoudre à l'humidité. Après ça, mes planches et rangs vont bondir. J'attends pour la troisième phase, pré-estivale, de repiquages. Ensuite, mon potager sera complet. 
Sous le paillage de l'espace non utilisé pour le moment, les adventices dardent leurs lances, à peine freinées par la couche trop mince. Je verrai à y planter des citrouilles. Le sol en dessous, feutré des racines d'herbe en pré, ne se laissera pas facilement coloniser. Bah, ce sera, comme disait Max de la comtesse, : "une expérience".

A la jardinerie, les journées se succèdent, toujours denses d'une frénésie de plantations. Les immigrés citadins post-Covid réaménagent à grands frais les maisons qu'ils ont achetées, bien cher déjà. Ces gens là n'ont pas de problèmes de pouvoir d'achat. 
Loin de toute polémique patriotique, nous vendons, sans états d'âmes. Je pense même à une issue favorable pour nos locaux, quand tout ces gens "des villes", lassés de nos campagnes dolentes, voudront se re-retirer dans leurs grandes cités agitées. Ils ne trouveront pas acquéreurs ici à leur mesure, et devront "brader". 
Evidemment, le modeste ouvrier n'emménagera toujours pas dans ces demeures somptueuses. Mais bon, le petit bourgeois local, tertiaire favorisé, le pourra, lui, et en presse, de peur que l'occasion ne lui échappe. Pour accéder à son mirage de réussite sociale, il cédera à son tour son bien au plus vite, forcément, et pas au mieux de son avantage. 
Ainsi, par effet de cascade, les prix tireront vers le bas. L'envolée vertigineuse s'inversera en une courbe moins folle, mais pointant le plus raisonnable. En bas, justement, de l'échelle, l'ouvrier, toujours lui et enfin, pourra rêver à son tour de propriété, bien plus modeste, bien-sûr, mais propriété quand-même. Cet instinct qui fit germer dans la communauté des hommes les conflits fratricides... 
Peut-être le collectif reprendra-t-il des couleurs, quand la possession se fera communautaire, par besoin économique. Ce pourrait être un moyen terme satisfaisant, et bénéfique à nos tempéraments trop individualistes. On le sait, l'union fait la force, et le besoin fait l'union.
Tout ceci à un horizon de plusieurs années, le temps de purger quelques bulles de notre fonctionnement du paraître.
Voilà mon analyse immobilière. Du haut d'une incompétence totalement revendiquée.

Ca n'est pas parce-qu'on n'y connait rien que l'on n'est pas autorisé à en parler. Si ? Bah...non ! Il n'est que de tendre l'oreille !


Vendredi 14 avril 2023  15h55


J'ai scolairement rempli ma déclaration de revenus annuelle. C'est toujours un petit pincement de voir cette ponction dans le fruit de ses presque entrailles. La participation à la marche de notre système social le demande, allez ! L'ennui, c'est de douter de la pertinence de cette participation. Ayons la foi, en un monde meilleur...

Je termine une fiction : "Bigfoot". Ou des lois de la nature et de la cohabitation des espèces. Mes théories du "manger ou être mangé", étayées par une histoire de survivants isolés par une catastrophe naturelle, où un groupe d'humains se retrouve à la merci d'un troupeau de semi grands singes. Pas tendre, tout ça. La cruauté d'une nature vouée à sa survie ferait de nous des bêtes plus féroces que n'importe quel prédateur avide de sang et de chair. J'adhère assez à la thèse.

Le vent souffle encore. Il a bien plu, hier et toute cette nuit. J'ai même refermé la grande porte métallique sur la nuit, quand les trois hirondelles se sont retirées dans leurs nids. Une quatrième s'était présentée, puis est repartie. La rencontre n'a pas du être concluante. Je vois la "célibataire" regarder avec envie le petit couple lové tendrement sur le bâti d'Antxo. Ou quand l'anthropomorphisme nous rend "bêta". (Tiens, je l'avais perdue de vue, celle-là !).

Je vais sortir, bien couverte. Je ne suis pas sûre que les trois chiens me suivent. Le mauvais temps me rend la campagne du temps d'avant Covid. Les sentes désertes et le paysage vierge de promeneurs n'attend que moi. Cette coupable demande d'exclusivité ne va pas arranger nos affaires, quand l'"autre" revendiquera son droit au territoire commun. Je l'ai intégré, à peu près. Pour la mise en pratique "dans le vif", il sera toujours temps d'aviser, le moment venu.

Encore un de ces floutages artistiques qui risque de me laisser sur le bas côté, quand j'y reviendrai, à distance. J'ai ainsi reparcouru mes vieux carnets survivants. Certains passages m'ont demandé un effort de retour-arrière, pas toujours couronné de succès. J'ai laissé là l'enquête. Passé par pertes et profits quelques relations trop absconses.

Bien. J'y vais. Le grand vent m'appelle.



Jeudi 20 avril 2023  7h30






Les ciels purs d'un printemps parfait accueillent le levant. Il fait toujours aussi beau. Les pluies bienfaisantes exaltent une nature en effervescence. Partout, la force vive, la montée irrépressible de sève, les feuillaisons vert tendre, anis, entre les silhouettes plus sombres des conifères moroses, colorent les paysages en volumes harmonieux. Les acacias sont en pleine floraison ponctuant de grappes blanches tout ce vert chromatique. C'est bien joli, fouetté par la lumière solaire, ciselé comme par un sculpteur génial.
Dans mes sentiers de promenade, la végétation exulte, chavirée de l'ardeur saisonnière. Les lianes fluides des chèvrefeuilles enroulent les tiges pourpres des ronces juvéniles. Les jeunes pousses prune des spirées percent en flèches dans les fourrés drus.
Dans le bois de l'anglais-espagnol, le jeune châtaignier a fini par percer la ramure du vieux chêne. Cette année enfin, il s'étire  au dessus de l'entrelac de l'ancêtre. Malheureusement pour lui, un acacia sur sa gauche le coiffe au poteau. Il le surplombe même d'un bon mètre, déjà. Nom d'un chien ! Le châtaignier est furieux, dépité, enragé. L'autre, goguenard, le parsème des pétales blanches de ses grappes fleuries, et les lui verse en larmes à pleurer. 

La nature n'est pas tendre, on le sait. Elle est injuste, aussi, bien souvent. Tant d'efforts, et si peu de succès...  Le châtaignier presque vainqueur devra encore attendre son heure. L'acacia a peut-être trop donné dans son sursaut pour gagner. Une rafale du sud l'étêtera peut-être.  Ou alors, ce sera de nouveau un combat au long cours, un étage plus haut, au dessus du chêne vaincu.

Pour le moment, c'est l'aube et la levée des couleurs. Je m'en repais. Comme j'admirerai, tout à l'heure, dans la pépinière, les flamboiements nerveux des érables japonais, les floraisons printanières des spirées légères, les chatoiements des annuelles dans le marché aux fleurs.
Le printemps me bouscule toujours un peu. Ses élans fougueux inquiètent mon tempérament timoré. J'en savoure pourtant à pleins poumons les senteurs et les couleurs.




Dans l'étable, le petit matin tire de leurs nids mes quatre hirondelles. L'hésitante est finalement rentrée dans le rang, au grand soulagement de l'ancienne troisième de troupe. Le couple le plus mâture a retrouvé son abri au dessus des génisses. Celles là sont plus tranquilles, plus lentes à esquiver mes passages. L'autre couple niché dans l'angle opposé, plus jeune, s'agite davantage. J'attends les autres, ceux de la porcherie-remise et de l'appentis.




Dans l'étable toujours, TtonytaPetra sont rentrées pour manger, et se reposer dans le paillage frais. Elles ressortiront vite. Les nuits dehors me les font belles, toutes propres, soyeuses.
Les chiens retournent dormir, quand je pars.
Mon petit monde est au complet, en ordre parfait.


Samedi 29 avril 2023 19h15


Cette fin de semaine "invaquée" me retrouve dans le rang. La journée fut de couple, entre emplettes et promenade vers le bout du chemin des Crêtes, dans le bas fond où le tunnel en ogive renvoie vite l'écho.
Nous attendons la fin de cuisson de nos œufs au lait des familles. Les poules d'Olivier sont en pleine production, il faut leur trouver débouché en circuit court.

Je termine Avril en pleine expansion potagère. J'ai cueilli mercredi mes premiers pois et fèves. Le reste arrive gentiment, en carrés mieux organisés que l'année dernière.






J'ai pris je le crois un peu d'avance sur le calendrier raisonnable des semis. J'ai déjà confié à la terre les graines de melon et de concombre. Il sera toujours temps de repiquer des plants, si rien ne sort.

Pour les châtaigniers, j'en ai aussi fait le tour, épampré les repousses sur le bois des troncs dans les tubes. Pour les neuf premiers, j'ai réhaussé la barrière défensive en fil ronce : TtonytaPetra se haussent elles aussi, et tirent une langue avide vers ce qui leur semble tendre. Pour le moment, la cohabitation est parfaitement respectueuse.

J'ai ainsi des journées bien plaisantes, diverties et variées.

Dans les Landes, mon grand mari, lui, termine un ouvrage de belle ampleur. Ce long travail de plusieurs mois trouve sa consécration ici. 






J'admire l'œuvre, ce jardin harmonieux aux équilibres parfaits, aux courbes fondues et aux niveaux judicieux. Il est juvénile encore et demandera plusieurs années avant de donner son plein. Les matériaux s'imbriqueront, pierre, bois, végétal, mêlés pour un rendu abouti.
Je suis soufflée par cette réussite. Cet homme m'intrigue et m'étonne encore, décidemment. 

Pour l'heure il est temps pour la soirée. Les œufs au lait semblent cuits. Une seconde fournée de mignardises pour l'apéritif du samedi soir attend sur la table.






J'ai remarqué tout à l'heure une mouche curieuse, sur la faïence de la salle de bains. Ses ailes sont translucides, et marquées d'un point noir. Elle est plus longue de pattes, aussi, et son corps est plus allongé, que celui de ses cousines communes. C'est une de ces petites observations anodines, dont l'insignifiance n'éveille aucun intérêt, pour la plupart. Moi, j'y suis attentive. 
Il est arrivé parfois que cette curiosité se justifie, de façon imprévisible, à grande distance. 

Mes jours et leurs relations ne paraissent pas non plus bien "signifiants". Sans doute ne le sont-ils pas. Au moins, ces narrations naïves me seront-elles divertissements, au moment où cette insignifiance même me sera hors d'accès. 
Si ce jour là advenait...