lundi 31 janvier 2022

Janvier 2022

 


Samedi 1er janvier 2022 20h


Jour de l'an à Rivière.

Toujours dans le clan Olivier, un repas gourmet nous a tendu la panse. La promenade en forêt ne suffira pas à compenser l'excès. 

Le jour a baissé derrière les ramures enchevêtrées des hauts chênes. Quelques nuages ont rosi. Les cigognes regagnent leurs nids. Nous marchons dans les feuilles mortes, et leur chuintement lourd accompagne chacun de nos pas. 

C'est l'heure entre chien et loup.  Un chasseur appelle dans le soir. 

Ma meute a fureté dans les ronciers encore blanchis de la boue de la dernière montée des eaux.

Je les remmène demain à la ferme. Ces petites excursions nous plaisent. Les parages ici sont beaux, l'habitant, dans sa contrée, agréable.

Je compte bien en 2022 ne me priver de rien de ce qui me fait du bien. 


Dimanche 2 janvier 2022  9h


Olivier est sorti chercher le pain.

Le ciel s'étire en lames grises obliques, derrière le bosquet de chênes nus. Un merle affairé sautille dans l'herbe, fouillant les mousses jaunies. Pas un bruit dans le quartier. Pas un mouvement. 

Nous irons tout à l'heure au Vimport. Une percée de soleil nous aurait fait l'Adour plus belle...



10h




En début de trajet, là où la montée de L'Adour a raviné la berge, un enchevêtrement de rondins en troncs de chêne et de branches souples stabilise le terrain, à la mode d'autrefois. Lola farfouille là dedans, très intéressée sans doute par les travaux hydrauliques et assimilés.






Le soleil a percé.
Nous avons marché longtemps le long de l'onde, escortés de ces arbres penchés dessus.
Arrivés à mon ponton aux mélancolies, nous avons rebroussé chemin.
Trop tard pour mes fibres musculaires... Le chemin plat me semblait tellement avenant, facile au pas : je m'y suis laissée prendre. Le retour m'a paru bien long. Lola elle-même demandait à se faire porter. Cahin-caha, ballotant toutes les deux au gré de mes dandinements de plus en plus prononcés, nous avons fini par rentrer.
La belle lumière, le calme, la paix de ce moment, ont bien atténué mes douleurs pourtant vives. 


18h30





Au soir, revenue à la ferme, je me suis encore une fois jurée de laisser mes muscles jambiers au repos, quand l'exigence du travail ne m' oblige pas à les mobiliser. Je dois récupérer la souplesse de ces pauvres fibres avant la saison du printemps, au magasin. 
Les si belles dernières journées m'ont tirée dehors, vers mes paysages pentus, où la marche est forcément plus difficile. TtonytaPetra ne m'ont pas beaucoup aidée, les bougresses, quand, lundi dernier, elles ont batifolé dans le pré ouvert.
Je me gourmande maintenant, espérant qu'il n'est pas trop tard. 

Dans la visée de m'épargner, j'ai demandé à Beñat d'aller quérir le gui, le houx et le laurier, pour rafraîchir mes bouquets en grigris, disséminés chaque année aux quatre coins de la ferme. Une petite entorse de deux-trois jours au calendrier ne changera rien à l'affaire, sans doute. J'ai même lu quelque part qu'avec le tout petit décalage espace-temps accumulé depuis des millénaires, nos repères sont erronés : par exemple, les signes astrologiques ne correspondraient plus, il faudrait avancer ou reculer, je ne sais plus, d'un mois. Alors, à ce compte-là, sans le vouloir, je suis peut-être en plein dans l'horloge juste !

La nuit est tombée. Je distingue à peine TtonytaPetra couchées sous ma fenêtre. Je les laisse profiter des dernières journées si clémentes. Quand reviendra le mauvais temps, elles retrouveront l'étable.

Ma bougie festive allonge sa flamme sur la table. Les chiens fatigués dorment.
Je me sens toute quiète.




Jeudi 6 janvier 2022 8h30



Dans la pépinière, à la jardinerie, une nuée de perles transparentes s'est accrochée aux branches nues durant la nuit froide :






Chacun y a été de son tour de pépinière, pour s'émerveiller. Vite fait, avant de rentrer au chaud. Nous, pépiniéristes, sommes équipés froid, intempéries. J'ai continué mes travaux. Attendu tout de même la montée su soleil et le dégel, pour continuer mes tailles. Je suis presque au bout de mes planches de fruitiers. Ceux du printemps s'annoncent dès mi-février. Là, je ne pourrai œuvrer que sur les fruitiers à pépins, et encore, avec précaution. Ceux à noyaux partent vite en gommose, à ce moment là, sur les coupes. Quelques épointages suffiront à les rendre plus équilibrés.
Aux très mauvais jours, quelques réaménagements dans le magasin, en première partie d'un plan plus ambitieux laissé pour l'été prochain, devraient préserver ma vieille couenne...



Samedi 8 janvier 2022  18h


Un désistement de dernière minute m'a retenue ici, quand j'avais prévu une sortie entre amies. Qu'à cela ne tienne, Yvette et Jean-Louis seront des nôtres demain, pour visiter ma nouvelle étable.
Ils y verront TtonytaPetra, puisque un petit souci de contention me les confine en intérieur.

Ttony, alléchée par les extensions successives de son pacage, s'est découverte aventurière. Forte de son poil long, elle craint moins les impulsions électriques de la clôture sensée la gardienner. Les séquences, rallongées par quelque nouvelle norme de sécurité, lui laissent aussi un laps de temps suffisant pour tenter le coup, entre deux décharges, qu'elle doit entendre passer dans le ruban, peut-être. Je la crois sans doute plus calculatrice et maline qu'elle ne l'est. Elle reste bovine, tout de même... Oui, mais quand-même !
Petra, moins fonceuse mais attachée à sa partenaire de champ, suit, même si elle hésite un peu.
Toujours est-il que mon ruban de clôture ne suffit plus à contenir mes génisses. Mercredi, j'avais à peine retendu le système, qu'elles me riaient au nez, passées de l'autre côté dans les cinq minutes.
J'ai pensé un moment à doubler mon ruban. Puis, j'en suis revenue à l'idée d'une bonne vieille clôture traditionnelle, de solides fils barbelés, bien tirés entre de bons piquets d'acacias.

Le pacage ouvert dans son entier est clos dans son périmètre. Mais cette clôture là branle un peu. Certains piquets ont pourri en terre. Le fil ronce s'est décroché, élargissant les passages entre deux lignes.
Pour toute autre bête, cela aurait pu suffire, et suffit d'ailleurs dans les parages.
TtonytaPetra, jeunes, curieuses, exploratrices du vaste monde, ne se laisseront pas longtemps arrêter par un dispositif aussi aléatoire.
J'en étais là mercredi. Ni Ttony ni Petra ne sont ces jours-ci en chaleur. C'est souvent en période de rut qu'elles batifolent davantage. Je les voyais tranquilles. J'allais m'occuper de ma clôture "en dur" dans les jours à venir.
Jeudi, alors que j'étais à la jardinerie, j'apprends par Antton que mes velles sont allées faire un tour chez leurs copines voisines, de l'autre côté, là où pourtant la clôture a été refaite il y a  cinq ans, seulement. Cinq ans tout de même, de poussées d'un côté et de l'autre... 
Avec Nikolas, ils ont réussi à les ramener. 
A cette occasion, la remarque excédée d'un qui avait trop couru derrière les petites m'a interrogée : horiek behar bai eta ezpada ! Il faut ça à tout prix ! Sous entendu, à moi... 
Oui, c'est sûr, quand on est éleveur, plus ou moins professionnel, soucieux de production et de rentabilité, on peut bien se demander à quoi rime cette paire de velles insignifiantes, juste bonnes à salir l'étable, comme disait un autre : ehia zikintzeko gaina zer... Et à fuguer chez le voisin, pour couronner le tout.
Si mes velles sont mon caprice, assumé, je ne veux pour autant pas qu'elles perturbent alentour. Je dois prendre les mesures nécessaires à circonscrire leurs ébats dans mon périmètre.
Je n'attendais pas les évasions du côté de cette clôture là. Il va donc falloir reprendre celle-ci aussi.
J'apprends alors qu'elles ont du tomber dans l'angle où une cuve posée en surplomb peut en effet constituer une aire de chute, même au travers de fils ronce, insuffisants à contenir une masse de plusieurs centaines de kilos.
Aïe... Là aussi, il va falloir parer.
Je vérifie ainsi l'adage selon lequel le danger se présente rarement là où on l'attend !

Subséquemment à ces péripéties, une première décision s'est imposée : TtonytaPetra seront cantonnées dans l'étable fermée tout le temps des travaux de sécurisation. 
Dès le lendemain, hier, j'ai contacté notre fabricant de piquets. Un petit délai d'une quinzaine lui sera nécessaire pour épointer la bonne centaine dont je vais avoir besoin. Mes travaux seront ajournés d'autant, évidemment.
TtonytaPetra connaitront ainsi l'hivernage, comme les générations de vaches d'Agorreta avant elles. J'en serai quitte pour les étriller longuement, histoire de les garder à peu près propres.
Enfermées depuis jeudi midi, elles ne mouftent d'ailleurs pas. Elles doivent être suffisamment riches d'une vie intérieure divertie, pour supporter d'être ainsi brutalement privées de liberté, sans se plaindre de rien.
Je vais descendre aux soins.

Cette après-midi, soulagée de mes jambiers maintenant moins raides, j'ai poussé une pointe jusqu'au bois de l'anglais-espagnol. Près du circuit aménagé entre les arbres, un tapis de violettes frissonnantes terrées au ras du sol parle déjà de printemps. Les derniers jours si cléments ont trompé les petits bulbes enterrés. Là, surprises et froissés par le vent vif, les corolles se chiffonnent. Le soleil pâle donne en plein sur ce versant protégé. Aux meilleurs heures, elles s'étireront plus confortablement.



Dimanche 9 janvier 2022 10h






Txief me donne quelques soucis. Ce petit chien si nerveux, toujours à l'affût, jamais tranquille, s'use avant l'âge. Après vérification, je me suis étonnée qu'il n'ait avec sa sœur qu'à peine plus de dix ans. Je le croyais plus vieux. Bullou est en pleine forme. Même Lola, l'aînée d'une triennale, se porte comme un charme.
Celui-ci, toujours tremblant, toujours tendu sur les jarrets, semble présenter quelques difficultés urinaires, déjà. Je vais voir dès demain s'il y a moyen d'améliorer tout ça, ou s'il faut se résigner à l'usure d'une mécanique sursollicitée par un tempérament trop anxieux.
Je prendrai les mesures nécessaires, dans la limite du raisonnable. Je n'ai pas l'intention de traîner mes chiens dans une vieillesse pénible.
Pour Txief,  nous n'en sommes pas là, me semble-t-il. Il ne manifeste pas de douleurs. S'il avait mal, je suis bien sûre qu'il s'en plaindrait vite, ce petit. Il a eu dans sa jeunesse quelques accidents de parcours : une petite plaie à la gorge, après avoir trop goulument avalé une bouchée, entre autres. Plus une gêne qu'une véritable souffrance, d'après le vétérinaire. Pour lui, pourtant, il se sentait à l'article de la mort, prostré, le dos arrondi en un arc étroit.
Txief grogne vite, parce-qu'il a vite peur. Il retrousse ses babines, comme prêt à mordre. Quand je le prends pour lui faire  avaler un médicament, il donne tous les signes d'un chien menaçant. Je sais que je ne risque rien. Du moins, jusqu'à maintenant, jamais il n'a mis ses menaces à exécution. Pour autant, cet animal est parti pour faire un bien vilain vieux...


Lundi 10 janvier 2022 11h


Je mène cet après-midi Txief chez le vétérinaire. 
La soirée d'hier et la nuit ont été secouées de volées venteuses violentes, et d'abats d'eau importants. Pas de dégâts à déplorer par ici. Bêtes et gens sont en hivernage. La cour ne s'anime que d'hordes pluvieuses.
Là, le temps paraît se calmer. Le plafond gris sur la baie se hausse.
TtonytaPetra sont au sec. Les chiens au chaud. Moi au calme.


17 h

Mon Txief devrait retrouver ses bonnes manières de jeune homme, dans les jours à venir. Bien.

Au retour de chez le vétérinaire, j'ai croisé un vieil homme et son très vieux chien. J'ai déjà vu ces deux là, dans les parages de Marizabalenia. L'homme et la bête se trainent, par tous les temps. On ne sait pas au juste qui tire l'autre, tant leur équipage fait peine à voir. Un jour, j'ai même cru le chien mort, allongé à terre, aux pieds de son maître penché sur lui. Mais non, cahin-caha, ils sont repartis tous les deux, à petits pas misérables, pareillement vieux et pareillement las. 
Je suis bien sûre que cette sortie journalière est leur jauge. Ils doivent mesurer à la distance parcourue leur forme, et leur espoir d'un lendemain meilleur, pour quelques pas de plus, quelques mètres de mieux. Le vieil homme et son chien, en toute fin de vie tous les deux, s'exhortent et s'accrochent l'un à l'autre. Je me demande si le vieil homme n'attend pas que son chien meure pour lâcher la rampe à son tour. Pour ne pas le laisser seul derrière lui. Pour ne pas rester seul sans sa bête.

J'ai peaufiné mon plan Ménière. Je ne veux surtout pas considérer l'ouvrage comme un travail à rendre. J'y mets une once de rigueur, mais je suis bien sûre de déraper à la moindre occasion. Le monde n'attend pas après moi pour tourner. Ceux que mes écrits amusent ou intéressent, ils savent où les trouver. Pour tous les autres, il leur suffit de ne pas regarder de mon côté. 
Ainsi, je ne me sens obligée de rien, et décidée à jouer, encore et toujours, avec les phrases et leurs mots.
 L'histoire n'est que prétexte. Un éditeur me l'avait bien dit, il y a longtemps : en littérature, le fond n'est rien, c'est la forme qui compte, puisque tout n'y est que fioritures. Pour autant, ma prose déjà légère ne l'avait pas suffisamment convaincu pour prendre mon manuscrit en vue de publication. Alors déjà, je n'avais pas grand chose de bien intéressant à raconter. Mais je le faisais avec plaisir, et d'après cet homme de l'art, un certain talent. Pas assez, sans doute, pour qu'il me suive, le bougre ! Il voulait juste se montrer gentil, et ne pas me décourager.
Je compense cette  frustration sévère dans ce "bloc"...
Exonérée par cette sagesse raisonnable, où j'ai descendu la barre suffisamment bas, je chemine, vaine et légère.
Je ne m'attarde pas sur ce que je dis, je préfère m'amuser de comment le dire... En ce bas monde où l'éloquence vaut raison, je peux bien faire de l'esbrouffe, moi aussi !


Vendredi 14 janvier 2022  11h13


Le déjeuner cuit dans le four. La pièce de devant s'en réchauffe. Au travers des verres qui n'en sont pas, le soleil fait aussi monter en température. Nous préférons quand-même le doux confort de l'appartement, pour le moment, vielles carnes frileuses que nous sommes devenues.

Les journées sont magnifiques, typiquement hivernales : petits matins givrés, quand ce n'est pas gelés, mitans de journée adoucis au soleil, et crépuscules ciselés sur des ciels purs du couchant.
Je suis scrupuleusement la trajectoire solaire, quand je suis à la jardinerie. Ici, je sors plutôt l'après-midi, pour quelques travaux légers en extérieur. 
Ces jours-ci, je prépare évidemment le chantier clôture. J'ai avec aisance dévissé les isolateurs, tiré des piquets bien dociles à la traction dans une terre encore détrempée. Dimanche, avec Olivier, nous allons œuvrer à la consolidation à gauche. Pour la fin de semaine prochaine, armés d'une fourniture de qualité, nous pourrons, si le temps se maintient au beau, aligner le flanc droit. 
Cette après-midi, je compte déposer, en vue de plantation, les piquets usagers aux endroits où le fil ronce baille, sur la clôture existante, le long de la prairie, front gauche. Je vais aussi préparer la sécurisation de la cuve, d'où les petites ont basculé jeudi dernier, dans la cour à la sortie de l'étable.
Je laisse pour la semaine prochaine le marquage au sol, à intervalles étudiés entre chaque futur piquet, côté droit. Le givre, ou quelque averse intempestive, mettront la peinture à mal, si je m'y prends trop tôt.

Je m'étonne d'attendre aussi sereinement. On m'a fortement conseillé de déléguer l'ouvrage principal. Je me demande pourquoi mes hommes préfèrent que je ne sois pas là...
Je me fais très bien à cette inaction : puisqu'on me demande d'être paresseuse, je peux le devenir, ou le rester, sans me morigéner. 
Je prends décidemment une tournure bien passive...


17h50

Je me suis acquittée impeccablement de ma tâche. Les piquets n'attendent plus qu'Olivier pour être plantés.
En fin d'après-midi, j'ai allongé ma promenade, jusqu'aux souches fantasmagoriques, au bout du chemin aux noisettes. Les chiens n'étaient pas venus dans ces parages depuis un moment, bloqués par leur patronne cahotante dans un périmètre restreint.
Nous cheminions paisiblement. Le talus à notre droite se hissait pour happer le soleil bas.
Les chiens, tout heureux de toutes ces odeurs inédites, furetaient dans les ronces.
A un moment, Lola lève la tête, tend le museau, en direction d'un point un peu en hauteur. Le talus est raide, à cet endroit, et les ronces serrées. Elle ne se risque pas à grimper plus haut.
Derrière elle, Bullou, en alerte, n'hésite pas, elle. Je la vois se faufiler, museau au ras du sol, les yeux fermés et  oreilles plaquées, pour éviter de se faire trop griffer par les lianes agressives.
Là, elle marque l'arrêt, et, d'un coup d'un seul, bondit dans le fourré dru. Je m'arrête de marcher, intriguée. 
Aussitôt, une masse s'élance, en un mouvement lourd mais vif, plein d'un élan énergique.
Je distingue la silhouette d'une bête assez grosse, en plein bond, devant ma Bullou qui lui a déjà arraché une touffe de poil laineux. Je pense voir un gros agneau, maculé de boue, terré dans les ronces grises et brunes, à l'approche des chiens. Le pelage de l'animal gris et beige, se confond dans la végétation, parfaitement. 
Quand la bête s'élance dans les airs, je la  vois mieux. Ce n'est pas un agneau, non. C'est un lapin, énorme ! Sa robe mouchetée est bien celle d'un lièvre. Sa taille est gigantesque ! Il est bien plus gros que ma Bullou. Elle l'a pris en chasse. Il saute sur le chemin, traverse, s'élance dans le ravin où l'eau coule, de l'autre côté. Txief vient à la rescousse de sa sœur. Au passage, lui aussi a arraché une bouchée de poils qu'il éternue : il a besoin de tout l'air pour sa course.
Je perds de vue mes deux chasseurs, disparus dans les fourrés épais, à la poursuite effrénée de leur proie. 
Lola n'a pas suivi le mouvement. Elle a bien perçu l'action, mais se dirige dans le sens contraire, complètement désorientée.
Je n'ai jamais vu un lièvre de cette taille. Peut-être une vieille femelle gestante. Elle bondit,  lourde de sa masse, mais suffisamment leste encore pour échapper à mes chiens.
Ils me reviennent, bredouilles mais contents, de l'autre côté de la clôture. Nous la longeons un moment de part et d'autre, jusqu'à un endroit où, effondrée, elle me laisse attraper mes chiens par dessus. Ils me font fête, se secouent, me pistachant de boue.

La lumière est belle. L'air encore doux.
Je sens mes jambes tirer un peu. Je reprends l'effort en douceur. Cette affaire là s'arrange gentiment.

Les dernières lueurs ocres s'aplatissent maintenant sur le Jaïzkibel. Je descends à l'étable.
TtonytaPetra sont bien calmes. Elles mangent, se couchent, ruminent, méditent. Elles ne se retournent même plus quand j'ouvre la porte métallique, pour vider les brouettes de fumier.
Ces bêtes ne cherchent pas trop loin leur contentement. Panses repues, au calme, elles ne réclament rien de plus.
Bien des fois, je me dis qu'une telle tournure d'esprit me simplifierait bien la vie...



Dimanche 16 janvier 2022  9h







TtonytaPetra sont au calme. Rassasiées, elles ne demandent pas à sortir.






La journée est belle, pourtant, et elles seraient mieux dehors.
Je ronge mon frein, quand elles ne s'impatientent de rien.

Mon alignement au ruban attend les piquets. Ils sont prévus pour la fin de la semaine.
Nous avons de quoi faire en attendant, du côté gauche.
Certains piquets, soulevés par les bêtes quand elles passent la tête entre les fils barbelés, doivent être retapés. Les derniers renforts que j'ai faufilé vendredi doivent être plantés, pour qu'on puisse y arrimer le fil ronce trop flottant à ces endroits. Les deux troupeaux ont leurs points salon, où les vaches aiment se renifler, ou jouer de la corne, plus ou moins gentiment. Là, il faut retendre tout ça, refixer correctement là où les crampons manquent.

 
Olivier se charge du travail difficile. A grands coups de masse, il enfonce les pieux. Je n'ai plus qu'à clouer derrière lui.




Pour la fin de matinée, nous avons révisé l'ensemble de la clôture.
Elle s'allonge, droite comme un tir de balle.

Quand nous aurons réussi son pendant, je pourrai relâcher TtonytaPetra, de manière plus sécure. Elles ne bondissent tout de même pas comme des fauves, toutes jeunes et impétueuses qu'elles soient !
Je n'aurai plus le souci du bon fonctionnement de mon appareil électrique, d'un piquet tombé dans l'herbe avec le ruban, neutralisant le passage du courant, ou d'une tentative d'évasion couronnée de succès.
Je suis pépiniériste, éleveuse d'occasion. Bricoleuse de circonstance. Je fais tout ça avec un égal bonheur, mais une réussite moins égale.
Je vais fragmenter, en m'appuyant sur des compétences mieux avérées.
Comme on le dit si justement : chacun son métier, et les vaches seront bien gardées.
Que le ciel nous entende...


Mercredi 19 janvier 2022  16h30


Je reviens d'"en ville", armée de mon équipement marquage. Je suis tombée en panne de bombe ce matin. Le ciel alourdi de gros nuages sombres, une brume condensée en gouttelettes légères, m'ont fait remiser tout ça jusqu'à vendredi. Au sec, avec le soleil pour faire monter en température suffisante à la bonne prise de la peinture, j'œuvrerai plus efficacement. La toise est prête, même espacement que la hauteur finale des piquets enfoncés : 1.35m. 
Pour dimanche, lundi au plus tard, je pourrai ressortir TtonytaPetra. Je ne voudrais pas qu'elles me  virent à la neurasthénie, par carence de luminescence, dans l'étable sombre, particulièrement par une journée comme celle-ci.
Je vais profiter de ce créneau libéré pour cause d'intempérie, pour me pencher sur les livres pris à la bibliothèque, histoire de rentabiliser ma course citadine.

Sur la semaine dernière, quelques sensations vertigineuses m'ont ramenée à une humilité maintenant constitutive. Quelques tournis, une séquence image frénétique incontrôlable sur plusieurs secondes, un crochetage de nuque saisissant, une ou deux fois, qui m'aurait joliment fait valdinguer, si je n'avais pas trouvé d'appui dans les parages immédiats.
Un lever très désagréable lundi matin, où, la tête sans doute trop penchée en arrière sur la fin de nuit, j'ai mis plus d'une heure à retrouver les plans verticaux et horizontaux tels que connus et pratiqués en situation ordinaire.
Je ne m'affole plus de ces symptômes. Ils ne me jettent pas chez le kinésithérapeute. J'ai renoncé aussi au Tanganil. J'en ai consommé des boîtes et des boîtes. Je sais par expérience que, s'il peut parer aux premiers désagréments, il fait durer la phase de récupération plus longtemps.
Là, j'attends simplement que les choses reviennent à la normale. Ce qui finit par arriver. Le fait de ce retour à la normale de plus en plus rapide, me conforte dans ce doux sentiment d'être sur la voie de la guérison.
Ainsi, lundi, j'ai passé une excellente journée. Quelques courses le matin, une visite à la petite Montbéliarde. Une crevure misérable, mignonne, attendrissante. Elle veut vivre, mange tout ce qu'on lui présente. J'ai failli encore une fois succomber, la ramener à Agorreta. Et puis non, le bon sens m'a rattrapée. Le bon sens et l'image de TTonytaPetra, paire indissociable et parfaite. 
Une virée avec Olivier à Ibardin, où nous n'avions pas mis le pieds depuis plus de deux ans, a achevé de me distraire de cette tentation. La petite sangria, l'assiette combinée abondamment garnie, un Tiramisu à se damner, accompagné de sa boule de glace à la noisette et couronné généreusement d'une Chantilly bien épaisse et drue. Ce flagrant excès de gourmandise m'a fait craindre des représailles. Et puis non, la soirée paisible, une petite diète salutaire, ont éloigné mon Maudit Ménière.
Pour cette fois...

Sept mois ont passé depuis la dernière crise. A cette cadence, la maladie se fait très supportable. je suis confortée dans mon idée d'aller vers le mieux, vers la fin... de ce maudit Ménière !




Dimanche 23 janvier 2022  11 à 18 h





Je contemple depuis ma fenêtre mes clôtures impeccables. La prairie est parfaitement bordée, à droite, au fond, et à gauche. Solidement fermée, surtout !

Les Trois  Mousquetaires locaux et mon chevalier landais ont œuvré rondement samedi matin. Pour le début d'après-midi, la nouvelle clôture s'étirait, rectiligne, scandée des traits blancs des coupes d'acacia, et rutilante du galvanisé flambant neuf. Tout ça se grisera au fil de la saison.

Quand je suis rentrée de la jardinerie hier au soir, il faisait trop nuit pour y voir.
Olivier m'a raconté tout ça, la journée productive, le travail bien mené par une équipe parfaitement huilée.
Ce matin, j'ai pu vérifier le bien fondé de son contentement.





Deux autres très intéressées à la vérification, ce furent TtonytaPetra.
Ces deux petites incorrigibles se sont précipitées, dès que je les ai lâchées, vers la gauche, là où la nouvelle clôture les a bloquées.
Elles l'ont arpentée sur toute sa longueur, examinée sur chaque mètre, jusqu'à étudier soigneusement le portail.
Dépitées d'être ainsi contenues, elles ont même essayé de se hisser par dessus la murette ! Aucune des vaches d'Agorreta, et il y en a eu quand-même quelques unes, depuis que l'ancien grillage surplombant cette murette est tombé en morceaux rouillés, n'a eu cette idée. Elles étaient pourtant pour la plupart bien plus hautes que TtonytaPetra. Bien plus sages, surtout...
J'ai paré, allongeant deux lignes de barbelé à l'endroit où la déclivité du terrain leur était favorable.
Là, vraiment, si elles arrivent encore à sortir, je rends mon tablier !


Lundi 24 janvier 2022  19h


La journée a été bien douce, après ce froid vif.
J'en ai profité pour agrémenter mon talus en fond de cour. Petit à petit, j'organise là un joli petit bordel, entre pots dépareillés de guingois, et plantations anarchiques. Ca peut rendre très coquet, genre jardin de curé, ou alors désastreux. J'attends de voir, et de corriger s'il le faut.

TtonytaPetra continuent de longer leurs nouvelles clôtures. Elles sont comme ces adolescents en révolte, à tenter sans cesse de repousser les limites. Leurs dernières tentatives de fuite, couronnées de succès, les ont suffisamment chavirées pour en aggraver leur frustration actuelle d'autant.
Elles s'y feront. 

J'ai quelques craintes pour mes châtaigniers, en fond. Il ne faudrait pas que, par compensation, elles s'y attaquent. Pour le moment, elles slaloment entre les plants, sans faire aucun dégât.
Je vais dans la semaine vérifier les fourreaux, desserrer quelques liens devenus trop étroits, rajouter du tubage là où le bourgeon terminal affleure.

Cette modeste prairie et ses occupants, animaux et végétaux, me monopolisent à plein. 
Je laisse le désherbage des bords pour le mois de mars, quand la température sera suffisante pour la bonne absorption du produit par les adventices alors en pousses encore tendres.

Chaque jour, dans la même aire, je construit mon tas de fumier. Une légère ligne oblique me contrarie. J'ai toujours eu des ennuis avec la géométrie dans l'espace. Partant droit, j'arrive souvent tordue. Mon sens si particulier de l'équilibre m'empêche sans doute d'appréhender les alignements correctement.
Qu'à cela ne tienne ! Mon tas déviait résolument de la parallèle. Prévu nord sud, il virait à l'est. J'ai repris l'ouvrage, ajouté un sous-bassement à l'angle incongru. Pour le moment, ça n'est pas bien probant. J'ai le résultat fini en tête, tel les grands architectes incompris dans leurs avancements, jusqu'à temps que l'édifice terminé laisse tout le monde bouche bée...

Nous n'y sommes pas. Nous avançons, confiants. Il sera toujours temps d'être déçus, quand il n'est jamais trop tôt, pour espérer.



Mercredi 26 janvier 2022 18h30


Les derniers roses strient le ciel juste au dessus du flanc sombre du Jaïzkibel.
Il fait toujours aussi beau. Les journées sont parfaites, claires, vives, toniques.

J'ai cet après-midi vérifié mes châtaigniers, dans le détail. Les bourgeons renflent. La renaissance sourd de la terre, prête à exulter, irrépressiblement. Je tâte ces bois vert-dorés. Je sens sous l'écorce encore fine le mouvement de la sève, repartie à l'assaut.
Mes arbres forcissent. Je desserre les liens, là où ils commencent à les comprimer.

TtonytaPetra s'intéressent vivement à mon activité. Elles me suivent, reniflent les tubes que j'ai descendus. Oui, parce-que si mes arbres forcissent, TtonytaPetra, elles, grandissent. 
Si je ne fais rien, pour ce printemps, en tirant un peu du col, elles arriveront à grapiller les bourgeons tendres, sur les branches les plus basses. Mes plants sont formés en tige, sur une hauteur d'un petit mètre quatre-vingt. Leur tronc enroulé dans les fourreaux de protection, les ramures déployées au dessus, étaient hors de danger. Jusque là...

Aujourd'hui, j'ai repris leurs silhouettes, pour les hausser sur des tiges plus longues. J'ai eu un petit pincement à couper net des couronnes joliment agencées. Ma taille a méchamment défiguré mes châtaigniers, ne leur laissant qu'une branche plus ou moins droite, allongée pathétiquement vers le ciel pur. Comme en prière.
Là encore, comme pour mon tas de fumier, j'imagine le résultat final. Puisqu'il faut en passer par cette étape douloureuse pour y arriver, je ne barguigne pas. 
J'ai emmailloté la branche rescapée dans un troisième tube de protection. La nouvelle couronne pourra démarrer de là, à plus de trois mètres. Pour le coup, à moins que TtonytaPetra ne soient croisées de girafes, ça devrait suffire à la préserver.
Quand j'ai eu redressé le plant, en le liant serré contre le tuteur, l'ensemble avait déjà meilleure allure.



Pour les plus jeunes sujets, ceux plantés l'automne dernier à la place de ceux qui n'avaient pas repris la saison précédente, je me suis contentée d'allonger un second tube au dessus du premier. Le scion poussera là dedans, et se laissera guider, jusqu'à tant que je lui laisserai la liberté, plus haut, bien plus haut.

Mon bosquet en devenir m'occupe bien agréablement. TtonytaPetra se sont montrées très attentives à mes travaux. Un peu trop, peut-être : j'espère ne pas voir dans les jours prochains mes plants renversés par leurs jeux brutaux. 
Cela signerait alors pour elles un nouvel étrécissement de leur pacage, puisqu'alors, je clôturerais aussi devant les châtaigniers.
Décidemment, si elles ont goûté le sel de l'aventure, des augures plus strictes les menacent.
Pour le moment, elles ne s'intéressent pas à mes châtaigniers : elles ont mieux à faire !





Il en va ainsi de l'éducation, où il faut savoir poser des limites claires et bien comprises, là où le naturel incite la jeunesse fougueuse à les repousser chaque fois un peu plus...









Après ce petit chantier si plaisant, j'ai promené les chiens dans le bois de l'anglais-espagnol.
J'ai observé ce jeune châtaignier là, parti à la conquête de la lumière, au travers de la ramure d'un très vieux chêne. La tige du jouvenceau s'allonge sur plus de dix mètres. Mais ne suffit toujours pas à transpercer le réseau des branches du chêne. Je me demande même si le vénérable ne s'est pas ragaillardi, de cette concurrence insolente. Rameutant ses dernières forces, il s'est auréolé de ramilles hirsutes sur toute sa périphérie. L'ombre sous lui sera plus épaisse encore. Et le jeune châtaignier devra faire son chemin là dessous, comme il le pourra, le pauvret.

Un peu plus haut, une souche d'acacia renversé laisse voir, comme des pierres fines serties dans un bijou, deux cailloux parfaitement imbriqués dans le bois chantourné. Ces deux là ne font plus qu'un avec les racines, minéral et végétal mêlés intimement.




Un rouge-gorge virevoltant nous  fait un brin de conduite, poitrail bombé d'un orange qu'il tourne coquettement vers les derniers rayons du soleil bas.
Des chiens aboient dans le lointain. Les miens dressent des oreilles inquiètes.
Une brume bleutée s'allonge dans les creux assombris du crépuscule.

J'ai eu une belle journée.


Vendredi 28 janvier 2022  18h40


Je ferme les volets sur le froid humide. Il fait assez jour encore pour voir les bateaux blancs sur l'eau de la baie.

Ma journée d'hier m'a hachée menue. J'ai du en presse faire de la place pour un camion de végétaux annoncé mi-mars, et finalement avancé à la semaine prochaine, pour une quelconque raison de logistique. Depuis le Covid, il y a pénurie de plantes, et les fournisseurs nous font des caprices de stars. Nous ne pouvons que nous y plier, bien contents encore qu'ils daignent nous approvisionner.
Mon petit millier et demie de fruitiers me tendait ses lignes à déplacer. A raison d'une dizaine de kilos par conteneur, au bout de la journée, j'ai réorganisé les deux tiers de mes planches. A demain soir, je devrais être au bout de mon affaire.
Mes ischio-jambiers en voie de rémission ont évidemment senti passer la manœuvre. Au soir, je ne sentais plus ni mes jambes, ni mes épaules, surchauffés par les tiraillements incessants.
Je pensais vraiment être complètement raidie, ce matin. Dans la nuit, quelques élancements vifs auguraient mal de la suite. Et puis non. Ca allait, pas trop mal, presque bien.

Ce matin, après les soins à TtonytaPetra, un petit-déjeuner en compagnie fraternelle a sursollicité mes oreilles, cette fois. La discussion animée de débats pourtant ordinaires résonnait durement contre les poutres, et dans mes vésicules auriculaires.
Résultat des courses, quand tout le monde est parti, un bourdonnement sourd vrombissait dans mes oreilles. 
La fatigue d'hier, le vacarme de ce matin, c'en était trop : en un millième de seconde, j'ai senti le sol se dérober sous moi, comme si on avait retiré brutalement sous mes pieds un tapis sur lequel je me tiendrais debout. Tout s'est mis en mouvement affolant dans mon espace, une arête de mur, la cornière d'un meuble, le carreau du sol. 
J'avais la sensation que tous ces éléments se jetaient sur moi, ou alors m'aspiraient à eux, tant mes perceptions étaient chavirées, incapables de me donner une information sensée. Mes pressions internes et l'environnement extérieur à mon corps étaient également anarchisés.
Je suis coutumière de la crise paroxystique. 
Je sais très bien que c'est mon mécanisme auriculaire interne, complètement bouleversé par des transferts désordonnés dans des vésicules affolées, qui  met mon monde complètement sens dessous dessus. 
Pour mon cerveau, il n'y a plus alors ni haut ni bas, ni droite ni gauche. Plus rien n'est stable, tout est mouvement frénétique, danger, aspiration vertigineuse, ou rejet brutal.
Pour autant, toute ma science ne suffit pas à arrêter le phénomène. Tout au plus à le raccourcir, ce qui n'est déjà pas mal.
Cette fois encore, j'ai eu la chance de ne pas me cogner trop durement, en me jetant au sol, raide comme un bout de bois, quand j'ai l'impression que c'est lui qui bondit vers moi. Un petit ange alerte doit veiller sur ma vieille carcasse...
Le relevé est difficile. Les membres flageolent, tremblent. Une petite nausée crispe les entrailles. Une sueur mauvaise coule dans l'échine. Le bourdonnement cogne durement dans toute la tête et dans la gorge.
Je respire, le plus calmement possible, accrochée comme une perdue à la table solide. L'image arrête de sauter. Les choses reprennent leur place autour de moi, et dedans.

L'expérience m'autorise maintenant à réintégrer un personnage opérationnel assez rapidement.
Dans l'heure suivante, le cours de ma journée reprenait tout à fait normalement.
Les causes avaient produit leur effet. Ma petite personne payé son tribut aux mauvais traitements.
Nous étions quittes, eux et moi.
Demain, je tâcherai de m'épargner. Mon chantier est suffisamment avancé. Et je trouverai bien un ou autre collègue pour m'y aider.



Lundi 31 janvier 2022  10h






L'or noir des pauvres transhume vers les jardins partagés. Ce genre de projets est totalement dans ma sphère, et recueille toute ma sympathie. Je suis satisfaite d'y participer, même de loin. Satisfaite aussi de savoir mon fumier utilement réutilisé. Ainsi, ma petite activité d'élevage traditionnel rayonne plus large, et plusieurs familles en profitent, par ricochet.


17h30

Après une tentative de percée ensoleillée en milieu de journée, le mauvais temps a repris le dessus. Le vent souffle, assez fort pour mieux faire ressentir le confort douillet de l'intérieur, et pas trop pour en devenir inquiétant.
Les deux derniers jours, un brouillard particulièrement épais nous a isolés du monde. Cantonnés dans un horizon bouché, nous aurions tout aussi bien pu être à l'intérieur des terres, bien loin de la côte. 
Cette idée d'être loin de la mer m'a toujours semblée plus sécurisante que la proximité de l'océan. L'eau m'inquiète, me paraît dangereuse. La mer, ses lames violentes et ses fonds insondables, soulève en moi une petite terreur persistante. Même quand je vois dans mon paysage cette longue barre bleue étale des beaux jours, je me dis que là dessous s'ourdit sûrement une menace.
J'imagine qu'une situation plus continentale nourrirait la peur atavique des ruées invasives barbares, ou d'une irruption volcanique, tant ces peurs viennent de moi, et non de mon environnement, plutôt quiet, si l'on pense aux désordres climatiques et autres du reste du monde.

A la ferme, à l'heure où j'écris ces lignes, tout est parfaitement calme.

TtonytaPetra sont couchées dans leur paillage bien sec. Elles sortent le matin, autour des dix heures, pour une promenade extérieure hygiénique. La panse remplie de foin, elles grapillent l'herbe froide et mouillée de la nuit, sans se jeter dessus. Quelques bavardages avec les cousines plus tard, une ou autre séance de broutage encore, et l'heure vient de penser à rentrer. Elles remontent dans le champ, marquant des pauses contemplatives pour admirer le paysage. Elles manifestent toujours leur déconvenue en longeant la nouvelle clôture, mais se résignent à leur enclos, par force.
Là, elles me sont revenues dès 16 heures, mouillées, contentes de leur sortie, mais toute aussi contentes de retrouver leur étable. Quand je suis à la jardinerie, Antton leur distribue leur ration du soir, en fin d'après-midi. Comme ça, à mon arrivée plus tardive, autour des 20 heures, elles ont mangé, et attendent, rassasiées, mon étrillage. 
Elles et moi, nous en sommes à ce stade gratifiant, où nous avons calqué nos rythmes et nos usages sur une routine confortable pour chacune. Nous ne nous étudions plus. Nous nous pratiquons, confiantes et mutuellement satisfaites.
TtonytaPetra ont maintenant neuf mois. Elles sont à Agorreta depuis sept. Notre apprentissage commun a été rapide, fluide. Quelques écarts inévitables ne me les ont nullement disqualifiées.
Si tout va bien, nous avons beaucoup de bons moments à partager encore, durant les années à venir. Nous construirons jour après jour ce lien de l'humain à la bête, où l'homme reconnaît dans l'animal son primitif, où l'animal se subordonne à l'homme, en lui confiant  sans réserve son bien-être.

Je termine ma chronique mensuelle.
Dans un semblant de trame, je pense maintenant m'en tenir à ce calendrier.
Je m'éduque à une petite discipline. Cela me servira pour mon livret parallèle sur le Ménière.
Je m'y attelle mollement. J'ai sûrement cette idée d'être moins légère quand on parle de la maladie. Même si cette maladie là n'est pas grave. Elle reste une maladie, quelque chose qui vous fait la vie moins jolie.
J'ai pourtant l'intention ferme de traiter ça d'un point de vue optimiste. Le mien. Celui de celle qui vit au mieux avec, et pense avoir tiré deux trois leçons pas inintéressantes du truc.

Nous verrons bien. Si je m'y ennuie, j'en ferai autre chose...

La lumière baisse, dehors. Ici, les chiens dorment. 
Le busard qui se perchait sur le grand pylône maintenant enlevé a choisi un piquet de la clôture en face pour s'y poser. Lui perd en hauteur. Moi, je le vois mieux, avec sa tête ramassée, son bec puissant, son plumage bigarré et ses serres crochues. 
J'ai disposé sur la rambarde de mon balcon une soucoupe abritée avec des graines pour les oiseaux. Pas sûr que l'endroit soit bien choisi, si près d'un rapace pareil...

Je vais passer un moment à l'étable. En bas, on entend moins le vent. L'impression y est d'une caverne protectrice. Mon dispositif de récupération de l'eau des fuites me donne la satisfaction trompeuse d'avoir eu le dernier mot. Ne serait-ce que celui de la capitulation.