vendredi 14 mai 2021

30 avril au 14 mai


Vendredi 30 avril  2021  16h44


Cette chronique sera-t-elle celle de mon emménagement ?

Si je tiens le rythme mensuel, cela devrait.

Pour le moment, j'en suis au statuquo entre deux tranches de travaux. L'appartement est fin prêt. Les branchements domestiques sont prévus courant mai.

La partie grange et étable est en devenir. Les hirondelles perchées ne semblent pas se douter du ramdam prochain. Quelques jours de bruit et de poussière, et mon nouvel horizon s'ouvrira.

Je vivais l'année dernière les derniers jours avec mon père.

Je vis maintenant les derniers jours dans la vieille ferme. Là où je vais, l'empreinte des miens est ancienne, aussi. Le mur de pierres de la bergerie fonde l'embase du bâtiment. Je resterai adossée, soulevée, imprégnée, à, par, et de, cette histoire familiale. Prisonnière volontaire. C'est là que je me sens bien. C'est là que je veux continuer de vivre, et finir, le jour venu, si l'augure m'en est laissé.

Hors d'ici, point de salut pour moi.

Mes tentatives de sortie se sont toujours soldées par un retour.

Les Landes, déjà, il y a trente ans,  m'avaient détournée un moment. Pas plus d'un été, je crois.

Rivière, cet hiver, m'a paru séduisante de sa forêt et de mon homme. Le temps d'une saison d'eau.

Chaque fois, je suis revenue. Mes racines sont ici, et mon histoire m'y retient.

Je m'y sens bien, confortable comme le goret dans la vase d'une mare tiédie. Mes rares  et molles aspirations à l'exil ont toujours tourné court. 

Notre mode de vie familial m'a pesé, parfois. Et je comprends facilement qu'il puisse paraître étouffant. Moi, j'ai besoin de cette gangue, de ce poids sur et autour de moi.

Je compte quand-même faire de la place à un plus large cercle, à partir d'ici. M'ouvrir à quelques amies délaissées, libérer des plages temporelles et spatiales en orbite plus éloignée de ma planète-mère.

Sans m'en détacher jamais, semblerait, puisque j'en suis incapable.

Le petit monde d'Agorreta s'est reconstitué en plusieurs satellites semi-indépendants.

Ma charge mentale s'est soulagée de ce délitement. 

Mon petit monde devient plus léger. Il babille autour de quelques arbres, quelques bêtes, quelques gens.

Ca paraît peu de choses. Pour moi, c'est largement suffisant.


Dimanche 2 mai 2021 7h15


Grand beau temps sur le monde. Les petites pluies de la semaine ont fait du bien. A défaut d'avoir pu boire son saoul, la nature s'est au moins rafraîchie.




Nous avons hier soir avec Olivier remarqué ce nouveau couple d'hirondelles, fraîchement arrivé.





Ces deux là ont de l'âge. Leurs poitrails s'arrondissent largement. Elles sont plus grosses que les premières jeunettes. Depuis le surplomb au dessus de la porte du garage de la Clio (qui n'y est plus depuis longtemps, mais a laissé sa trace dans la sémantique locale), elles regardent vers la grande porte de l'étable. Je la garde fermée, pour décourager les candidats de ce côté là.

Un court moment d'observation nous suffit pour constater que cette paire est plus entêtée encore que les précédentes : voulant rentrer dans l'étable, elles virevoltent bas dans la cour. A un moment, l'une des hirondelles vient durement butter contre la vitre de la porte fenêtre, ici, juste à côté du grand vantail fermé. Sonnée, elle tangue au redémarrage, puis retourne se percher sur le rail, en face.

Ebranlée par la violence du choc, presque autant qu'elle, je décide :

- On va les laisser entrer, et refermer derrière elles. Demain, elles auront pris le pli de passer par le fond.

Olivier soulagé approuve mon plan. Il supporte difficilement, comme moi, la souffrance animale. Sitôt le volet ouvert, nos deux deux elfes bruns s'y faufilent à la vitesse de l'éclair.  Quelques pirouettes de reconnaissance, et elles se perchent côte à côte sur la cabine de Karrarro.

Nous les regardons, attendris, benêts.




A peine quelques minutes plus tard, l'une d'elles est dans un nid resté là. 

Les précédentes avaient ignoré celui-là, et je l'avais laissé en place, puisqu'il n'attirait personne. Ces hirondelles-ci sont donc les occupantes en titre des lieux. Dans la population hirondelle, le code de la propriété est strict : on ne s'installe pas chez les voisins, même s'ils tardent à rentrer de vacances, et quand-bien même, sa propre maison  détruite, on se retrouve SDF. Le squat sauvage n'a donc pas cours, ici.

Ou alors, ces deux là sont les caïds de la troupe, de véritables terreurs qu'on ne se risque pas à offenser. Leur nid est comme l'antre de l'ogre, on ne s'en approche pas.

Je respecte le temps de repos de ces voyageuses tardives. Je délogerai ce nid-ci dans quelques jours, quand les hirondelles se seront remises de leurs contrariétés.

Nous les regardons un moment, gazouillant de contentement. Ou alors s'invectivant les unes les autres comme des poissonnières à la criée. Je ne suis pas sûre de savoir démêler le langage hirondelle...


Mercredi 5 mai 2021  19h


La campagne est rincée de sa poussière blanche. Tout paraît lavé, frais, net.

J'ai retrouvé avec plaisir mon talus de myosotis aux fleurs blanches et roses piquetées parmi les bleues.

La matinée s'est suspendue dans l'eau têtue en bruine légère. Un peu d'eau de plus, c'est toujours bienvenu. Puis, le soleil a fait rutiler toutes les couleurs printanières en éclats joyeux.

Puisque je suis à jour dans mes petits papiers, je vaque sans presse. Et retrouve des occupations délaissées, faute de temps mal employé. En tête de liste, la lecture. 

Je n'ai pas grande culture livresque. Je choisis mes livres à la bibliothèque, sur la table des nouveautés, ou en tête des travées. On m'en prête. Je n'ai pas la connaissance de la plupart des auteurs, je ne suis pas du tout au courant des sorties littéraires. 

Il me tombe dans les mains ce que la chance veut bien y mettre. Un titre, quelques phrases parcourues en diagonale, je ne m'attarde jamais longtemps. Mon choix est vite fait. Je reviens avec ma provision, persuadée que je tiens sous le bras plusieurs heures agréables. Et je déchante rarement.

J'ai l'impression ces derniers temps de laisser filer de ces choses pourtant importantes, en ne transcrivant pas mes petites découvertes au jour le jour.

Dernièrement, par exemple, Le livre de Ted Chiang, "Expiration", m'a fait explorer des possibles captivants, avec ses humanoïdes robotisés. Nos portables greffés comme des appendices devenus indispensables nous y mènent tout droit, sans aller chercher bien loin...

Le libre arbitre, le hasard, les occurrences, la mémoire, notre condition d'hommes capables de dompter la technique, ou pas, tous ces volets m'ont paru intrigants, et insondables.

Les livres ouvrent des mondes et vous les mettent dans les mains. Je retrouve cette manne d'un plaisir à portée, quand un bon livre vous tient.

Mon inculture me fait terre vierge où toute graine peut germer. J'accueille tout avec le même enthousiasme. Comme je ne prends que des ouvrages mis en avant par de bien plus savants que moi, je ne prends pas grand risque. 

Tout de même, la production littéraire est vaste, et son empreinte profonde.  La plupart des livres que je lis me plaisent. Quelque chose m'a attirée en eux, qui ne se défausse pas. Plus rares sont ceux qui me captivent, au point de culminer à la première place des pensées dans mes journées.

Cette "Expiration" en fut bien une, comme on souffle après une expérience audacieuse et troublante.

Mes jours prochains feront, je le pense, une meilleure place à ces aventures là.



Vendredi 7 mai 2021 11h30


Je me suis octroyée une dernière journée au calme de la vieille ferme, en juif.

Je veux aujourd'hui profiter seule de cet espace bientôt partagé à d'autres.

La deuxième tranche des travaux dans le fond commence lundi. Je m'éloignerai du bruit, arpentant la montagne avec mes chiens. 

J'ai hâte de voir le rendu des opérations. Sans être pressée de sortir d'ici.

Je suis adepte des ruptures tranchées et incisives. Là, le calendrier m'impose des lenteurs inconfortables. Je ne peux m'y soustraire, et prends le pli d'y trouver un agrément déniché dans les coins.

Quand je serai installée là haut, j'imagine qu'en quelques jours à peine, je m'y sentirai familière.

J'y aurai plus de soleil, plus de lumière. Plus d'un confort plus moderne.

Je garderai sans doute la nostalgie sépia de l'ambiance vieillie d'ici. Comme on garde la nostalgie de tous ces endroits où notre enfance insouciante a marqué dans nos mémoires son empreinte lumineuse.

Je parle comme si mon exil prenait pied sur un continent lointain....

Ma littérature mélodramatique se pane de ces mièvreries là.

J'apprends à peine maintenant à la contenir dans ce "bloc". 

La préparation du prochain déménagement a été l'occasion de refeuilleter certains documents, professionnels, administratifs. Ma propension à une "poésie" le plus souvent acidulée, quelquefois sirupeuse, me saute maintenant aux yeux.  Mes circonlocutions prétentieuses devaient bien agacer les destinataires de mes épitres. Et le contenu, pourtant légitime, en être passablement pollué.

Je ne me dédie pas. Je me relis avec tendresse. Tout en donnant quitus à mes détracteurs bien fondés à s'exaspérer.

J'aurai moins l'occasion maintenant de ferrailler ainsi. Mes joutes s'appauvriront. 

Je garderai le goût des tournures ampoulées, et déverserai ma marmelade ici. Là où ceux qui viennent l'y chercher savent à quoi s'attendre, et moi la première.

Pour le reste, un brin de sobriété ne nuira pas.

Tout de même, je ne vais pas m'assoir dans une caisse en bois posée au milieu de la cour, en attendant qu'elle me devienne cercueil. Je vais continuer de gambiller dans ma petite tête. Rester la petite fille débordante d'une imagination exaltée, même dans un corps vieilli, tout juste capable de tenir debout, entre deux tangages et un roulis.

Les chiens soupirent de bien-être, lovés près du poêle allumé.

Dans leurs yeux vieillis aussi, je puise tout l'amour du monde. Les bêtes donnent leur affection profonde et inaliénable, sans conditions, indéfectible. Mes bêtes me font compagnie et ne me jugent jamais. Elles me suivent et approuvent tout. Ce n'est peut-être pas toujours un service à me rendre, quand je m'égare. Mais je ne peux pas attendre d'elles ce qu'on espère d'un ami loyal : qu'il soit un confident bienveillant, mais sensé. J'ai la chance d'avoir ça, aussi, en magasin.

Pour mes bons chiens, je suis leur maîtresse, et c'est à moi de diriger notre destin commun. De recevoir leur affection, et de leur faire la vie douce en retour.

Je vais tâcher d'être le bon chien de moi-même, tiens. D'être toujours partante pour mes errances joyeuses, et de ne pas m'en vouloir de leur inanité. Etre à moi-même une confidente bienveillante m'est à portée.  Sensée, c'est beaucoup me demander...

"Je est un autre" écrivait Rimbaud. "Je" suis douze dans ma tête. A m'y perdre moi-même !


18h50

Je reviens du champ où mes quatre châtaigniers restent muets. J'en serai quitte pour les remplacer par mes plants d'ici.

Une petite pause auprès de June allumée de miel dans sa robe caramel plus tard, me revoici aux fourneaux. Enfin, au clavier.

Une joyeuse tablée a fait retentir sous le plafond haut de la vieille cuisine les éclats de rire d'antan. Notre fratrie se retrouvera autour de la table ronde, ici et là-haut.

Nous préparons une prochaine réunion administrative. Un de ces derniers dossiers que je voudrais bien  refermer revient en haut de la pile. Mon engagement y est plus distant, même si je reste vite remontée en proue, quand on m'y invite.  Et le carton n'a pas besoin d'être bien grand...

Entre accorder les pianos, non, les violons, (sans pisser dedans), mettre les pendules à l'heure, régler nos montres ou nos comptes, les remettre à zéro, pour mieux redémarrer d'autant, nous nous sommes emballés dans une sarabande bienfaisante.

La semaine prochaine à cette heure, mon rapport de la journée nous rendra gloire ou dépit.


20h40

Une jolie conversation dans le soir,  avec une mienne nièce, aux rayons bas du soleil pas encore couché.

Les mécanismes de nos petits cerveaux, cette génétique familiale imprégnée d'histoires complexes, gaies ou douloureuses, nous sont sujet d'étude captivante.

Pour moi, mon petit cervelet est une mécanique alambiquée. Les faisceaux nerveux basiques, ces nerfs transmetteurs d'informations en circuits simples entre un organe, une viscère, un muscle, et son récepteur, sont naturellement usés. Sursollicités peut-être pour certains, puisque ma vision, mon ouïe, particulièrement, anormalement défaillante pour mon âge, me le racontent comme ça. Ou alors mal conçus dès la fabrication pour durer. Mon obsolescence programmée sonnerait déjà à la porte ? Non.....!!

La bulle de niveau régente de l'équilibre physique est mollette, imprévisible. Mon monde est mouvance, ma terre aussi instable qu'une mer.

Le réseau transmetteur émotionnel a subi quelques surchauffes dévastatrices. Quelques dents des rouages de nos profondeurs intimes, inopérantes depuis le départ, ont manqué à certains amorçages. Les pignons ont tourné en roue libre, la courroie de transmission a sauté, fumé, dans ces engrenages là.

La molécule amortit les cahots, quand l'information doit faire un saut, par dessus le cran manquant. Le circuit parallèle mis en place par la chimie est moins chatoyant que l'initial, évidemment. Il est loin le temps où mes transmetteurs pleins de l'énergie de la jeunesse sautaient fougueusement au dessus du vide. Les réceptions devaient être périlleuses, mais bon, je retombais à peu près droite quand même.

Quand là aussi les sur-sollicitations ont sapé le réseau, il a fallu ramener le saut à un petit bond, puis, à un pas prudent.

Je me souviens avec nostalgie de ce temps d'avant l'usure. Une douce mélancolie atténue mes regrets. J'ai eu la chance de cette vie intense, et je l'ai saisie à pleine mains. Je ne l'ai pas gâchée.

Je ne gâcherai pas plus la suite. C'est mon vœu, pas pieux.


Lundi 10 mai 2021 18h45


Ce qui devait marquer le branle-bas de combat sur Agorreta, a finalement été une journée d'une exquise douceur.  Les artisans ont fait relâche. J'ai pu faire repos.

La journée a été magnifique, vernissée de la végétation lavée. Les pluies de la semaine dernière, l'orage, hier soir, ravivent la nature et la font exulter.

En rentrant de la jardinerie, hier soir, j'ai sursauté aux éclats fracassés d'éclairs fantastiques frappés sur le ciel de plomb. 

Nous avions le matin avec Olivier mis en place une offensive antifuites sur la terrasse. Ce maudit suintement humide nous nargue. A chacune des averses de ces derniers jours, même toute petites et ténues, une gouttelette clairette s'est arrondie à l'angle de la poutrelle à ourdies. J'avais à un moment tenté une parade, étalant tant bien que mal une bande de polyane le long du muret en haut. 

Mes espérances du concours naturel de la poussière, du vent, de la mousse amie, n'ont pas, malgré leur ferveur, rameuté le succès.  Ces éléments conglomérés auraient pu concourir à colmater la fissure. Ce petit miracle s'était produit, juste en face, sur l'autre pan de mur.  Mais non. Ce qui avait si bien marché de l'autre côté paraissait ne pas vouloir advenir sur ce versant-ci. Quel dommage...

Dernièrement, Olivier a tartiné la zone incriminée d'une épaisse couche de goudron poisseux. Il avait au préalable enlevé mon plastique chiffonné. A la première averse subséquente à l'opération, le verdict est tombé : échec, et fuite.

Agacée de cette avanie persistante, je suis revenue à mon film d'étanchéité. 

D'après moi, le premier essai n'avait pas fonctionné, parce-que je ne l'avais pas correctement mis en œuvre. Je me souviens avoir fait ça vite fait, par une fin de matinée où le temps me pressait. J'avais à la hâte déposé sur le côté les lourdes dalles bétonnées, soulevé les plots de soutien, positionné une bande de film à ensilage à la va-vite, et remis plots et dalles en place, avant de redescendre fissa-fissa, préparer le déjeuner.

La fuite, jusqu'alors conséquente, s'était effectivement bien résorbée, mais pas tout à fait.

Ma crainte, en confiant la manœuvre à Olivier, était que ce qui jusque là n'était pas parfait, mais pas trop mal quand-même, n'empire, et ne revienne à l'état antérieur : une petite cascade d'eau vive, crépitant dans l'auge réceptionnaire placée stratégiquement juste dessous.

Je n'écartais pas la possibilité riante d'un succès total. Ma terrasse, redevenue parfaitement étanche, ferait pour mon futur jardin d'hiver un plafond bien sec.

La réalité comme souvent se coula entre les deux projections : la fuite y était toujours, mais ne s'était pas aggravée.

Là, j'ai décidé de ne pas barguigner : nous allions enlever les dalles sur une bonne moitié de la terrasse, disposer académiquement une bâche à bassin bien épaisse sur l'asphalte sûrement fendillé, et recouvrir tout ça. Le film bien plaqué, remonté sur les côtés, parerait toute fuite future. La pente de la terrasse enverrait l'eau collectée sur la toile vers le trou d'évacuation. Tout irait pour le mieux, dans le meilleur des mondes.

J'étais tout à fait confiante. Nous avions programmé ça pour hier, dimanche.

Samedi soir, quand je rentrai de la jardinerie, je vis à la mine d'Olivier, rentré à la ferme dans l'après-midi, qu'il y avait un hic.

Pour avancer le travail, il avait ôté les dalles. Et voulu enlever les plots. Devenus adhérents à la toile asphaltée. Aïee !!! 

En tirant précautionneusement sur les socles en plastique, rendus cassants par tant d'étés bien chauds, et d'hivers gelés, il soulevait le revêtement dessous. Notre intervention s'avérait plus compliquée qu'il n'y paraissait. 

Toujours adepte du "sinon soigner, au moins ne pas nuire", nous décidâmes d'abandonner l'idée de placer le film imperméable sous les plots. Si nous commencions à tirer sur cet ensemble fragile, nous ferions bien plus de dégâts que nous n'en réparerions jamais.

Je proposai de remettre les dalles en place, et de recouvrir le tout de caoutchouc. En gros, d'inverser les couches du mille-feuille. Le résultat serait le même. Esthétiquement, évidemment, ça se défendait moins bien : une terrasse bâchée de noir, c'est assez moyen. Qu'à cela ne tienne, arguai-je à Olivier sceptique, nous mettrons du gazon artificiel par là dessus, et le tour sera joué !

Tiens donc... la méthode d'étanchement de terrasse brevetée Agorreta. Et pourquoi pas ?

Ne voulant pas rester sur une impression de défaite, nous retournâmes ensemble sur la terrasse, samedi soir, alors que le soleil rubicond plongeait derrière le Jaïzkibel. 

Nous remîmes les lourdes dalles en place. Etendîmes ma bâche. Je trouvai Olivier un peu trop pressé, pas suffisamment soigneux. La bâche était à plat, à quelques centimètres du mur. L'eau gouttant le long de la paroi s'infiltrerait évidemment dessous. Ca n'allait pas ! 

Il se mit à ronchonner. Je me mis à maugréer.

Le vent du sud se levait, boursouflant la bâche étalée. Olivier remonta quelques pièces de bois, pour éviter l'envol. J'étais sceptique. La lombaire me tiraillait déjà de l'effort en fin de journée. Je capitulai.

Dimanche matin, la bâche était froissée en un vilain boudin chiffonné.

Nous reprîmes notre ouvrage, avec plus d'application. Olivier toujours dubitatif ne me semblait pas assez coopérant. Ce chantier ne nous fédérait pas suffisamment. 

Je devais aller travailler l'après-midi. Je re-capitulai. Notre bâchage était quand-même meilleur que celui de la veille. 

Jean-Michel, écoutant nos péripéties d'Agorreta, s'étonna de ce procédé, s'interrogeant sur le fait que personne ne paraissait l'utiliser. Et alors ? demandai-je Est-ce une raison suffisante que personne ne l'ait fait, pour que cela ne se puisse faire jamais ? Que deviendrait l'innovation, si tous, et chacun, nous nous contentions de refaire ce que d'autres ont déjà fait ? Sans jamais pousser l'audace à aller ailleurs, plus loin, autrement ?

Emportée par mon enthousiasme, je regardais s'approcher l'orage avec gourmandise. Oublieuse de mes doutes du matin, j'étais persuadée de l'efficacité de ce procédé que je venais de défendre avec feu. L'eau tomberait du ciel, sur ma bâche, et plus sous le plancher. C'était à ce moment là pour moi affaire entendue.

Le retour à la ferme doucha mes belles certitudes. Olivier, mon mari marri, m'informa en me menant à l'auréole : la gouttelette tomba dans l'auge : floc. Imperturbable, froide, insupportablement prétentieuse, à fouler aux pieds nos meilleures tentatives.

Nous remontâmes à l'étage. La pluie s'était arrêtée. La bâche avait bougé, soulevée par le vent, déplacée de quelques centimètres. Ah ! je tenais mon explication. Olivier consulté se rebiffa : non, nous n'allions pas reprendre ça maintenant ! Puis, lui aussi vexé par ce sort contraire, saisit la bâche à un bout, pour la remettre en place. Le vent était tombé, ça devrait tenir.

Toute cette affaire nous avait énormément contrariés. Cela nuisait à l'harmonie de notre couple, vite enflammé par ces petits bricolages où chacun de nous deux s'estime légitime, et met vite en doute les capacités de l'autre. 

Le chantier en cours nous fait bon lit de mésententes acides. Olivier pense que quand nous serons installés, toutes ces tensions s'assagiront. 

J'examine cette espérance posée devant moi, dubitative. Décidée quand-même à la nourrir, puisque seule cette foi nous libérera des tristes certitudes terrestres.

J'ai repris tout ça ce matin, seule. Je pense avoir fait un meilleur travail. J'étais bien, au grand soleil.

Les artisans annoncés sont ajournés. 

J'ai eu ce même sentiment de vendredi, de savourer ce calme dans la ferme tranquille.

Les hirondelles ont finalement réussi à nicher de ce côté-ci,  dans un trou de mur, et dans un angle reculé de la charpente. Une troisième paire s'est enfin décidée à loger dans le fond, sur une dérivation plastique. Alléluia !!

J'ai refoulé le quatrième couple installé dans la petite salle de bain, sur le luminaire.

Ces petites hirondelles vont me rendre chèvre. Mais elles sont tellement jolies !

Tout à l'heure, en disposant un bouquet de berces sauvages et de vieilles roses, l'une d'elles, posée sur le buffet tout à côté de moi, me regardait, sa fine tête penchée sur le côté. Le luisant de son plumage, la grâce de sa silhouette, ce petit œil malicieux, tout ça me chavire...

J'attends la prochaine pluie.

J'attends le maçon.

J'attends la suite de mes opérations.


Mercredi 12 mai 2021  16h


La bourrasque se calme. J'irai par les champs tout à l'heure.

L'affaire de la matinée a encore et toujours tourné autour de la fuite sous ma terrasse. Mon beau travail de lundi ne s'est pas révélé satisfaisant. L'auréole sous l'ourdie s'est de nouveau élargie, le soir, à la première averse. Pas plus qu'avant, à peine un peu moins, même je dirais. Mais là, bien présente, toujours, et quand-même. 

Je n'ai pas pu résister à la tentation d'y aller voir, avant de me coucher, lundi soir, quand j'ai entendu la pluie tomber. J'y croyais, pourtant, persuadée avec mon bâchage protocolaire d'avoir circoncis la fuite. Je m'apprêtais à confirmer ma satisfaction anticipée, en montant l'escalier. C'est le meilleur moment, dit-on d'autres circonstances. Je veux bien le croire. Parce-qu'arrivée en haut, je déchantai : l'ombre humide planait sur ma prochaine nuit qui n'en serait pas quiète.

J'aurais pu fuir la confrontation, la remettre au moins au lendemain. Garder dans un doute raisonnable la visée optimiste d'une réussite fragile. Et bien non : je me suis pourrie la soirée, dépitée d'avoir failli, encore une fois.

Je ne deviens pas obsessionnelle de cette fuite. Elle me mobilise. Et occupe mes heures creuses. Puisque le maçon est repoussé à la semaine prochaine, je peux vaquer dans le coin, profiter de l'environnement bien agréable, dans le grand calme d'avant les tempêtes.

Mon insuccès m'a navrée, lundi soir, mais point tout à fait abattue. Je suis dans une bonne passe. Je prends ce désagrément comme un passe-temps plaisant.

Pour ce mercredi matin, j'avais programmé le bâchage du mur. L'enduit fendillé pouvait être devenu poreux, au point de laisser passer un filet d'eau suffisant à alimenter une petite source dormante sous l'asphalte. Cela expliquerait l'inopérance de mon bâchage de sol : l'eau arrive par le mur, sur le côté, non par le haut. Elle s'infiltre sous le revêtement bitumineux, et tombe dessous. 

En protégeant le mur,  je parerais,  d'après moi, à cette entrée là.

L'eau a ceci de terrible qu'elle se montre bien là où elle sort, mais ne laisse pas facilement deviner par où elle entre, quand elle décide de se montrer joueuse.

Ce matin, il faisait parfaitement beau. Le ciel était pur, la brise amicale, et la baie de Fontarrabie magnifique.

Lestée d'une nouvelle bâche, et de quelques sacs de sable pour la maintenir plaquée sur l'arête de la murette, je remontai, sur la terrasse, à l'attaque.

Je déposai mon chargement sur les dalles.

En me penchant de l'autre côté du muret, j'avisai la descente des eaux de pluie, juste à ma gauche. Elle donne sur un chéneau de zinc. Je vérifiai scrupuleusement la qualité du dit zinc : pas de trous, pas de dévers. Une lèvre un peu brève, peut-être, sous la rangée de tuiles. Côté muret, un rebord maçonné galbe parfaitement le métal ourlé.

Regardant de plus près, je notai une humidité persistante, sous le becquet, côté tuiles. Me représentant la cascade d'eau collectée là, je pouvais imaginer un flot nourri, quelque peu bondissant, prompt à enjamber la lèvre peut-être un brin trop mince.

C'était une possibilité, parmi tant d'autres. 

Histoire de varier les plaisirs, je décidai derechef de sursoir à la pose de ma seconde bâche. Je verrais cela plus tard, si c'était nécessité.

En première intention, j'allais m'attaquer à ce front là. Canaliser cette descente d'eau, la mener plus bas, là où elle pouvait se déverser sans risquer de déborder, me semblait facilement réalisable. Il suffisait d'emmancher un tuyau au niveau de la chute, et de le rediriger dans le chéneau, plus bas, là où le zinc en s'élargissant capterait davantage d'eau.

Je me mis en quête de matériel, dans les différentes remises de la ferme et des environs. Aller quérir un tuyau chez le marchand me paraissait bien ordinaire, et sans agrément.

Une première tentative avec un coude de réforme un peu trop grand fut jugée irrecevable. Une jonction mieux adaptée mais sans possibilité de rallonge me laissa circonspecte. Je retournai en recherches, truffe au sol.

Je dénichai enfin la perle rare : une ancienne gouttière zinguée, d'une longueur protocolaire, à peine vrillée. 

Beñat m'assista dans le transport de l'engin. Nous remontâmes la cour, notre gouttière sur l'épaule. Nous la fîmes glisser sur les tuiles. Je la réceptionnai par le haut, introduisis l'embout fermé par un petit mouvement de torsion sous la bouche de la descente existante. Le tour était joué !

Il fallut redresser ici ou là le métal assoupli par l'usure. Une pierre grise assura le maintien en bout de course.

Cela nous prit un bon moment, et nous amusa tout ce temps.

Au moment où j'écris ces lignes, la grosse bourrasque n'a pas délogé notre dispositif. Il n'a pas plu assez pour se prononcer sur une réussite établie.

Nous attendons, doigts croisés.

En cas d'insuccès, j'aurai encore le recours du mur à bâcher.

Et après, après, il sera temps de consulter des maîtres en ouvrage. Ce par quoi j'aurais peut-être du commencer.

Ne soyons pas si vite découragés. Tout ne se réussit pas, et ce qui se réussit  ne le fait que très rarement au premier essai. 

Comme disait l'autre :

il n'est point nécessaire d'espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer.

J'espère, et je persévère !


Vendredi 14 mai 19h40


Il a un peu plu hier. Assez pour ruiner mes espérances de réussite antifuite.

Qu'à cela ne tienne : je n'ai pas dit mon dernier mot !

Dès potron-minet ce matin, j'ai mis à exécution mon plan B, relégué par fantaisie en C.

J'ai étendu ma seconde bâche le long du muret, du haut et jusqu'en bas.

Nous avions à faire en ville, ce matin, avec mes frères. Une réunion sur le plancher, ventre à terre, autour de documents jetés là. Inédit, étonnant, mais pourquoi pas ?

Une belle averse a crépité sur la place. 

Une heure après, au retour ici, je me suis précipitée au grenier : l'auréole gouttante de la fin de nuit ne pleurait plus. Mais, ici, avait-il plu ? Les flaques de la cour me renseignaient mal : elles pouvaient être de la nuit. 

Il faudra confirmer dans les jours prochains, quand l'ourdie restera sec, alors qu'au dessus tombe la pluie.

Le doute demeure, jusqu'à la conclusion protocolaire de l'affaire. Tout de même, les meilleurs espoirs sont permis.

Notre belle foi soulèverait des montagnes. Ne suffira-t-elle pas à arrêter un filet d'eau ?

L'hirondelle enfin lovée dans le nid chez Antxo me dit bien que oui !