vendredi 31 décembre 2021

24 novembre au 31 décembre

Lundi 24 novembre 2021  11h

Mon horizon depuis l'intérieur se pare des couleurs éclatantes d'une magnifique journée d'automne.



 Ici, il fait bon.
J'ai bouclé mes intendances et préparé le déjeuner.
Un petit créneau écriture s'ouvre à moi.

Je retrouve le calme, dans cet endroit lumineux où chacune de mes aspirations se cale au mieux.
Un petit coup de pouce de la pharmacopée aide aussi. J'ai suffisamment expérimenté les tenants d'une résistance active. Je cède à une facilité peut-être coupable. 
Je m'en veux à peine, trop peu pour m'en tenir grande rigueur.
Les abdications en tous genres pleuvent autour de moi. 
Je me prépare à dériver. Le calendrier m'y autorise.

En chemin, je suis bien décidée à profiter du paysage.

J'ai entamé dans ma pépinière le chantier tailles hivernales.
Une commande ambitieuse de fruitiers me tend de longues rangées de plants à former.
J'aime ce travail. Je préfère y œuvrer seule, paisiblement, sans presse. 
Je tire un plant, le penche sur le chariot. Ces fruitiers avoisinent et dépassent parfois les 2 mètres. Un coup d'œil aux bourgeons renflés, en pointes étroites ou larges, ou alors arrondis, selon qu'ils donneront du bois, des feuilles, ou des fleurs. J'ajuste une hauteur de taille harmonieuse, en tenant compte de la silhouette générale, et du port recherché. Du doigt, je parcours les bourgeons, et je sélectionne celui à bois, au dessus duquel je vais tailler, en biseau tourné vers l'intérieur.
A cette saison, les quelques feuilles restantes s'accrochent en bout des branches, et tombent dans la caisse du chariot, en une masse moelleuse. Je finis d'enlever celles qui restent sur l'arbre. 
Cet effeuillage amuse beaucoup mes collègues : les feuilles tomberont bien toutes seules, me disent-ils avec justesse. Oui, je crois bien m'en souvenir. Pour autant, les conteneurs ne se nettoieront pas tout seuls, eux, quand au travers du tapis épais des feuilles amassées autour des collets, les herbettes émergeront, douillettement. Il faudra bien y revenir, et déloger dans le même temps les amas coincés entre les conteneurs. 
Mon travail fait sourire, mais j'en sais la pérennité. Alors, plus sourde encore que je ne le suis, aux quolibets, je continue, imperturbable, ma tâche d'envergure.
A hier, j'ai terminé une planche, et attaqué la seconde. Les cerisiers déjà presque dénudés sont faits. J'en suis aux abricotiers. Autant le bois lisse des premiers se laisse parcourir en une glissade voluptueuse, autant l'abricotier, même jeune, est facilement noueux. Il faut veiller à ne pas blesser les bourgeons fragiles, très rapprochés, et serrés en groupuscules drus.
Je retrace les lignes, reclassant par variétés, là où les clients ont mis du désordre.
J'ai ensuite en vue les pruniers. Viendront après les pêchers, puis les poiriers, dans l'ordre de la chute naturelle des feuilles. Les pommiers sont encore verts. Je finirai pas eux. Au rythme de mon avancement, ils seront bien à temps de se dénuder d'ici lors.
Dans mon chariot, les feuilles incendiées s'entassent, en un coussin pourpre et or.  Au fil de la journée, la lumière tombe, une laitance trouble le halo des projecteurs au dessus de moi. Je superpose à nouveau les couches vestimentaires enlevées au fur et à mesure de la montée en température. 

Hier, il faisait froid. Mon activité est plutôt statique. Agréablement engourdie sous la masse de mes vêtements bien chauds, j'ai travaillé avec plaisir, en toute sérénité.
J'ai retrouvé cette sensation d'il y a plus de cinquante ans : je désherbais un rang de poireaux d'hiver. Ma mère avait du me mettre là histoire de m'occuper. Elle ne supportait pas l'oisiveté, ni pour elle-même, ni pour les autres.
Cette portion de potager était sous le poirier derrière les hangars. Il faisait sombre, sans doute un jour de pluie, ou la fin de l'après-midi. J'étais emmitouflée confortablement. Accroupie dans le rang, je travaillais, mollement, toute à une méditation tranquille. Je serais bien incapable de retrouver mes pensées de ce jour-là. Je n'avais pas mon "bloc" ! Mais je garde vif le souvenir de cette sensation d'être détachée de toute contingence, d'être protégée dans cet isolement, comme dans une bulle de bien-être.
A tant d'années d'intervalles, la sensation est bien la même.

Et, comme alors, elle laisse doucement descendre en moi une paix profonde.
J'y retourne demain. Je continue, si d'autres tâches plus pressantes ne me requièrent pas. 


Vendredi 26 Novembre 2021  16h16


La journée sombre n'incite pas à sortir.
J'irai après, vite fait, histoire d'aspirer quand-même une grande goulée d'air frais.
Les grosses pluies de la fin de nuit d'hier cavalent encore dans les rigoles. Les températures ont bien baissé. C'est la véritable ambiance hivernale.
TtonytaPetra sont restées dans l'étable fermée, hier. Les coups de vent secouaient fort, à l'heure de mon départ vers la jardinerie. Là, elles sont encore dehors. La pluie les rince. Elles rentreront au soir, toutes propres, bien confortables dans un paillage sec. Je les étrillerai, pour faire mousser leurs pelages nettoyés.
La configuration de l'étable ici, de ses issues, autorise les permissions de sortie, même par mauvais temps. Dans la vieille ferme, quand je laissais cette même porte ouverte sur le champ, l'appel d'air avec l'autre porte, en bout, rendait l'étable bien désagréable à traverser, au sortir de la cuisine.  Le vent froid pinçait. Le volet battait. On ne pouvait pas le garder fermé, c'était la seule source de lumière.
TtonytaPetra profiteront de cet avantage. Hors les journées vraiment mauvaises, comme hier matin, je pense les laisser libres de sortir.

Je me suis consacrée aujourd'hui à mes formalités médicales, et socio-professionnelles. Je prépare ma fin de carrière, bien à l'avance, toujours très anticipative. Je sais bien combien mes projections trop précoces sont souvent mises à mal par les aléas d'un temps plein de tergiversations. Je sais aussi intégrer cette inconnue dans mes prévisions, lui laissant un bon champ d'action.
Puisque mon présent est impeccablement organisé, je peux bien me distraire à courtiser l'avenir, dans l'idée illusoire de me l'amadouer, peut-être.
Je verrai bien. En attendant, cela me donne l'occasion de rencontres agréables, d'ordinaire, et fructueuses, parfois. Pour celles où quelque rébarbatif me désarçonne...

Un gros nuage de plomb lourd chevauche le Jaïzkibel.
Je vais faire un tour d'étable. TtonytaPetra sont en approche.


Mercredi 1er décembre 2021  10h00








Le ciel plombé rehausse les dorés dans les feuilles des chênes. Sous ma fenêtre, le poirier à fleurs s'empourpre. Ce sera un très bel automne pour les amateurs de couleurs profondes.


15h40

Le plomb a fondu en averses de plus en plus drues.
TtonytaPetra sont ressorties, après une séance au sec dans l'étable. Elles mènent leur vie comme bon leur semble, libres d'aller et de venir. J'ai solidement calé les vantaux de la porte métallique. J'en tire un seul. Il est bien assez large pour les deux petites et de cette manière, le mauvais temps s'arrête au seuil. 
Depuis l'intérieur, on se sent tout à fait bien abrité... si l'on ne s'avance pas vers la remise, où les gouttelettes vous ramènent à une vulnérabilité horripilante.
Avec Olivier, nous tentons de circonscrire les fuites, depuis la cour, en haut. Nous colmatons quelques points où la bâche s'écarterait du mur, entrouvrant une lèvre où l'eau se faufilerait vite en brèche. Jusqu'à l'averse suivante, nous espérons, fervents, la réussite d'une intervention dont nous doutons pourtant.
Immanquablement, l'échec nous attend, sardonique. Qu'importe ! J'ai toujours en visée ma théorie d'une étanchéisation naturelle. Il ne suffit que d'attendre, le conglomérat d'éléments suffisant à dérouter l'ennemi aqueux. Au moins, les fuites ne s'aggravent pas. Dans mes moments enthousiastes, je dirais même qu'elles s'atténuent. Que le ciel m'entende !

Mon travail de taille à la jardinerie piétine. Plusieurs livraisons m'ont mobilisée. 
J'aime aussi ces mises en place où l'agencement des jauges requière quelque inventivité. Mes collègues y sont souvent plus imaginatifs que moi. Quand je me dédie à la seule présentation efficace des végétaux, en carrés aux associations certes étudiées, mais sans plus,  ils se font plaisir à composer des massifs où ils disposent les plantes en arabesques, certes bien jolies, mais plus difficiles à démêler par le client. C'est bien simple, nos jauges en deviennent intimidantes de beauté, et y prélever une plante semble sacrilège... 
Là encore, plusieurs écoles s'affronteraient, si je ne cédais pas si facilement le terrain. Pour moi, les conquêtes sont faites !
Mes journées travaillées, je les veux agréables. Je m'acquitte de ma tâche de la meilleure manière, pour qu'elles le restent.

Le ciel semble reprendre un peu de hauteur, au dessus du Jaïzkibel étiré devant moi.
Je vais m'équiper pluie pour sortir.
Une mienne nièce s'annonce pour la soirée. Ca nous fera l'occasion de quelques bavardages, autour de TtonytaPetra rentrées alors pour la nuit.



Lundi 6 décembre 2021  11h30


Vite fait, je jette une note. 
Les deux derniers jours ont été météorologiquement épouvantables. De brusques volées venteuses, sur un fond continu d'agitation, annonçaient des averses de grêle aux grains amassés sur les monts en couverture blanche.
TtonytaPetra sont restées deux jours à l'attache, bien au sec dans l'étable assombrie d'une lumière chiche.
J'ai expérimenté mon logis et ses dépendances par gros grains. Je suis satisfaite : rien ne bouge, rien ne bat ni ne tremble, aux violentes secouées venteuses. Les portes métalliques sont bien calées. Les battants des volets bien ajustés sur leurs crochets. 
Nous avions avec Olivier amarré les tuiles. La configuration ici est celle d'une proue, en première ligne face aux tempêtes océaniques. Toutes mes issues ont tenu leur rôle. Même la remise s'est vaillamment comportée. J'ai pour l'occasion inauguré une parade en caisses de polystyrène, disposées géométriquement, pour une contre-attaque esthétiquement acceptable. On se demande en arrivant sur zone ce qu'elles font là : le ploc sec et percutant  répond bien vite...

Aujourd'hui le temps est plus calme. J'ai à faire en ville, cette après-midi. 
Là, mes convives s'annoncent pour le déjeuner.


17h

Une brume en gouttelettes estompe la baie.
J'ai anticipé mes directives, pris des mesures de protection future.
Avec tout ça, j'ai l'impression d'être bien à jour dans mes petits papiers. Vivre prêt à l'inéluctable autorise à vivre bien. Quand refuser de penser à sa mort ne l'empêchera jamais...
Toujours dans mes idées légères, je maintiens un bon moral !

La journée d'hier à la jardinerie fut bien physique. Près d'un sapin à la minute, à présenter, remettre en filet, et charger sur le chariot du client, avec son petit ticket d'identification. Nous étions trois. Un gaillard, un moins gaillard mais vaillant quand-même, et moi-même, n'en valant plus qu'une moitié. C'est dire qu'arrivés au soir, tous courbés mains sur les genoux, nous nous pensions grands sportifs d'après l'épreuve ardue.
Les soins à TtonytaPetra furent vite expédiés. Une bonne douche bouillante et une longue nuit de repos après, je me sens remise de ma fatigue, à quelques courbatures près.
Cette fin de semaine sera encore bien dense, aux sapins.
Moi, je vais "charcutailler" paisiblement, ici, forte de mes horaires aménagés.

Pour le moment, TtonytaPetra, emperlée de pluie en suspension, s'approchent de la rampe. Elles ont profité de leur journée au plein air, après la fin de semaine où elles sont restées enfermées. 
A aucun moment elles ne se sont plaint : ces deux beautés là sont des pépites, toujours contentes de leur sort. Jamais elles ne se disputent à la mangeoire ou au râtelier, comme le faisaient les Neskaks précédentes. Alors, les deux noires avaient le dessus, et les deux autres devaient attendre qu'elles soient rassasiées pour pouvoir manger à leur tour. Celles-ci, elles se bousculent parfois un peu, l'une passant la tête sous le cou de l'autre, pour prendre sa place, et l'échanger avec la sienne. Les deux mangent, côte à côte, sans suprématie ni soumission.
C'est un grand confort pour l'éleveur de ne pas avoir à intervenir entre ses bêtes. Qu'elles fassent leurs vies en bonne entente lui assure la tranquillité.
Ma paire aurait pu être divergente, et difficile à mener ensemble.
TtonytaPetra sont deux velles en une entité cohérente. 
Pour moi,  une logistique sans plus de peine pour un plaisir redoublé.


Vendredi 10 décembre 2021  18h20


Le temps persiste dans sa rage mauvaise. Il est tombé des trombes d'eau, hier, poussées par un vent violent. J'ai du ce matin réajuster quelques lests sur des points où ils paraissaient mis à mal. 
La mauvaise surprise m'est venue d'une infiltration d'eau le long du mur de l'étable, côté intérieur, suintant jusque dans l'auge. 
Je me suis souvenue qu'en effet, ma belle Ederra et les suivantes, placées là, pâtissaient de ce désagrément, aux jours exécrables d'hiver. Elles ne s'en émouvaient pas plus que ça : d'abord, parce-que c'était très exceptionnel, ensuite, parce-que l'entrée est vraiment minime. Tout de même, dans ma nouvelle tournure d'élevage, cette ombre mouillée m'a vilainement pincée, quand Petra pour sa part n'en a manifesté aucune gêne.
Pour ce soir, à les voir toutes deux si sereines, couchées bien au sec, je me suis rassérénée. 
J'ai ce matin reçu ma troisième injection anti-covid. Je suis parfaitement à jour. Mon agenda de fin d'année s'élargit, vide, comme une plage vierge.

Le vent ne se calme pas. 
Quand il aura son content, celui-là aussi, rassasié, il laissera la place.



Samedi 11 décembre 2021   18h







Enfin un joli crépuscule !
Après une pleine semaine de tempêtes quotidiennes, les cieux retrouvent un peu de quiétude et nous la dispensent.



Lundi 13 décembre 2021  10h







Les paysages retrouvent leur splendeur. L'épisode venteux a enlevé l'or des feuillages, et assourdi les coteaux en roux plus sombres et fauves profonds.

Tout le monde est sorti au soleil revenu. Le dimanche, hier, a tiré les familles en extérieurs. Chacun était assoiffé de belle lumière, d'air enfin sec.
Les intempéries n'ont pourtant pas tant duré. Leur ressenti a vite lassé.

Avec Olivier, nous avons poussé jusqu'à la promenade de la baie, roulée autour du port de plaisance aux mâts scintillants dans la lumière de cristal.
Pour moi, j'aime autant mes autours, ici. De temps à autres, pour me couler dans la civilisation de bonne mise, je consens à déroger à mes parcours, sans trop bonne grâce...
Habitante d'une pimpante cité balnéaire, je me défile difficilement de quelques obligations touristiques, tant perçues comme telles qu'elles m'en gâchent le spectacle pourtant objectivement bien séduisant.
Bah ! Dimanche urbain passe vite, et je sais retrouver dès le lendemain mes basiques.









TtonytaPetra ont retrouvé le pré dès hier, après presque une semaine complète à l'étable.
Elles pataugent pas mal dans la boue. Elles sont légères, et ne creusent pas de trop larges ornières.

Elles ont passé la semaine à l'étable. Pourtant, quand je les ai lâchées, hier matin, elles ne se sont pas précipitées. Gentiment, elles se sont détournées de leur auge, pour aller prendre le frais sur le pas de porte, puis, descendre à la pâture.

Ma Ttony surtout aime son étable. A l'auge, elle tire vers elle le foin, dès que je distribue. Petra, un peu plus haute et longue de cou, lui reprend sa ration, sans presse. Au champ, c'est elle qui broute le plus longtemps. Elle sera peut-être un peu plus grande. Même si, à cet âge, les poussées sont un peu anarchiques. 
Evidemment, une jolie paire bien assortie serait plus agréable à regarder. TtonytaPetra  ont sept mois maintenant. Leurs cornes poussent, curieusement tournées vers l'arrière. On ne peut pas trop dire encore de quoi elles auront l'air.
Ttony se pare sur les mâchoires de favoris plus clairs. Son pelage soyeux est plus doux à la caresse. Petra, plus facétieuse, me bousculerait facilement. Quand elle est libre, je me garde de rester devant elle, si elle baisse la tête en se reculant, histoire de ma faire tâter de ses petites cornes, en manière de jeu.


18h

J'ai passé l'après-midi dehors, remettant de l'ordre dans ma cour-jardin, mise à mal par le vent.
Il fait bon pouvoir ouvrir de nouveau les maisons, faire circuler l'air tiédi du mitan de journée. 
Je laisse en place mes caisses récupératrices d'eau, dans la porcherie-remise. Elles ne gênent pas, et leur présence si incongrue me tranquillise.
Elles remplissent bien leur fonction, et m'assurent un sol sec. La petite tournée de vidange est aisée, avec la grille d'évacuation à portée. Je ne récolte que peu d'eau. Mais cette eau collectée me donne l'illusion d'un semblant de contrôle de la situation, ne serait-ce qu'en tout bout de processus. 
Puisque j'agis, puisque mon action change le cours des évènements, je me sens participante active à mon sort, et ça en change considérablement la perception.
Je suis maîtresse de mon destin, un tout petit peu au moins, faute de pouvoir y avoir la main en amont.
Ainsi, je peux admettre plus facilement l'échec de mes manœuvres antérieures pour juguler les entrées d'eau, m'en absoudre, et, allégée du sentiment de cette culpabilité levée, considérer avec satisfaction le rendu de ma cour, pour y adjoindre l'idée d'une réussite satisfaisante, et non la cuisante déception d'un échec.
C'est comme mes paysages, selon qu'il fasse grand soleil chaleureux ou grisaille brumeuse, ils changent du tout au tout, et on a bien du mal à y voir la même chose. Qui pourtant y est bien...

Au retour de ma promenade avec les chiens, juste là, je suis restée un moment à contempler la pointe éclairée de la Rhune, son flanc élargi vers la base rattrapé par l'ombre fraîche aux volutes embrumées. La lumière enluminait les escarpements rocheux, bondissant comme un cabri de pierre en pierre.
Je ne me suis détournée que quand l'antenne a cessé de briller. La fraîcheur du soir s'était, partout autour de moi, déjà posée comme un voile humide.

Ici, TtonytaPetra m'attendaient. Les lumières de la ville piquetaient la baie. Les chiens se sont couchés, fatigués.




Mercredi 15 décembre 2021  9h30



Les bosquets d'Orio se prélassent au soleil levé.







Mon affaire du jour louvoie autour de ce ruban de clôture électrique.






La brume va et vient en nappes indécises. Je vais m'occuper de ça ce matin.





Hier, en fin d'après-midi, j'étais à la jardinerie, dans les rayons bas d'un soleil bientôt couchant. Je taillais, toujours paisiblement, des hortensias, cette fois. Toute la journée m'avait trouvée occupée à cette jauge. Gentiment exposée plein soleil...
Le mien filleul me héla par les voies téléphoniques : Ttony gambillait dans le pré, hors de son périmètre sécurisé. Petra, de l'autre côté du ruban, était là,  là et là, la rejoindre, ou pas.
Le mien filleul est homme de la campagne, et connaît les usages animaliers. Il me demandait simplement un point de détail technique sur le fonctionnement de l'appareil. Que je lui donnais. Moins d'un quart d'heure après, l'affaire était réglée : Ttony revenue dans ses pénates, Petra rassérénée, et le mien filleul retourné à ses affaires.
Tranquillisée de mon côté, je vaquais à la fin de ma journée salariée. 

Ma tâche en cours ne requérant pas une attention exclusive, je pensais à ma clôture. Les jours de gros mauvais temps, certains orages avaient claqué bien près. Une décharge électrique céleste avait bien pu fondre sur mon vulnérable petit gardien de troupeau. Et carboniser les circuits dispensateurs de courant.
Honte à moi, le beau temps revenu, je n'avais pas pensé à vérifier mon installation, avant de remettre les velles à la pâture.
Je tenais là une piste. La perspective d'avoir à remplacer un équipement à peine étrenné me désolait. J'étais hors délai pour faire marcher l'assurance. Et n'avais sous la main comme coupable à vilipender que ma seule négligence.
Ma pile, en place depuis moins de six mois, ne pouvait être déjà vidée.
Je ne pouvais, de là où j'étais, que supputer.

Au retour de la jardinerie, la nuit noire ne me fût pas amie, dans l'examen de ladite clôture électrique. Je distinguais tout de même dans l'obscurité l'absence de connexion entre l'appareil, et le ruban bien tendu entre les piquets. L'appareil clignotait normalement, à intervalles réguliers. Il fonctionnait, donc. Mais dans le vide.
Le ruban neutralisé n'avait pas constitué longtemps un obstacle sérieux à la gourmande Ttony : elle lorgne depuis plusieurs jours l'herbe tendre de l'autre côté de sa clôture. Cette rouée doit venir tester le dispositif qui l'en tient éloignée, de temps à autres. Une bête moins fine n'aurait pas eu cette idée. 
Quoi qu'il en soit, Ttony s'est vite aperçue qu'elle pouvait sans danger braver le ruban. Le léger affaissement près du chêne vert ne demandait qu'un petit saut pour être franchi. 
Ce fléchissement n'aurait d'ailleurs pas du y être. Le jour où nous avons posé cette clôture, avec Olivier, je me souviens parfaitement avoir pris le secours d'une petite toise en bois, pour positionner tous les isolateurs de maintien à la même hauteur. Que se passa-t-il au niveau de ces deux piquets là ? Avons-nous maladroitement trébuché ? Ou alors égaré le piquet dans l'herbe un peu haute ? Je ne sais. Toujours est-il que, depuis le début, le ruban présente en cet endroit une courbe descendante, comme une invitation, une provocation, presque, dirais-je !
Je tenais là mon explication, faute de pouvoir dans l'instant remédier l'avanie. Je laissais ça pour le lendemain, ce matin, quand il ferait jour.
Et ainsi fis-je.

Ce matin, soulagée de n'avoir pas 150 € à dépenser, après avoir soigné TtonytaPetra, je descendis avant elles dans le pré mouillé de rosée. Un simple coup d'œil me fit repérer le fil de jonction, lamentablement tombé dans l'herbe, avec son accroche inutile. J'arrêtai l'appareil pour pouvoir remettre le dispositif en bonne marche. Accrochai l'attache au ruban, et renvoyai le courant. Mon petit testeur de poche me tendit en clignotements séquentiels son verdict : fonctionnement correct. Bien. Pour corriger le fléchissement tentateur, je remontai les isolateurs sur les piquets d'acacia. Le ruban retendu avait tout de suite meilleure allure, suivant une ligne plus droite.

Quand, d'habitude, les petites restent dans l'étable en début de matinée, à craquer leur foin, là, elles vinrent voir ce que je faisais, ou, plus probablement, ce qu'il en était d'une éventuelle possible seconde tentative d'évasion. Les bougresses !
Pour distraire ma vigilance, elles firent mine de s'intéresser d'abord aux voisines. 
Je nourris peut-être des soupçons excessifs : la présence d'une nouvelle petite génisse pourrait aussi expliquer leur attrait soudain. Bref. Je bouclai mon intervention avant qu'elles n'arrivent sur zone.






Ttony inspecta, parcourut les quelques mètres incriminés. Petra se détourna bien vite, retournant à la nouvelle venue.



















18h30

A cette heure, les choses sont revenues à la normale.




TtonytaPetra ont brouté leur herbe. La saison la rend aigre. Et la boue grasse la souille. Elles reviennent souvent à l'étable, où le foin sec leur paraît bien meilleur.
Là, je les ai pansées, brossées énergiquement, pour faire tomber la terre accrochée à leurs pattes. Elles finissent de manger, et ne vont pas tarder à se coucher.
Une brume dense avale le paysage. Je distingue à peine la ramure dénudée du carolin derrière la fenêtre.
La fin d'année s'étire doucement, en journées calmes, après ces tempêtes.

J'ai fait le tour de mes plants de châtaigne, ce matin. Redressé quelques tuteurs, relevé quelques fourreaux. TtonytaPetra sont assez respectueuses, pour le moment. Les arbres vont raciner, et s'aguerrir. Je continuerai de protéger les troncs sur plusieurs années, tant que l'écorce reste tendre, et attractive pour mes petites désœuvrées.
Le printemps prochain me dira qui a repris, ou pas. Ce genre de projet est de longue haleine. Il n'y a rien d'établi, une fois pour toutes. Je me tiens prête à parer.
Ce travail sera maintenant de suivi, et ne me mobilisera pas beaucoup de temps.

J'ai l'intention pour 2022 de lancer un autre ouvrage. J'y engagerai mon goût pour l'écriture, et mon expérience de cette sacré pathologie de Ménière.
J'y suis suffisamment experte, maintenant, je le crois, pour pouvoir faire profiter les Ménières débutants, des leçons de mon propre parcours.
L'enseignement ne remplace pas le vécu. Il l'accompagne tout de même avec avantage.
La grosse difficulté pour moi, sera de suivre un semblant de plan, d'organiser mon récit, de le structurer. Je me sens si bien de babiller sans trame ni raison...
Là, puisque j'ai l'intention d'écrire à l'usage des autres, je vais tâcher de ne pas les perdre en chemin.
Je ne diffuserai mon travail qu'en sa fin. Le temps ne me presse pas. Guérir durablement d'un Ménière bien installé, ça demande entre 15 et 25 ans. J'en suis à 10. 
Assez pour avoir senti passer le pic. Assez pour voir venir la suite plus tranquillement.
Je dois veiller à bien scinder mes séances d'écriture. Mettre de l'ordre là où il en faut. Laisser s'ébattre mes fantaisies dans mes chroniques au jour le jour.
Tout est dans le tout, mais chaque chose a une juste place.
Ttony s'y résout. Je dois pouvoir le faire aussi...



Vendredi 17 décembre 2021  18h20





Une sobre illumination et ma bougie festive assurent l'ambiance fin d'année.
Je me sens parfaitement bien dans mon intérieur douillet. Mes soirées sont des gourmandises que je savoure. Rentrer là après une après-midi de plein air est bien agréable.

Je me suis encore occupée de mon élevage, aujourd'hui. TtonytaPetra mobilisent quasiment toutes mes journées de repos ! Et elles ne sont que deux...
Après la fugue de Ttony, j'ai considéré devoir tenir compte de cette aspiration légitime, à avoir des prétentions sur une herbe plus fraîche, si bien à portée. Leur pacage n'est plus tellement attractif. Les deux génisses maintiennent facilement la pousse de la prairie, en cette période où elle est en repos végétatif.
Dans la parcelle attenante, juste de l'autre côté de la clôture, l'herbe est à peine plus drue, mais elle est plus propre de n'avoir pas été piétinée par temps de pluie. Ttony ne se trompe pas, quand elle lorgne par là !
J'ai donc pris en considération la demande subliminale de ma bête. Conséquemment, j'ai repoussé le ruban, ouvrant ainsi une large bande de prairie toute  fraîche.
Les deux petites ne se le sont pas fait dire deux fois : au fur et à mesure que je reculais le ruban, elles avançaient, têtes baissées, paissant avec ferveur.
Ce soir, j'ai du les appeler pour rentrer, quand d'habitude elles m'attendent à l'intérieur. Leurs ventres rebondis les alourdissaient.
Elles ont juste grapillé les granulés de luzerne par gourmandise, avant de se coucher, soufflant, repues.
J'ai éteint la lumière sur leur satiété, et les ai laissées se reposer, tout à leur contentement.



Lundi 20 décembre 2021  18h


La nuit tombe derrière la baie vitrée. Les lumières piquètent une courbe sur celle de Txingudy.

Après une matinée affairée de ces petites choses qui paraissent des riens et pourtant vous tiennent un bon moment, j'ai profité de cette encore si belle journée.
J'avais en tête d'emmener mes chiens à la montagne, dans ce bois où les châtaigniers plus que centenaires m'ont donné leurs plants pour ici. 
En arrivant sur la crête, j'ai vu un équipage de gens et de gros chiens, de ces mastiffs à la babine retroussée sur une ou autre canine pointue.
Pour éviter tout conflit domestique, j'ai poussé plus loin sur le chemin, vers le nord. Une petite aventure pour la routinière que je suis. 
Une sente étroite nous a tendu son embouchure empierrée, dans une belle combe emplie de soleil. A droite, un énorme chêne cul par dessus tête dressait vers le ciel ses racines tordues, en une supplique silencieuse et poignante. Je me souviens avoir admiré cet arbre magnifique il y a quatre ans. Il s'agrippait pourtant ferme à la terre caillouteuse, alors. La foudre l'aura sans doute séché, brûlant en un instant un circuit où la sève courrait depuis plusieurs centaines d'années. (Je suis très centaines, aujourd'hui...).

En descendant, nous sommes entrés dans un champ mal gardé par un portail branlant. Là, de très vieux pans de murs, (sûrement centenaires eux-aussi), finissent de crouler, verdis de mousse épaisse, autour d'arbrisseaux impertinents poussés là où avant il y avait un bel abri.
Le long de la parcelle tournée vers le soleil, un sentier perdu sous l'amas de feuilles sèches, craquantes ou moelleuses, suivant l'épaisseur de leur couche, s'aligne sur deux rangs de chênes élevés. 
Les chiens ont trituré des souches retournées, où de petites fougères se déploient au dessus d'un coussin de mousse. Les deux femelles se sont acharnées, à coup de griffes et de dents, fébriles et enthousiastes. Txief les a regardées, coulé contre ma cuisse. Je suis restée assise un moment, sur un tronc vermoulu couché là comme tout exprès pour moi.

Le soleil descendait au dessus des ramures grises. Nous sommes repartis. 

 TtonytaPertra broutent avec énergie leur nouveau pacage. Elles ne rentrent qu'à la nuit tombée, et encore, quand je les appelle. Ma balle de foin durera plus longtemps, peut-être le mois, cette fois...



Mercredi 22 décembre 2021  17h30


De molles volées ventées annoncent un changement de temps. La terre commençait de sécher sur sa croûte. Les feuilles amoncelées dans les ornières et sur les talus craquent sous le pas. Noël paraît devoir être pluvieux, cette année.
Une petite virée dans le grand nord le 25 suffira à mes modestes aspirations à l'exotisme. Suivant la tournure météorologique, je resterai là bas une nuit, ou pas. TtonytaPetra dans leur nouveau pâturage sont tout à fait assouvies, et le réapprovisionnement en foin leur est optionnel. L'abreuvoir leur dispense l'eau fraîche à volonté. Elles ont libre accès à l'étable, de jour comme de nuit, si je laisse le vantail ouvert. 
Ce n'est donc pas tellement elles, mais plutôt moi, qui me rappellera ici dès le soir de Noël, si le temps me représente une nuit agitée...
Je suis incorrigible, je le sais. Mais, puisque l'on me connaît ainsi et que l'on m'en supporte, je ne vais pas m'échiner à changer !

Je ménage ces jours-ci mes ischio-jambiers mis à mal par la forte activité sapins.
J'évite les déclivités prononcées, et les marches escarpées. Mon allure a considérablement perdu en fluidité. Sans avoir une souplesse féline, je me pensais tout de même dégagée en ma démarche, gracieuse, même, les très bons jours.
Là, je me dandine comme une oie grasse. 
J'espère ce désagrément passager. Même si, maintenant, le passager s'installe pour durer, quand il s'agit des défaillances de la mécanique.
Le zona de ce printemps ne m'a jamais complètement rendu le velouté de ma peau. Je crains devoir tâter pour toujours ce rugueux sur le flanc. Bon. Ainsi en soit-il, et qu'il ne me vienne pas plus grand malheur !
Pour cette souplesse de marche momentanément en berne, trois quatre mois ne signent pas le définitif. Le ménagement devrait calmer l'élongation, et rendre au muscle son amplitude de développement dans le mouvement.
C'est mon espérance.

Pour mon projet 2022, je tiens la première phrase, et la dernière.
Il me suffit de remplir entre les deux.

Pour l'heure, le crépuscule rosit le ciel ocre étiré sur le flanc sombre du Jaizkibel.
TtonytaPetra broutent encore avec application.

Le mouvement s'intensifie dans la vieille ferme. Je vais avoir de nouveaux voisins très bientôt.



Vendredi 24 décembre 2021  17h40







Après la journée grise monochrome et chrone, une surprenante éclaircie entre le haut mont du Jaïzkibel et les Trois Couronnes a enchanté le tombant du soir.
Je longeais avec les chiens un flanc étale, quand la saisissante nappe lumineuse s'est déversée sur le paysage, comme une coulée de miel fluide sur du pain chaud. Je me suis laissée baigner, retrouvant en plus pâle les soirs d'été, où, à près de 22 heures, la lumière rase la campagne sous le même angle.
Les silhouettes des arbres en ombres chinoises se ciselaient sur la bande limpide, étroite à la manière d'un regard intense distillé entre deux paupières lourdes à demi fermées. Un regard de grand félin à l'affût, ou de reptile, si l'on est plus écailles...
L'impression n'en était pourtant pas du tout de menace, bien au contraire. Plutôt la vision de la beauté surgie quand on ne l'y attend pas, ou plus.





TtonytaPetra se sont couchées dans la tiédeur du soir, cul à cul. Là encore, la lumière était fantastique, même si le rendu sur mon image est bien terne. Ma mémoire palliera ma technique défaillante.

Un moment plus tard, le vacarme d'un engin proche s'invitait comme un balourd dans toute cette paix chrétienne de veille de Noël. Le travail n'attend pas, et pour les braves, il n'y a pas d'heure !

Là, le silence est revenu. Je vais fermer les volets sur la nuit. Héler TtonytaPetra redescendues dans le pré pour s'éloigner du raffut.

Mon réveillon sera celui dont je rêve depuis longtemps : en tête à tête avec moi-même. Le premier dans le genre depuis bien des années. Une tournure d'esprit bien curieuse, navrante d'égoïsme, sans doute. La mienne. Celle d'une misanthrope irrécupérable. Non, pourtant : la gente humaine m'intéresse, et là où il y a intérêt, il a forcément un début d'amour...

L'année dernière, la civilisation me retenait à Rivière, traditionnellement, autour d'une tablée animée. J'avais fait bonne figure, sans grand cœur. J'y retourne demain, pour la civilisation, toujours. Je tiens à garder un semblant d'attache pour la société des hommes, tout de même.

Là, je vais m'enquérir de la bête, plutôt.



Dimanche 26 décembre 2021  9h



La matinée Riviéroise s'articule sur un rythme plus tardif. Encore que, à la ferme aussi, je déborde maintenant largement sur le début de la matinée, pour finir les soins aux bêtes, avant de monter prendre mon petit-déjeuner, en compagnie fraternelle. 
Mon temps s'étire, se libère de cette compression où il se densifiait d'une exigence Dieu Merci révolue depuis. 
Là bas, TtonytaPetra ont du redescendre dans le pré, étonnées d'abord puis très vite frustrées, de n'avoir pas leur petite gamelle matinale. Le seul foin sec doit leur paraître insipide. Elles n'en apprécieront que mieux le retour à la normale, dès ce soir. En partant, hier matin, les croyant sorties dehors pour la journée, j'avais redistribué une ration son-luzerne, pour qu'elles l'aient le soir, à la rentrée, d'après moi. 
J'avais à peine installé les chiens dans la voiture, pour notre migration nordique, que je les ai vues remonter ! Les bougresses, elles n'ont quand-même pas l'ouïe et le flair assez fins pour avoir entendu ou senti leur pitance préférée quand je retournais le bol dans l'auge ! Toujours est-il que le résultat des courses a été une ration doublée le samedi matin, et plus rien jusqu'au dimanche soir. Une diète de Noël, au lieu des classiques agapes...

Ici, nous allons faire un tour dans la pinède. Le ciel est clément, entre trouées bleues et boursouflures grises.
Le déjeuner d'hier fut tout à fait agréable : la compagnie diserte et amusante, les mets riches et goûteux. Les conversations détendues, assez pétillantes pour qu'un peu de piquant pas trop mordant épice une saveur affadie par le trop policé. J'étais en territoire Olivier. Une contrée moins connue jusque là, puisque je me cantonne au premier cercle, le plus souvent. Au gré des circonstances, que je ne force jamais, dans ces eaux là. Cette seconde sphère m'a bien amusée...

La semaine prochaine, je reviens, dans les basiques classiques. Ca peut-être bien, aussi, sur un terrain vite mouvant, dans cette famille assez électrique. Au vu de la fréquence de mes visites, ce serait vraiment le Diable que je tombe en plein court-circuit !


18h

Retour à la ferme.
TtonytaPetra ont très vite éventé ma présence. Je les retrouve, elles et l'étable, en ordre parfait. Antton a supplée mon absence. Il leur a même dispensé leurs rations gourmandes. Elles n'ont été privées de rien, bien au contraire !
Il n'a pas perdu la main. Je le soupçonne même d'avoir manqué de ce contact chaleureux de grosses bêtes confiantes...

Un peu en avance sur l'horaire habituel, je panse mes bêtes. Elles mangent, consciencieusement, dans l'auge, vérifient en dessous, et se couchent, satisfaites.






























TtonytaPetra sont à Agorreta depuis bientôt six mois.
Au jour le jour, je ne les vois pas grandir.
Mon "bloc" m'est juste toise. Elles ont plus que doublé.

Leurs robes unies mises à part, elles correspondent à tout ce que j'attendais.

Mon fidèle maquignon est venu me tenter, avec une toute mignonne montbéliarde jumelle. J'ai résisté. TtonytaPetra prennent toute ma place.
La petite blanche et miel sera recueillie à Urrugne. J'irai l'y voir.


Cette fin d'année nous parle encore et toujours de ce maudit Coronavirus. Toutes les lettres de l'alphabet grec n'y suffiront pas.
Printemps 2020, nous étions sidérés : saisis, complètement, figés, neutralisés dans toute projection, par ce qui nous tombait sur la tête.
Depuis, nous nous sommes résignés à vivre sous ce régime d'une menace diffuse. Nous faisons le deuil de l'insouciance et d'un sentiment de relative sécurité. Ces deux là étaient un leurre, évidemment. Mais la situation bonne fille d'avant nous les rendait possibles.
On s'habitue à tout. On s'adapte.

La fracture vaccinés-non-vaccinés rameute des conflits jusqu'au sein des familles. La pression pèse de plus en plus lourd, sur ceux qui résistent. Il ne fait pas bon revendiquer un droit à la liberté individuelle pour sa santé, ces temps-ci. Puisque elle ne peut se désolidariser de celle de tous.
Je n'ai pour ma part eu aucune réticence à recevoir ce vaccin suspect par la rapidité de son élaboration. On n'a pas de recul, nous dit-on. C'est sûrement vrai. Pour autant, on a un sacré mur devant, si on persiste à ne pas vouloir prendre le risque.
Nous serons sûrement revaccinés, très périodiquement. Les variants muteront encore en d'autres variants. La science et le virus se talonnent.

Je suis persuadée que nous sommes déjà contaminés, vaccinés ou pas, par tout un faisceau d'éléments, conditionnements psychologiques et autres, qu'on nous inocule sans nous en demander la permission, en détournant notre conscience même de l'être.
Nous ignorons pour la plupart d'où vient ce que nous mangeons, aussi vigilants soyons-nous.
Nous ignorons ce que nous respirons, ce que nous inhalons.
Nous ignorons tout ce qui nous est bombardé, culte ou occulte.
Nous ignorons ce qu'on nous rentre dans la tête, sans que nous nous en apercevions, seulement.

Et pourtant nous continuons de vivre, d'espérer, de nous projeter.
La sidération a laissé place à la résignation, à l'acceptation, à l'adaptation.
C'est, je crois, ce qu'on appelle évoluer, dans un environnement qui évolue, lui aussi.

Les choses changent, sans que nous ayons toujours la conscience de ce changement, au quotidien.

Les retours arrière, c'est bien quand ça supporte la comparaison : je me réjouis de voir TtonytaPetra embellir.
Quand on s'accroche et qu'on se lamente de ce qu'on a perdu, qui ne reviendra sûrement pas, mieux vaut je le pense ne pas se retourner, et garder ses forces pour préparer un avenir meilleur.

Nous survivrons très certainement à tous ces coronavirus. Nous vivrons avec. Autrement, c'est tout.


Mercredi 29 décembre 2021  18h40.



L'année tire à sa fin. Les journées sont très agréables, douces, calmes.
A la jardinerie, je termine de tailler les poiriers. En prévision des approvisionnements de printemps, déjà annoncés dès janvier, je fais de la place, je réorganise. Je rayonne plus au large que ma pépinière, m'infiltrant dans le magasin. Il fait bon y travailler les jours mauvais, comme il en viendra sans doute. J'ai toujours aimé ces chantiers. J'y suis moins frénétique, maintenant, et les équipes m'en rendent grâce, quand, au lieu de les bousculer, j'accompagne patiemment leurs projets.

J'ai aujourd'hui tiré des plans. Je les soumettrai demain à l'approbation des intéressés. Ils décideront, si ça leur va, ou pas. Je m'incline plus facilement maintenant, et les choses glissent mieux ainsi.
Mes ischio-jambiers se rappellent durement à moi. Lundi, pour reculer encore la clôture de TtonytaPetra d'un cran,  j'ai arpenté la prairie pentue. Pour rattraper le coup, ma virée de l'après-midi a été raccourcie, alentie, adaptée.
Je m'apprête à finir mon année. Les choses se sont mises en place comme je le voulais.
Je n'ai plus qu'à me lover dans mon nouveau nid, dans ma nouvelle vie.



Vendredi 31 décembre 2021  9h




Le dernier jour de l'année sera magnifique.  Une douceur totalement hors de saison fait ouvrir les maisons à ce grand soleil venu se coucher dedans comme un gros chat paresseux.







Les petites profitent à plein de cette période clémente.
Elles copinent avec les voisines. Les miennes se confondent avec ces blondes, même si la robe prune de Petra s'en écarte. 
Sacré maquignon ! Il fait bien de moi ce qu'il veut...

Je dois avoir autant de cervelle que ces aigrettes en bancs serrés aux envols obliques.
En voilà d'autres qui parlent du changement climatique. Moi, je ne pense pas dérèglement. Il me semble avoir compris qu'on ne "rerèglera" rien. On fera autrement.





Zaldi m'est fidèle, venue quémander son quignon.





Sur Fontarrabie, une écharpe de brume s'étire, bleue pâle au dessus du bleu métal de la baie scintillante.

Je termine mon année.
Je me remets à faire des plans. De livre, de magasin, de vie.
Je me tourne résolue et plus sereine vers la nouvelle année.
2020 fut bousculée.
2021 fut de retour aux équilibres, dans tous les domaines.

Je ne sais pas si j'atteindrais jamais la congruence et la sérénité.
Je sais que j'y tends avec ardeur. J'ai l'impression de m'en approcher, enfin.

Je lis en ce moment un Paulo Coelho intitulé  "le Zahir".
En préambule, il y est question d'Ithaque. Du voyage qui y mène. De l'intérêt à faire durer ce voyage, plus riche en lui-même que l'île à laquelle il conduit.
Ca m'a bien sonné, cette histoire là...



lundi 22 novembre 2021

6 au 22 novembre

 

Samedi 6 Novembre 2021   8 à 17h




Le matin radieux ourle de nappes brumeuses les versants vite happés par le soleil.
Je m'apprête à mon périple dans le grand nord.





Ici, le rituel se met en place. Je me sais très routinière. Si un programme me plaît, je ne cherche pas plus loin, et ne m'en lasse pas facilement. 
Olivier n'est pas plus aventurier. Ainsi, nos journées à Rivière se ressembleront-elles sans doute beaucoup : pinède le matin, forêt l'après-midi. C'est peut-être navrant pour beaucoup. Nous, là, ça nous convient.
Les parages arborés me réussissent bien au tempérament. Mes virées landaises enrichissent mon panel.
Mes affres de l'année dernière, quand je me sentais écartelée entre deux mondes, sont maintenant loin derrière. 
Je ne suis pas à l'abri de nouvelles. Et bien capable de m'en fabriquer toute seule. En attendant, je savoure ce laps de temps tranquille. Et grapille ici et là bas ce qui me fait du bien.








Rivière exploite ses bois. La pinède est travaillée. Les hautes futaies sont coupées, et les parcelles replantées. 
A cet endroit, nous avons tous les stades : une planche de jeunes repiquages, à gauche, une dizaine d'années plus tard, des arbres juvéniles, à droite, une parcelle de plusieurs décennies, derrière, bientôt éclaircie, par étapes, jusqu'au dessouchage final, en fond. Les amas de racines enchevêtrées seront broyés en granulés de bois pour le chauffage. 
Certains, paraît-il, s'offusquent de cette manière de faire "travailler" la nature. En bonne profane naïve, j'y vois une activité pas trop mal raisonnée.
Je suis bien loin maintenant de toute recherche de performance et de productivité pour moi-même. Je ne suis en quête que d'agrément. Honte à moi ! 
Je conçois toutefois encore, et m'en souviens assez précisément, qu'il faille pour assurer nos vitaux, produire, une richesse, et, pour la produire, utiliser, une ressource. 
Nous avons faim, nous avons froid. Il nous faut prélever là où elle est, ou produire, comme, et là où on peut le faire, la matière première nécessaire.
Je comprends assez bien l'ordre décroissant de nos sensibilités, quand il s'agit, pour subvenir à nos triviaux, de passer outre. 
Dans l'industrie alimentaire, l'agneau innocent égorgé nous serre le cœur. Pour le bœuf brutalement saigné, un petit hoquet nous secoue. Le poulet un peu idiot entassé en batteries, c'est déjà bien moins poignant. Quand on en vient au poisson à sang froid, quand on s'éloigne de nous, alors, là, la fibre émotionnelle est nettement moins titillée. 
Pourtant, le gros thon oblong embroché se débat lui aussi, pour sa survie. C'est peut-être une "thonne", une jeune et bonne mère horriblement empalée devant son tout petit hurlant sans bruit sa terreur juste sous elle, éclaboussé de son sang rougissant l'écume du combat dans la lame déferlante...
Mais on y pense moins, à celle-là, on a peu l'occasion de croiser son regard vitrifié.
La disparition des espèces inquiète les scientifiques. Mais émeut moins nos sensibilités. L'émotion, là, c'est le sentiment de partager la perception de la douleur, de la souffrance. 
C'est instinctif, ça se raisonne mal.

Pour nos grands pins fauchés en plein essor, pour cette forêt qu'on fait "travailler", je ne sais pas trop de quel ordre est le mouvement opposant. J'entends ces discours prônant le tout naturel, la non-intervention de l'homme dans ce qui l'entoure. Il va falloir alors penser à redevenir sauvages. Nous nous sommes méchamment domestiqués, avec cette histoire de civilisation. 

Nous aimons manger, sans avoir à risquer notre peau en chassant le mammouth, et nous aimons le confort d'une bonne chaleur, quand dehors il fait froid, n'est-ce pas ? Nous avons oublié maintenant d'être suffisamment velus pour y résister. Alors, comment faire ?
Pour ceux qui arguent dans le volet alimentaire que l'on peut manger autre chose que de l'animal doué de sensibilité, je me demande s'ils pensent au déchirement poignant de la carotte juvénile que l'on arrache de sa terre nourricière. A la vulnérabilité du pois chiche brutalement éjecté de sa cosse protectrice, et roulé bien loin de son pied-mère, sur un tapis froid et dur.
Je suis persuadée, et ne suis pas la seule à l'être, que les végétaux sont eux aussi doués de sensibilité. Nous la comprenons seulement moins. Parce-qu'elle se manifeste autrement que la nôtre.

Il nous faudrait en puristes synthétiser une nourriture et une énergie totalement artificielles. Puisqu'en poussant le bouchon un peu loin, le minéral souffre peut-être lui aussi, quand on l'extrait. Qui est sûr de l'inertie d'une carrière ouverte au ciel comme une plaie vive ? Qui sait si le vent brassé entre les pales d'une éolienne géante ne mugit pas sa détresse ? Comment être sûr que les eaux déversées du haut d'un barrage ne se bousculent pas comme un troupeau de bétail poussé dans les couloirs galvanisés d'un abattoir implacable ?

Il a bien suffi à un homme de décréter des sous-hommes pour fomenter un génocide. De les concevoir et de les faire concevoir autres qu'eux-mêmes, inférieurs, et nocifs.
Ne sommes-nous pas seulement trop coupés de la nature et de ses éléments pour ressentir l'effet de nos actions sur eux, et être capable d'empathie avec notre environnement ?
Comment fait-on là dedans pour cohabiter sans dominer, sans exploiter, sans asservir et faire souffrir ?
Pour ce que j'en crois, on ne peut pas. Un monde et plusieurs espèces, ça donne forcément une suprématie et des opprimés. Pas que de jolies choses, loin de là ! Ca donne aussi à plus ou moins longue échelle des déclins, des disparitions, de nouvelles dominations.
Les civilisations reposent sur des équilibres fragiles, et mouvants. La raison, les bons sentiments, toutes les stratégies pour durer, s'exonèrent mal du seul instinct de survie : manger, ou être mangé, dominer ou être opprimé. 

Pour le moment, l'homme asservit la bête, et la plante. La nature, périodiquement, le ramène à sa condition de vulnérabilité. Un bon tsunami bien brutal, une éruption volcanique à la colère profonde, la terre qui tremble et la foudre qui brûle, rappellent assez régulièrement à notre tyran de basse-cour, qui est le maître, le vrai.
L'homme là dedans louvoie. Tâche de tenir un cap et son rang. Pour le moment...
Il se trompe, fait d'énormes erreurs, tâche d'en corriger quelques unes. Pour durer. 
Les cris d'alarme écologistes égratignent à peine la belle insouciance productiviste. 
Là encore, les passions nous emportent et tirent une balle dans le pied d'un messager pourtant raisonnable. On me suivrait bien avec mon agnelle innocente. La probabilité d'une prise de conscience favorable est raisonnablement positive. Alors que mon histoire de pois-chiche interrogerait juste sur la santé de celui qui me tient lieu de cerveau. A juste titre... Et ruinerait tout espoir de fédérer une quelconque adhésion à des thèses aussi farfelues. le résultat de cet amalgame audacieux, mais pas complètement déconnecté, est le lâchage complet d'une affaire déjà moyennement engagée, et suicidairement illustrée dans l'outrance. 
L'excès en toute chose est mauvais... et totalement contre-productif !

Tout ça parti d'un fût de pin noir, sans grande histoire. Ou comment je m'emballe sans frais.

Je devrais peut-être "couper" ces passages où mes raisonnements se fourvoient. Tenter au moins d'y remettre un peu d'ordre. Je le pourrais facilement. Mais, non. Je ne le ferai pas. Ces égarements là font partie de moi. Je me crois suffisamment affranchie maintenant pour ne pas avoir la tentation de les rhabiller mieux pour les rendre plus présentables. 
Ces égarements m'amusent, ne m'effraient pas. Je pirouette et m'embrouille, divague et me perds. Et alors ? Où est le mal ? Je m'y distrais.
Je suis  bien certaine d'être indulgente pour moi-même, si je relis ces lignes, dans longtemps.
Je suis quand-même l'une de mes plus fidèles lectrices, et la plus intéressée. Alors, je reste authentique, fidèle, et ne bride pas ma spontanéité échevelée. Tant pis pour mon image, de toute façon, déjà bien écornée...

Allez, je me reprends !






Dans l'après-midi, j'ai retrouvé la jument qui nous avait suivis, l'année dernière, quand Bullou avait coursé sa pouliche. Elle était là aussi, celle-ci.





Ce petit poney  me rappelle Ttony, tout en rondeurs ramassées, avec son crin long et épais, ses cils blonds sur des paupières sombres et son mufle blanc aux naseaux noirs.







Les plans de ciel et d'eau se répondent de part et d'autre des chevaux et de leurs reflets parfaits. On ne sait plus où sont l'un et l'autre, chavirés dans tant de beauté.







Le copalme des Amériques flamboie à Rivière.

Nous rentrons sur Hendaye.


Mercredi 10 Novembre 2021  


8h

TtonytaPetra sont au pré. Elles se réchauffent l'échine aux premiers rayons de soleil.





18h

Un dais  vieux rose damassé est suspendu sous le ciel pur du crépuscule automnal.
Je me rentre. La journée fût bien belle.








Lundi 15 novembre 2021  16h25


Les journées pluvieuses remisent en intérieur.
Je suis plutôt une femme du dehors, aguerrie aux rigueurs hivernales, dans ma pépinière.
J'apprécie d'autant plus ces moments où je savoure le confort douillet de mon logis, quand, derrière les grandes vitres épaisses,  le froid et la pluie la jouent mauvaise.
Une sortie vivifiante suffit à emplir mon quota bien-être, calée en fin d'après-midi, juste avant les soins aux bêtes.
Ma nouvelle installation me permet de vaquer entre les étages, d'étable en remises, sans mettre le nez dehors. J'ai l'impression agréable de ne pas être confinée dedans, sans avoir besoin de m'équiper pluie, ou grand froid.
Ainsi, vendredi, j'ai très agréablement occupé toute mon après-midi, à peaufiner le magasinage de mes balles de foin.
La première tentative, dans la cour intérieure de l'étable, contre le mur, dans l'aire de la stabulation libre, n'eut pas le succès escompté. TtonytaPetra mignotèrent tant et si bien les ficelles de maintien, qu'elles réussirent à mettre à mal une balle, tirant des bouchées désordonnées, marchant dans la base. 
En plus d'un début de gâchis toujours regrettable, il y avait le risque qu'elles ingurgitent les pelotes de nylon qu'elles se confectionnaient.
Je n'aime pas déclarer forfait, et pousse d'ordinaire mes tentatives dans l'idée de les voir aboutir favorablement.
Là, j'ai du faire marche à arrière, et donner raison à Antton qui, dès le départ, voyait bien mal cette réserve de fourrage laissée à portée des génisses.
Je suis revenue à un plan antérieur : la porcherie-remise est suffisamment grande pour y loger plusieurs grosses balles de foin. L'ennui, ici, vient du ciel, et de sa pluie. De ces fuites perfides qui me pourrissent la vie. 
Mon dispositif expérimenté avec brio sur la terrasse supérieure s'avère ici défaillant. Je n'ai pas pu, comme en haut, bâcher le mur, en plus du sol, par le fait d'une mise en œuvre plus compliquée. L'eau continue de s'insinuer, de s'infiltrer, de s'immiscer, rampant sous la bâche, se riant d'elle et la prenant à revers. Ourdissant là dessous un complot souterrain, l'eau-reine fait son chemin, et se laisse glisser dans les fissures de la chape bétonnée, pour dégoutter sa fourbe victoire en flaquettes désolées, écrasées au sol de ma remise percée...

Le foin n'aime pas l'eau, on le sait.
Antton encore une fois monté au créneau se lamenta de cette idée toujours mauvaise. "Je rentrerai les balles une à une", me dit-il. " Dans le Barbot étanché par Alberto, elles sont bien mieux qu'ici, dans cette humidité de cave inondée !" !
Le fait est, il n'a pas tort. Mais, comme souvent, voulant convaincre en forçant le trait, sa représentation exagérément négative de mon projet me l'a rendu plus cher encore. 
La situation n'est pas telle qu'il la décrit. Ma remise fuite, certes. Pour autant, les denrées que j'y entrepose ne dérivent pas sur une mare putride ! Quelques bâches, encore, (je suis très bâches, ces temps-ci), suffisent à protéger les points de chute des gouttelettes. Et encore, si ces maudites quelques gouttelettes voulaient bien tomber toujours aux mêmes endroits, ma lutte serait jeu d'enfant, et quelques bassines y suffiraient. Non, toute la difficulté vient de cet aléatoire horripilant, où l'on se sent vulnérable partout, et à l'abri nulle part. 
Ma porcherie-remise ne collecte que très peu d'eau, même par temps de grosses averses. Mais elle la collecte de façon tellement arbitraire, qu'il est impossible d'y parer efficacement.
Autrement que par mon fameux bâchage, élu dispositif étanchéité de l'année 2021 !
Un système de grille d'évacuation assurerait la sortie du trop plein, s'il y en avait. Ce qu'à Dieu ne plaise qu'il advienne un jour...
Pour le reste, je dispose stratégiquement mes réserves, et en assure la couverture plastique.

Pour mes balles de foin de vendredi, j'ai longuement calculé leur empâtement au sol, le sens de circulation principale et parallèle, l'accessibilité de mes étagères en fonction de la saisonnalité.
J'ai aussi savamment étudié l'angle de présentation de la partie supérieure des balles, jouant avec leur inclinaison, de façon à orienter les filets d'eau potentiels dans le bon sens.
Le tout à grands ahanements, poussant et tirant sur le transpalette récalcitrant, manœuvrant dans un espace forcément réduit par les gros volumes entrants.
Le résultat final m'a séduite. Tous mes efforts trouvaient leur récompense, dans cette belle masse luisante et sombre, promesse de bon fourrage à portée.
J'étudie les cadences de réapprovisionnements. La balle en cours a été entamée à la Toussaint. Elle tire à sa fin. Dans mes prévisions de départ, j'avais tablé sur deux balles par mois, puisqu'avec mes quatre génisses précédentes, j'en consommai plus ou moins une par semaine. 
Celles-ci sont de plus petits gabarits. Mon calendrier d'étable ajustera mes estimations.

J'aime à raisonner ainsi mon élevage. Comme on aime le concept de la maîtrise, quand on est d'un tempérament soucieux comme le mien. 

La percée lumineuse de vendredi, en fin d'après-midi, me tira dehors. Je fis le tour du pacage, m'attelant à déraciner quelques orties, le long de la clôture.
J'arrivai au soir toute satisfaite. 
Ces quelques saines occupations me sont bonne escorte. Elles me procurent les avantages indéniables d'une saine activité physique, indispensable.

Pour le restant de mon temps de loisir, j'usite maintenant sans vergogne les relations publiques, amicales et légères.
C'est un terrain que j'avais jusque là beaucoup négligé. A tort, ou par manque de temps.
Du temps, maintenant, j'en ai bien davantage. Et l'idée fermement ancrée d'en faire quelque chose d'agréable. Un reste de conditionnement me tient, me représentant coupable cette oisiveté improductive. J'essaie de m'en émanciper, redressant cette distorsion de mon imagerie mentale, inappropriée à ma nouvelle condition.
Hors mon temps de travail salarié à la jardinerie, je vaque, je m'occupe, sans chercher plus loin qu'un bon agrément.
Puisque, en attendant de mourir, il faut bien se divertir à vivre.

La nuit tombe déjà presque.
Je vais dans le soir promener mes dolences.


Vendredi 19 novembre 2021  10h






TtonytaPetra se "mamourent" dans le pré. En fond, le squelette de mon futur bosquet aligne ses plants gainés.





Les couleurs d'automne sont magnifiques.
Après plusieurs jours où l'anticyclone hivernal a posé sa chape de gris sur les paysages, le soleil revenu cueille dans les frondaisons les pourpres et les ors lumineux.
La lumière remet la cadence dans le déclinement des heures. Jusqu'à hier, il aurait pu être cinq heures de l'après-midi à dix heures du matin, tant la lueur étale diluait l'avancement de la journée dans un gris uniforme.

J'aime aussi ces temps plans, où la dolence s'installe.
Je dois quand-même prendre garde : depuis que je n'ai plus que mes trois chiens, mes deux génisses, et moi-même, en charge, l'impression de vacance, dans son sens de temps vacant, instillerait facilement en moi une grisaille cousine de celle du ciel de ce début de semaine.
Je me méfie de cette pente là.
Ce mois de Novembre, mon favori de l'année, cette courbe en descente de lumière et d'activité,  doit résonner en moi comme un écho de mélancolie. 
Je veux en savourer la douceur et les couleurs. Sans m'y amollir de trop.
Ma demi-molécule de réserve me laisse l'assurance d'une béquille à portée. Pour le moment encore, je préfère muscler mon tempérament autrement. Mes penchants mauvais doivent pouvoir s'éduquer, que Diable !
Je vais me concentrer sur quelques administratifs toujours secourables. Sans m'y échiner, puisque je n'y ai plus maintenant grand enjeu.
La si belle journée sera ensuite l'opportunité d'une grande et magnifique goulée d'air vif.
Quelques bavardages légers, et, de préférence, gais, parachèveront mon ouvrage de reconstitution salutaire.
Je me suis construit une situation propice à la sérénité. Je dois maintenant en conserver les fruits. Veiller à ne pas les laisser taler et blettir.
C'était ma mission hivernale, dans le temps : faire le tour des granges et des greniers, pour trier les oignons mous, les patates meurtries et les pommes pourries. Je veillais à conserver les récoltes, à les assainir en écartant les pourritures. 
Je dois avoir gardé la main...

18h

J'ai fait comme prévu, provision de grand soleil, de belles couleurs et d'air pur.
Je vais maintenant descendre à l'étable. Panser TtonytaPetra que j'entends en bas.

J'ai maintenant une orchestration aboutie de mes conduites d'élevage. Les variations horaires tiennent à mes jours travaillés ou pas. Elles n'excèdent pas une amplitude de plus d'une heure.

Le matin, entre 6h30 et 7h30, au saut du lit, à peine habillée, je descends : TtonytaPetra sont le plus souvent levées. Elles clignent des yeux à la brusque lumière, lèvent les museaux vers l'escalier d'où j'arrive. Elles se poussent vers la droite, en oblique l'une contre l'autre, tournant la tête vers moi. 
J'enfile les bottes hautes. J'attrape les bols préparés de la veille, tire le verrou du portail, et m'avance. Le battant galvanisé revient derrière moi, et s'arrête à la ligne droite. 
Je sers d'abord Ttony, passant le long de la murette. Elle plonge le mufle dans l'auge où j'ai posé le bol, et reprend la parallèle. Je dois me dépêcher de reculer, pour ne pas me retrouver coincée contre la paroi de béton. Je contourne Ttony, pour passer entre les deux bêtes, et poser devant Petra le second bol. Je dois faire vite : ma brune s'impatiente, lève haut le col, et renverserait vite la gamelle, si je ne suis pas assez rapide. Je passe sous son cou, et lui claque la joue pour qu'elle ne me bouscule pas trop.
L'auge est encombrée des restes de foin de la veille. J'évacue ces refus, soutirant les brins coincés sous les bols dans lesquels les deux génisses sont plongées. Quand l'auge est propre, je renverse les gamelles, vidant les granulés de luzerne sous le son léger. TtonytaPetra récupèrent tout ça à grands coups de langue musculeuse. Je les flatte vigoureusement. Elles ne me prêtent pas attention, toutes à leurs rations.
Je reviens à ce moment là à mon établi, pour préparer les bols du soir. Je les dépose sur le plateau en inox de l'évier, puis, je répartis une casserole de luzerne et une casserole de son dans les deux. Les aliments sont stockés dans des contenants en plastique, fermés, sous le dit évier. La casserole de mesure est suspendue au tableau, juste à côté. 
Sur ce chapitre alimentation, je suis au top de l'efficacité. Je ne vois rien à améliorer.
La balle de foin est entreposée sous l'escalier, à moins d'un mètre de mon poste de travail. La fourche est là, adossée contre. Je détache une maille de foin, et la propulse dans l'auge par dessus la murette, en visant le milieu pour ne pas gêner TtonytaPetra encore occupées à leurs granulés. Là encore, l'opération est impeccable de performance, circonscrite dans le plus juste périmètre. 

C'est ensuite le moment de s'occuper du paillage.
La brouette est là, dressée contre le mur, juste à l'ouverture du portail encore béant sur ses gonds.
En face, posée contre la grille de séparation, la fourche, ma petite fourche aux dents si usées qu'elles ne dépassent pas la longueur d'une main, me tend son manche luisant d'une patine de plusieurs décennies. Je la cale dans le coffre de la brouette, et notre équipage contourne le portail ouvert, pour se positionner au plus près de la litière souillée.
TtonytaPetra terminent de laper les flocons de son, et entament le craquage cadencé du foin.
Je les pousse un peu, vers la droite et vers la gauche, pour enlever la litière qu'elles piétinent, et la remplacer par des fourchées de paillage propre. Elles collaborent, plus ou moins, quand elles ne s'amusent  pas à contrer mes poussées.  Je termine mon nettoyage en ramenant sous elles les brins de foin trop grossiers qu'elles n'ont pas voulu manger. 
A l'issue de cette opération, TtonytaPetra sont attablées à leur auge froufroutante de bon foin craquant, les sabots douillets sur une bonne couche de litière vaporeuse.
Ma brouette s'arrondit en dôme ambitieux, couronné de la fourche posée en clef de voûte.
Je m'apprête à sortir pour évacuer le fumier. 
Avant ça, je reverrouille le portail, pour éviter toute intrusion dans la zone interdite aux velles.
Puis, je détache TtonytaPetra. Généralement, elles choisissent alors d'inverser leurs positions, Ttony allant à droite, et Petra se faufilant derrière elle à gauche, histoire de voir si à côté l'herbe est plus verte.

J'avance avec mon chargement hésitant vers la porte métallique, jouant de l'inclinaison des brancards pour rattraper l'équilibre précaire. 
Là, je ne suis pas encore tout à fait au point dans ma chorégraphie. Je stationne ma brouette. Je relève la béquille de fermeture. Jusque là, rien à dire. 
C'est après qu'il me vient une hésitation, que je n'ai pas encore levée, à ce jour : pour coincer le grand battant métallique, et l'empêcher de vibrer par coup de vent, j'insère une cale en pointe de bois, entre l'encadrement de l'armature, et la tranche du mur. Pour ouvrir la porte, ou la refermer, d'ailleurs, je dois enlever cette cale. Et c'est là, que j'ai encore un moment de flou.
J'extirpe la cale, et je dois maintenant faire coulisser le battant, pour le faire passer derrière le mur, et dégager l'ouverture. J'ai la cale dans la main droite. Et pas de bonne prise à gauche, pour baisser la poignée et tirer la porte en arrière. 
Pour le moment, je tâtonne. 
Parfois, je jette la cale au sol, pour la récupérer après. Ca me fait un baissé et un relevé. Autrement, il m'arrive aussi de coincer la cale dans une des crénelures du bardage constituant le vantail. Là, la pointe en bois est un peu trop épaisse. La cale s'ajuste mal, tangue, et, une fois sur deux, tombe. Je ne peux pas laisser ainsi dans ma chorégraphie place pour une telle approximation. 
J'ai aussi essayé de consigner la cale dans ma botte, le long de la jambe, pour le temps de l'ouverture du battant. Là, pour le coup, l'embouchure de la botte baille suffisamment le long de mon mollet, pour que la cale y plonge trop loin, au point qu'il me faut me déchausser pour la récupérer. En me dandinant, au risque de perdre pied. Ca ne va pas.
Le meilleur pas expérimenté jusqu'ici consiste à passer la cale de la main droite à la main gauche, puis de la reprendre à droite, quand j'ai fini de pousser la porte, pour l'insérer de nouveau en blocage position ouverte.
C'est le meilleur compromis retenu pour le moment. Mais la fluidité n'y est pas, comme dans le restant de mes enchaînements.
J'empoigne ma brouette, j'avance. L'air frais du petit matin vif me cueille sur l'esplanade. Echauffée par mes activités, je ne frissonne même pas. La lumière de l'étable éclaire suffisamment la rampe bétonnée. Je m'y engage, descends dans le pré. Je cale la brouette contre le tas de fumier, et dispose mes fourchées académiquement, l'une chevauchant d'un tiers la précédente, pour l'obtention d'une pile pérenne. J'en suis encore à la crête d'enceinte. 
La brouette vidée, je plante ma fourche dans l'herbe humide, et je retourne la caisse pour faire tomber les derniers brins accrochés à la tôle grenue.
Je me hisse sur l'ouvrage, parcours la tranche formée par mes derniers apports en quelques pas bien appuyés, en une danse sûrement fantastique au clair de lune.
Le tassage terminé, je remonte avec ma brouette vers l'étable éclairée.
TtonytaPetra ont bien entamé ma première fourchée de foin. Je range mon équipage contre le mur, toujours exactement à la même place, le brancard droit appuyé sur un piton fiché dans le mur de pierres.
Il est temps de garnir l'auge pour la journée, en la remplissant de foin sur toute sa longueur.
Lola est souvent là, cherchant dans les plis odorants quelque cadavre de musaraigne saisie par la barre de coupe ou enfournée par le round baller, au temps lointain de la fanaison.
Un petit coup de balai autour du fourrage, un autre dans l'aire de stabulation. Attention, j'ai deux balais : celui du foin, et celui du fumier. Comme j'ai deux fourches, pour les mêmes usages. Il ne s'agit pas de tout mélanger, diantre !
TtonytaPetra étirent l'échine quand je termine en leur balayant le dos. Une ou deux bonnes caresses, quelques mots gentils, et elles s'avancent, royales, vers l'extérieur, pour humer le fond de l'air, et voir où en sont les voisines.
Elles reviendront vite manger du foin, avant de descendre dans le pré pour brouter l'herbe rase.
J'ai l'usage de doubler le verrouillage du portail de la stabulation par une goupille. J'ai surpris Petra léchouillant la poignée, tant et si bien qu'elle faisait reculer le cylindre rond en penne, le sortant presque de sa gâche. Cette rouée serait bien capable de s'ouvrir la barrière, pour aller visiter les remises ! Elle ne me monterait quand-même pas l'escalier....

Je me déchausse, et remonte ainsi dans mes appartements pour prendre mon petit-déjeuner, surveillant dans le reflet du miroir-mirador les allers-venues de mes belles.
Elles vaquent ensuite à leur journée, et moi à la mienne.
Pour le soir, j'ai déjà déroulé le film, il me semble. C'est plus ou moins la même chose que le matin, à l'envers.
Les tergiversations pour la cale mises à part, je suis parfaitement synchronisée dans mes manœuvres. Chaque geste calculé, chaque objet à sa plus juste place, des enchaînements fluides et efficaces, m'assurent la meilleure performance, avec le minimum de peine.
J'ai conservé le réflexe de cette recherche exigeante d'efficacité du temps où elle était indispensable, si je voulais mener à bien l'ensemble des tâches entreprises, dans le temps imparti.
Maintenant, rien ne justifie une exploration aussi aigue des niches de gain de temps. Si ce n'est la libération d'une plage horaire plus large, pour la partie pur plaisir, celle des caresses et de la contemplation naïve. 
L'objet de toute ma visée pour l'avenir...


Lundi 22 Novembre 2021  11h15


Je pensais faire une plus longue halte écriture, ce matin.
Quelques divers m'ont tenue jusque là.

Je relis mon dernier épître. 
Mon goût pour l'animal ne s'est jamais démenti. J'ai derrière moi une carrière honorable, toujours accompagnée de vaches, et de chiens.
Je pense être encore en état de mener TtonytaPetra jusqu'à leur terme, hors accident de parcours. Après elles, pas sûr qu'il soit raisonnable d'espérer reprendre des génisses, à près de 80 ans...
Pour les chiens, si Dieu me prête vie, j'en aurai d'autres encore, dans la lignée de ceux-là, et de tous ceux, nombreux, qui les ont précédés. Lola va sur ses 14 ans. Txief et Bullou une paire de moins seulement. Pour le moment, ils tiennent une bonne forme, et je les suivrai dans leurs vieillesses, jusqu'à les mener dans les meilleures conditions à leur fin, quand il sera temps.
Le jour, s'il advient, où je ne serai plus capable de m'occuper d'une paire de petites chiennes rustiques, alors, je pense que ma vie sera vidée d'une bonne partie de sa substance. 
Ce jour là n'est pas, pour le moment. Le mieux serait qu'il ne soit jamais, et que les dernières chiennes que j'aurai laissées derrière moi, partie sans trop de préavis, trouvent un bon maître pour finir paisiblement leurs propres vies. Avec un peu de chance, je pourrai organiser tout ça au mieux.

Mon attachement à la bête tient dans cette relation où les choses se posent clairement : je prends bien soin de mon animal, il me rend une affection franche et indéfectible en retour.
Le contrat est clair.
Il se trouve des bêtes fourbes, dénaturées, mauvaises sans raison, sans doute. Je n'en ai jamais croisées.
De la bête, j'aime la simplicité. Quand de l'homme je déplore une duplicité de constitution. C'est sûrement notre sophistication, notre complexité de structure mentale, qui nous rend si compliqués, et difficiles à cerner. Le champ de nos affects et de nos émotions est une mine, riche, et dangereuse, aussi.
La plupart des gens, et moi la première, revendiquons une franchise et une sincérité sans failles.
Et tous, nous sommes capables de tout le contraire, sans grande distorsion de nos facultés naturellement  prêtes à s'y souiller.
D'où vient la faute, où est le péché ?
De plus malins que moi s'y sont penchés. On a paraît-il retrouvé des organismes primaires, aux facultés incroyables, vestiges des premières traces de vie sur la planète.  Dans ces tardigrades desséchés sommeille peut-être notre virginité ? Perdue en eau lors d'un réveil incomplet après une dormance trop longue ou trop profonde ?
Je ne sais pas. Et je ne me sens pas le courage d'aller y chercher.
Surtout, j'ai la possibilité de me passer de cette science, en transférant mes attentes de saines relations affectives sur une gente différente.

Mes contacts hominidés sont peu nombreux. 
J'ai quelques amis, et les doigts des deux mains suffisent à les compter. De ceux-là, j'attends ce que je donne : de la bienveillance, de bons moments à partager, dans les rires le plus souvent.

En dehors de ce tout petit cercle, mes relations sociales sont professionnelles. Je travaille dans une jardinerie, dans un milieu agréable, où l'on vient chercher de l'agrément. On demande à mes plantes d'être ornementales, agréables à regarder, faciles à cultiver. Pas de gros enjeux ni de casse-têtes là dedans.
Ce règne végétal m'est aussi ami.

L'humanoïde, là comme ailleurs, est plus controversable, évidemment. La relation au client est commerciale. Si on pianote sur la gamme affective et émotionnelle, c'est dans le but de remplir le chariot, et faire tinter le tiroir-caisse.  A quelques rares exceptions près. Il m'arrive en effet parfois, de discuter le bout de gras, avec un sympathique éleveur égaré là. Honte à moi...

Pour les collègues, quelques conversations légères ne traversent jamais trop profond les couches superficielles.
Des affinités se perçoivent. Quelques pistes en confidences plus personnelles s'entrouvrent au détour d'une circonstance inédite. Puis se referment, en brèches éphémères.
Généralement, mes rapports  professionnels se cantonnent en zone homologuée.

Je suis sourde, un peu dingue, je n'y vois pas très clair.
Je me demande si ce n'est quand même pas bien assez pour comprendre ce qu'il y a à saisir là.
Mon statut particulier dans le monde du travail me confère la situation d'une vache réformée oubliée en bout de stabulation : pour ma propre tête, je ne vaux plus grand-chose, mais on me garde vive pour toucher la prime !
Mes comparaisons triviales soulèvent quelques protestations offusquées de bon aloi. Je persiste à les penser illustrations fidèles.

Mes hominidés jardiniers sont comme les autres, embrouillés.
Je ne sais pas si ça tient au secteur d'activité ou pas : nous concentrons des tempéraments  sensibles, délicats et raffinés. Leurs manœuvres sont rarement frontales. Ils sont plutôt, par préférence et bonne éducation, dans les approches arrières. De notoriété publique.

Moi, je fais ma petite vie là dedans. Je m'adapte à mon environnement. 
Ce serait grande fatigue dans mon état de chercher à inverser des tendances lourdes.
Et tentative vaine.

Je préfère en rester à mes génisses et à mes chiens.